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Ce
qui a changé depuis l'e-krach
Financement, stratégie,
perspectives...
La correction boursière du printemps a déstabilisé
les "jeunes pousses" du Web. Enquête en
cinq volets sur les nouvelles règles du jeu de
l'Internet business. |
Sur le
baromètre de la "nouvelle économie",
c'est le capital-risque qui donne le "la". En apparence,
cette position flatteuse semble même affranchir les
VC's de l'agitation boursière. Au deuxième trimestre
2000, au coeur de la première tempête essuyée
par l'Internet business, les start-up françaises ont ainsi
bénéficié de 2,2 milliards de francs
de fonds. Pour les trois premiers mois de l'année,
donc avant l'e-krach, ce montant s'élevait à
1,6 milliard... La locomotive capital-risque se serait-elle
déconnectée des marchés ? Rien n'est
moins sûr. Le printemps dernier a laissé des
traces en profondeur et a bouleversé l'échelle
de valeurs des capitaux-risqueurs. Accusés de pratiquer
un financement façon bulle de champagne et de favoriser
des business plan fantaisistes à la rentabilité
illusoire, le capital-risque opte aujourd'hui pour une certaine
rigueur. Jusqu'au prochain cycle.
"La
nouvelle donne pousse la start-up à se PME-iser" |
Les critères
utilisés par les capitaux-risqueurs pour retenir lesdossiers
ont sensiblement évolué au cours des derniers
mois. "La rentabilité est revenue au centre du
débat, estime Patrick de Giovanni, directeur associé
chez Apax Partners. Ce glissement se traduit par une gestion
plus étroite sur le coût d'acquisition du client
ou de l'abonné." En clair, les seuils de rentabilité
situés à 5 ans et plus, les coûts d'acquisition
du client à plusieurs dizaines de milliers de francs
sont proscrits. Une ligne de conduite d'autant plus facile
à tenir quand le glissement des activités se
fait en faveur du BtoB. "Il y a eu clairement des excès,
notamment sur les sommes engagées dans la publicité,
souligne Jean-Marc Dumesnil, le président de MGT. La
nouvelle donne pousse la start-up à se "PME-iser"
et à revenir à des règles élémentaires."
Autrement dit, back-to-basics.
Dans cette
quête de la rentabilité, une catégorie
de créateurs de start-up trinque tout particulièrement :
les juniors. "Une des leçons du premier semestre
2000 est la nécessité d'avoir dans une équipe
dirigeante plus expérimentée, même si
la créativité et l'enthousiasme restent des
valeurs importantes, reconnaît Patrick de Giovanni.
Les start-up pilotées par des patrons encore étudiants
seront de plus en plus rares." Objectif recherché
avec ce retour en force des séniors : pousser
à nouveau la start-up à rentrer dans le rang
des entreprises classiques. En revanche, ce revirement risque
d'handicaper la nouvelle économie dans son recrutement,
les séniors étant une monnaie rare, et de grever
la masse salariale. "Je pense également que d'ici
la fin de l'année les dossiers favorisés seront ceux qui seront
apportés par des entrepreneurs de l'Internet seconde génération,
qui ont déjà réussi avec leur précédente start-up", ajoute
Thierry Chetrit, président d'Intuitu-Capital.
L'avant
e-krach était une phase de débroussaillage |
La fin
1999 et le début 2000 ont été marqués
par de véritables phénomènes de mode
sur les levées de fonds. Portail féminin, crédit
en ligne, achats groupés, loterie... Par vague entière,
la "nouvelle économie" faisait naître
en quelques semaines un business model, ses acteurs et leurs
propres concurrents. "Mais si l'activité est toujours
aussi forte - nous recevons une vingtaine de dossiers
par jour - ce phénomène va clairement s'estomper,
explique Jean-Marc Dumesnil. Nous allons vers un système
où les projets devront s'inscrire d'emblée dans
une dimension européenne et pour lesquels les tours
de table seront beaucoup plus conséquents. La barre
des levées de fonds à 200 millions de francs
et plus sera régulièrement franchie." Les
200 millions de francs levés par Kelkoo en juin dernier
-une start-up pilotée par des seniors justement- semblent
annonciateurs d'une nouvelle époque. Curieusement,
tout laisse à penser que l'avant e-krach aura été
une phase de débroussaillage pour le capital-risque :
beaucoup de projets pour beaucoup d'opérations d'investissement.
