Vendredi
19 mai 2000
Liquidation de Boo.com : chronique d'une dispendieuse stratégie
Trop chic, trop cher, trop high-tech et mal géré : le site de Boo a accumulé les erreurs. Il voulait trop ressembler et trop vite à l'idéal de ses deux fondateurs.
On savait l'avenir de Boo.com
compromis. La décision est finalement tombée dans la nuit
de mercredi à jeudi: Boo.com va disparaître.
L'aventure avait commencé
début 1999 avec la création de la société Boo par trois Suédois,
Ernst Malmsten ancien critique littéraire, Kajsa Leander,
ancienne mannequin d'Elite, et Patrik Hedelin, un banquier
qui venait de quitter une filiale scandinave du groupe Crédit
Agricole Indosuez. Les deux premiers venaient de céder la
librairie en ligne qu'ils avaient créée, bokus.com,
qui fut l'une des premières success stories de l'histoire
du net européen. Le projet était ambitieux: créer une
boutique virtuelle internationale "mode and streetwears" proposant
des marques de vêtements tendance via un site original et
résolument high-tech.
Le premier tour de
table fut impressionnant, les trois associés réunissant 135
millions de dollars auprès d'investisseurs prestigieux parmi
lesquels Europ@web, le fonds d'investissement Internet de
Bernard Arnault, qui possède 8,5% du capital, soit un investissement
compris entre 75 et 100 millions de francs. Figurent également
21investimenti, un fonds d'investissement de la famille Benetton,
la banque JP Morgan ou encore Goldman Sachs. Les
premières désillusions sont nées des exigences techniques
des promoteurs du site, dont le lancement prévu pour le mois
de mai 1999 a été plusieurs fois repoussé jusqu'au lancement
officiel au mois de novembre. La technologie était innovante
(3D, rotation 360°, cabine d'essayage virtuel) mais les chargements
d'image, terriblement longs pour les internautes, ont découragé
bon nombre d'entre eux. Pire les utilisateurs de Mac, plutôt
branchés design et donc coeur de cible de Boo ne pouvaient
pas accéder au site.
Peu à peu, les problèmes
ont semblé être résolus, la chaîne logistique
permettant d'acheminer les commandes dans dix-huit pays et
le service client pour chacun de ces pays accessibles tous
les jours 24 heures sur 24 se sont avérés performants, mais
aussi excessivement gourmands en capitaux. De l'autre côté,
les ventes tardaient à décoller avec seulement 632.000 dollars
de chiffre d'affaires pour le quatrième trimestre 1999, contre
1,76 million de dollars attendus par les analystes, selon
des chiffres avancés par l'AFP. Du
côté de la maison mère londonienne, la remise en cause n'est
pas venue, les investissements publicitaires ont été à la
hauteur des ambitions affichées avec des campagnes de publicité
massives et aux dires des employés londoniens, réunis pour
l'annonce de la décision fatale, la direction ne lésinait
pas sur les moyens. Voyages en première classe pour l'équipe
dirigeante, hôtels cinq étoiles, le niveau des dépenses s'établirait
à plus d'un million de dollars par semaine, d'après le Financial
Times.
Très vite la trésorerie
fond, l'importance des structures mises en place avec 300
salariés dans le monde oblige le groupe à rechercher de nouveaux
financements et à penser à restructurer le groupe. Fin janvier
une quarantaine de salarié est congédiée à la hussarde selon
Libération, qui rapportait à l'époque les propos d'employés
amers. "Ils sont arrivés dans les bureaux. Ils ont pris les
gens un par un et leur ont dit: c'est terminé et nous apprécierions
que vous quittiez les locaux dans une demi-heure", raconte
à l'époque un des salariés. Parallèlement
les prix des produits vendus sur le site diminue de 40% permettant
un décollage des ventes avec 657.000 dollars de ventes en
février dernier mais étouffant les marges de l'enseigne.
Malgré la crise,
Ernst Malmsten et Kajsa Leander, les deux fondateurs ne désarment
pas tandis que Patrik Hedelin prend lui ses distances. L'objectif
est simple : sauver Boo coûte 30 millions de dollars.
Mais aucun des actionnaires déjà présents
ne veut remettre au pot. Et la rumeur qui enfle dans les journaux
dissuade évidemment d'éventuels candidats. Dans
un contexte pareil les deux fondateurs ne peuvent plus tenir
et décident, la mort dans l'âme, de confier la
liquidation de leur bébé à KPMG. Ernst Malmsten
concède: "nous avons été visiblement dépassés par l'importance
de nos responsabilités, explique-t-il dans une déclaration
rapportée hier par le Financial Times. "Nous voulions que
tout soit parfait, nous n'avons pas contrôlé nos coûts. Mon
regret est de ne pas avoir eu un interlocuteur effectuant
une vrai contrôle financier."
Aujourd'hui, les 300
salariés doivent quitter le groupe, les membres de l'équipe
dirigeante ont reçu selon les confidences faiîtes
par un employé à l'agence Reuters "'une somme de 800 livres
chacun". Chacune des filiales,
dont l'implantation française (lire l'article),
devrait maintenant être rapidement liquidée. [Fabien
Claire, JDNet]
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