"Et
si vous commandez trois pizzas avec votre télé,
vous obtenez une séance de vidéo à
la demande gratuite..." Pas de doute, depuis hier,
l'ADSL s'est trouvé une nouvelle dimension. Pour
convaincre de l'importance du phénomène,
Serge Tchuruk et Thierry Breton en personne, les PDG
respectifs de Alcatel et de Thomson Multimedia, n'ont
pas hésité à présenter pendant
près de deux heures les nouveaux domaines d'application
du haut débit grâce au décodeur
intégré ADSL. "Ce décodeur,
qui est déjà en phase de test au Canada,
sera proposé sur le marché dès
l'été prochain", annonce Thierry
Breton. Son prix de commercialisation, qui dépend
du choix de l'opérateur responsable de la connexion
ADSL, devrait se situer autour de 300 euros.
Né
sous l'impulsion de Nextream, la joint-venture entre
Alcatel et Thomson Multimedia, ce décodeur ADSL
s'apparente physiquement au banal boîtier déjà
proposé par Canal Plus, CanalSatellite ou TPS.
Mais sous le capot, la technologie est radicalement
différente. "Nous sommes arrivés
à un stade de développement où
il est désormais possible de faire cohabiter
plusieurs flux sur l'ADSL, explique Serge Tchuruk. Aujourd'hui,
l'accès Internet, le téléphone
classique et la télévision peuvent passer
par le même support." Ce nouveau décodeur
est donc relié à la fois au PC, au téléphone
et à la télévision, voire à
la chaîne hi-fi. Amateurs de connectique, vous
voilà prévenus.
Après
avoir soutenu l'ADSL, le téléphone
se fait absorber
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Si
pour l'ordinateur, l'arrivée de l'ADSL n'est
pas une révolution, en revanche pour le téléphone
et la télévision le concept est plus novateur.
"Avec ce décodeur, poursuit Serge Tchuruk,
la ligne de téléphone standard est absorbée
par l'ADSL sans aucune différence, le numéro
reste le même. Le signal est simplement supporté
par l'ADSL. Cette évolution nous permettra très
rapidement de multiplexer les lignes et d'offrir, avec
un seul décodeur, cinq lignes téléphoniques
différentes." Une évolution qui devrait
séduire le marché des professions libérales,
des artisans et des TPE.
Concernant
la télévision, le décodeur permet
cette fois d'avoir accès à un portail
interactif qui s'apparente visuellement à ceux
proposés par les opérateurs satellitaires.
Mais les fonctionnalités proposées ici
sont d'un autre acabit : boîte e-mail, pay
per view, films à la demande et les fameuses
commandes de pizzas depuis sa télévision.
S'y ajoute un bouquet de chaînes tout à
fait standard d'une qualité d'image comparable
au broadcast classique. Une qualité de diffusion
que le duo Tchuruk-Breton n'a pas hésité
à éprouver en diffusant des images d'une
compétition de golf sur un téléviseur
grand écran. La différence avec une chaîne
de télévision hertzienne est imperceptible.
Un tour de force technologique quand on sait que l'ensemble
de ces services transitent par l'ADSL.
Un
bouquet de chaînes TV
via l'ADSL
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"70 %
des foyers français peuvent bénéficier
avec l'ADSL d'un débit moyen de 4 Mbits/s, explique
Thierry Breton. Cette qualité de débit
dépend de la longueur de la boucle locale qui
dessert l'abonné. Avec nos technologies de compression
vidéo MPeg, nous avons réussi à
obtenir une très bonne qualité d'image
pour un débit de 1,5 Mbits/s. Donc, sur un même
accès ADSL à 4 Mbits/s, nous pouvons faire
transiter à la fois le téléphone,
la liaison Internet pour le PC et deux ou trois flux
de vidéo." Un score qui devrait encore être
amélioré dans les années à
venir puisque Nextream travaille aujourd'hui sur un
niveau de compression vidéo à 0,7 Mbits/s.