Du quantitatif, le financement de l'Internet glisse désormais
vers le qualitatif. Et ce revirement a déjà
un impact très évident. Le BtoC, grand consommateur
de business models, recule face au BtoB mais encore plus face
aux fournisseurs de solutions. Aux Etats-Unis, la
National Venture Capital Association indique ainsi que les
fonds attribués aux e-marchands ont baissé de plus de 40%
au second trimestre 2000 par rapport aux trois premiers mois
de l'année. "Mais avant de mettre de l'argent
dans de nouveaux projets, les investisseurs vont surtout essayer
de faire passer les seconds tours ou les troisièmes tours
au société en difficulté", avertit Jean-Luc Rivoire,
le président de Tocamak.
L'arrivée
du phénomène
BtoBB
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Si l'e-krach
a cristallisé certaines déviances dans l'Internet
business, d'autres facteurs sont venus s'ajouter depuis mars
dernier dans cette mutation de la "nouvelle économie".
Au premier rang d'entre eux se trouve le retour des grandes
groupes issus de l'économie traditionnelle. Nouvelles
Frontières, France Télécom, RTL, M6,
NRJ, Vivendi... Ces "marques" jouent aujourd'hui
dans la cour des grands de l'Internet parfois via des filliales
aux faux-airs de start-up. "L'arrivée des grands
groupes dans l'Internet dessine une porte de sortie de plus
en plus séduisante pour les start-up, commente Bernard
Maître, directeur associé de Galileo Partners. Les fusions-acquisitions
vont prendre le pas sur la Bourse." Depuis quelque mois,
une nouvelle race de start-up voit ainsi le jour : les
BtoBB, pour "born to be bought" ("né
pour être acheté"). Pour France Télécom
(avec Ridingzone.com), le Crédit Lyonnais (avec Image
Force) ou encore NRJ (avec BestOfCity.fr), la pêche
au contenu et aux prestataires passe ainsi par l'absoption
ou la prise de participation dans une start-up.
Autre
facteur de poids : le durcissement annoncé des
critères pour s'introduire en Bourse. Le comportement
du Nouveau Marché fin 1999 et début 2000 a en
effet laissé quelques aigreurs chez les capitaux-risqueurs.
"Certaines introductions se sont déroulées
dans des conditions limites, constate Bernard Maître.
Le rôle du Nouveau Marché n'est pas de faire
du capital-risque." Etonnamment, le retard de l'Internet
business européen face aux Etats-Unis joue cette fois
en faveur du Vieux Continent. Outre-Atlantique, l'e-krach
a en effet balayé en quelques mois les valorisations
boursières des start-up. L'action Amazon est ainsi
passée du pic de 170 dollars en 1999 à 40 dollars
aujourd'hui. Mais, en Europe, la période d'euphorie
boursière n'aura duré "que" 6 mois.
Pas vraiment le temps de se laisser tourner la tête.
"Mais attention, note Thierry Chetrit. En mal de fonds,
il est bien possible que des start-up tentent de se replier
sur le Marché Libre, un marché peu réglementé."
"L'Europe
est en passe de devenir la zone d'investissement la plus attractive,
remarque Denis Champenois, président d'Innovacom-Gestion.
Les taux de rentabilité y sont meilleurs qu'aux Etats-Unis
et l'Internet mobile européen offre des perspectives
séduisantes." Un constat que reprennent aujourd'hui
en choeur l'ensemble des capitaux-risqueurs et qui écorche
quelque peu l'air de la "rigueur" entonné
en cette rentrée 2000. L'Internet mobile, secteur d'activité
encore peu exploité, risque de provoquer la même
frénésie que celle qu'a connu l'Internet de
l'avant e-krach.
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