"La vue d'en haut".
Pierre
Paperon, l'ancien patron Europe du moteur de recherche
américain AltaVista, vient de mettre en pratique
la traduction littérale du nom de la société
en se lançant, à titre personnel, dans
un défi très physique : l'ascension de
l'Everest. Un rêve d'enfance pour ce montagnard
chevronné qui a quitté fin janvier 2001,
pour "divergence stratégique", ses
fonctions et son bureau de Londres, un an après
avoir inauguré
la version française d'AltaVista en février
2000.
"Sidérant"
est l'expression qui revient le plus souvent dans la
bouche des quelques privilégiés qui ont
assisté à une projection du film tourné
avec une petite caméra par Pierre Paperon à
l'occasion de son périple sur le Toit du Monde.
L'aventure a été calculée au plus
juste après un entraînement intensif en
février-mars et une phase d'acclimation dans
le massif de l'Himalaya en avril. Le mois suivant, c'est
le grand bond avec une équipe d'alpinistes qui
partagent tous la même ambition. "Je suis
monté à 8 700 mètres d'altitude
[NDLR, le sommet se situe exactement à 8 886
mètres] mais je n'ai pas pu aller plus loin
à cause d'un problème à l'oeil",
raconte l'alpiniste, qui garde visiblement des images
fortes de cette expédition montée par
une agence spécialisée dans l'organisation
de voyages extrêmes.
A l'issue de cette aventure,
Pierre Paperon a récupéré 20 heures
de films, devenues un documentaire de 52 minutes, qu'Arte
doit diffuser dans deux mois. Depuis son retour en France
en juin, Pierre Paperon a partagé son temps entre
les exercices de remise en forme (il a perdu 24 kilos
dans l'expédition) et les périodes de
repos. Aujourd'hui, il s'apprête à revenir
aux affaires dans un grand groupe français. S'il
reste discret sur ses nouvelles attributions dans ce
groupe "traditionnel", celles-ci lui permettront
pourtant de continuer à se frotter au monde de
l'Internet.
Avec le mont AltaVista,
c'est une tout autre ascension que cet ancien consultant
chez McKinsey avait initiée fin 1999... mais
celle-ci a un vrai goût d'inachevé. A l'époque,
Rod Schrock, le président de la société
américaine, lance une politique tous azimuts
de développement international en pariant sur
une introduction en Bourse pour financer cette expansion.
Moteur de recherche à l'origine, AltaVista ambitionne
de devenir un réseau de portails et une quarantaine
de versions locales sont déployées. L'objectif
est de monter (décidément...) sur le podium
des grands portails internationaux sur les traces de
Yahoo. La version française voit le jour en février,
sous la houlette de Pierre Paperon, qui en est à
sa cinquième création d'entreprise.
Malgré quelques
soucis pour récupérer son nom de domaine
en .fr, le nouveau portail s'intégre dans le
paysage Internet français. A l'époque,
il a deux avantages clairs : la marque forte AltaVista,
connue par les internautes de la première heure,
et un moteur de recherche performant malgré quelques
ratés lors du lancement français. "Je
garde un très bon souvenir de cette période
d'un an et demi au sein d'AltaVista, tant en terme humain
que d'aventure, commente Pierre Paperon. Après,
on peut avoir des regrets sur la distance qui sépare
la Californie [NLDR, où se trouve le siège
d'AltaVista] de l'Europe." Traduisez : le manque
de communication entre les deux entités.
En mai 2000, il laisse
les commandes d'AltaVista France pour superviser les
activités Europe et internationales depuis Londres.
Il effectue des voyages en Australie, en Inde et au
Brésil pour inaugurer les versions locales. Mais,
les nuages s'accumulent après l'e-krach du printemps
: le plan d'introduction en Bourse est jeté aux
oubliettes et le groupe doit se serrer la ceinture.
L'ex-start-up devenue mammouth (un millier d'employés
aux Etats-Unis) engage un vaste plan de suppressions
de postes sous la pression de son actionnaire CMGI pour
parvenir à un effectif maximum de 300 personnes
et demande à sa branche Europe de participer
à l'effort. Pierre Paperon l'accepte mal. "J'avais
clairement limité de mon côté la
politique de recrutement (130 personnes en tout) et
nous étions en train de passer le 'break even'.
AltaVista US a insisté. J'ai envoyé par
mail la liste des 40 employés concernés
par le plan. Mon nom figurait en premier", raconte-t-il
aujourd'hui.
Au-delà de l'aspect
social, Pierre Paperon doutait aussi de la stratégie
axée sur le développement des portails.
"Il fallait revenir rapidement aux sources d'AltaVista
et développer le moteur en terme de rafraîchissement
et de pertinence", affirme-t-il. Mais c'est Google
qui a remporté la mise et n'a cessé depuis
de creuser l'écart en terme d'innovations et
de quantité de pages indexées. Alors que
Google a l'oeil rivé sur plus de 600 millions
de pages Web, AltaVista n'en indexe que la moitié.
"Les
jeunes entrepreneurs n'ont pas intégré
la notion de risque"
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De son passage chez AltaVista,
ce passioné d'alpinisme retient un symbole :
"Quand je suis arrivé, le logo avec la montagne
était retiré. Lorsque j'y suis parti,
il a été remis en place". Quant à
la période 1999-2000, celle de l'émergence
des start-up, Pierre Paperon en garde un souvenir mitigé.
"De jeunes créateurs ont eu des moyens considérables
trop rapidement. Je ne suis pas sûr qu'ils aient
eu le temps d'acquérir la notion de risque intimement
liée à l'entrepreneur. Ce sera peut-être
une génération gâchée, cassée
en terme de logique d'apprentissage professionnel",
commente-t-il.
Parallèlement,
il juge sévèrement les agences de publicité,
qui ont fait miroiter aux start-up la possibilité
de développer rapidement la notoriété
de leur marque. "C'était pipeau et je le
regrette d'un point de vue déontologique",
tranche celui qui a passé cinq ans dans le monde
de la communication, chez Havas Advertising.
"Après l'ère des start-up, la prochaine
étape sera l'intégration de l'Internet
dans le process des grandes entreprises, qui va entraîner
des changements en terme de réactivité
et de prises de décision", estime-t-il.
Un début de programme pour ses nouvelles fonctions.
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