Cette
possibilité de "coucher" un bouquet
de chaînes et de services sur l'ADSL pour une
qualité d'image standard débouche sur
de multiples applications. Parmi elles, la vidéo
à la demande, testée aujourd'hui au Canada
avec l'appui du fournisseur de solutions iMagicTV, révèle
quelques fonctions remarquables. L'achat ou la la location
d'un film via le décodeur permet à l'abonné
d'avoir une liberté d'action comparable à
celle offerte par un DVD à domicile. Chaque décodeur
étant relié en point-à-point avec
le serveur central, l'abonné peut à loisir
mettre en pause le film, le rembobiner ou l'accélérer.
"Ces mêmes fonctions, explique Thierry Breton,
permettront aux abonnés de regarder en décalé
les programmes de télévision. Si vous
êtes en retard, vous pourrez ainsi regarder le
journal de 20 heures à 20h15."
TF1
s'intéresse au nouveau décodeur
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Pour
se préparer à ces nouveaux modes de consommation
de la télévision, Thomson Multimedia a
annoncé il y a quelques jours le rachat de l'américain
Grass Valley Group pour 172 millions de dollars en numéraire.
Cette société est justement spécialisée
dans les serveurs de stockage vidéo. "Il
est clair qu'avec le haut débit nous allons vers
la numérisation des contenus, poursuit Thierry
Breton. Toute une chaîne d'activité liée
aux médias doit aujourd'hui s'y préparer."
Dans cette perspective, le tandem Alcatel-Thomson Multimedia
serait déjà en discussions avec TF1 qui
a, semble-t-il, montré un vif intérêt
pour ce nouveau décodeur.
Reste
à savoir comment va se structurer le marché
face à cette nouvelle offre écartelée
entre la téléphonie, le Net et la télévision.
Sur ce terrain, opérateurs télécoms,
groupes médias et FAI peuvent tour à tour,
et à juste titre, montrer des velléités. "Je
crois que l'univers concurrentiel est en train de basculer,
analyse Serge Tchuruk. Nous passons d'une concurrence
frontale entre opérateurs historiques et opérateurs
alternatifs à une concurrence frontale entre
opérateurs télécoms et câblo-satellito-opérateurs".
Cette mutation ne semble pas déplaire aux équipementiers
Alcatel et Thomson Multimedia. Serge Tchuruk et Thierry
Breton y voient même un bouillonnement favorable
à un certain dynamisme. Numéro un mondial
sur le marché de l'ADSL avec un chiffre d'affaires
commun de 1,2 milliard d'euros, les deux groupes affichent
une seule crainte sur le marché français :
le faible taux de pénétration de l'ADSL
avec, à l'heure actuelle, moins de 500 000
abonnés.
Vastes
mouvements sur le marché des décodeurs
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L'arrivée
du décodeur ADSL de Thomson Multimedia
tombe à un moment où le marché
des boîtiers est des plus agités
outre-Atlantique. En entrant en fin de semaine
dernière à hauteur de 10 %
dans l'opérateur satellitaire américain
EchoStar, Vivendi Universal a prévu dans
les accords que le logiciel de télévision
interactive MediaHighway, développé
par Canal Plus Technologies, équipera la
moitié des nouveaux décodeurs fournis
aux abonnés. Cet accord porte sur un marché
potentiel de 1 million de décodeurs par
an.
Thomson
Multimedia, aux côtés de Sony, détient
3 % de Canal Plus Technologies, Vivendi Universal
couvrant le capital à hauteur de 89 %.
La société équipe aujourd'hui
plus de 12 millions de décodeurs dans le
monde.
Or EchoStar, qui travaille historiquement avec
le fabricant suisse de décodeurs Kudelski
et avec l'américain Open TV, doit fusionner
avec l'opérateur satellitaire concurrent
DirecTV, qui s'appuie lui-même pour ses
décodeurs sur NDS, une filiale du groupe
de Rupert Murdoch. Kudelski, qui soutient EchoStar
dans son rapprochement avec DirectTV, aurait réussi
à écarter NDS du futur groupe né
de la fusion des opérateurs où coexisteraient
également en qualité de fournisseurs
Open TV et Canal Plus Technologies.
En choisissant la voie de l'ADSL, Thomson Multimedia
peut donc espérer trouver un nouvel angle
d'attaque pour ses décodeurs sur un marché
où la compétition fait rage.
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