Le
silence radio imposé aux sondages électoraux
à la veille des scrutins s'apprête à
passer au régime sec. Au lieu d'une période
initiale d'une semaine, prévue par la loi du
19 juillet 1977, le projet présenté hier
matin en Conseil des ministres par le ministre de l'Intérieur,
Daniel Vaillant, prévoit une interdiction de
publication pour les sondages d'opinion à partir
du vendredi minuit précédent le scrutin.
Cette proposition de loi doit être présentée
à l'Assemblée nationale le 23 janvier
prochain et devrait, sauf surprise, s'appliquer dès
les prochaines échéances électorales,
tous supports confondus.
A
bien y regarder, ce projet de loi apparaît pourtant
comme une rustine collée dans l'urgence face
au flou qui régnait sur ce dossier depuis le
4 septembre dernier. La Cour de Cassation avait alors
estimé dans un jugement que l'interdiction posée
par la loi de juillet 1977 n'était pas compatible
avec la Convention européenne des droits de l'homme
et notamment son article 10 consacré à
la liberté d'expression. "Depuis cette décision
de la Cour de Cassation, nous étions dans le
vide juridique le plus complet, explique Benoît
Tabaka, du cabinet Landwell & Partners. D'un côté,
les médias avaient la possibilité de publier
librement les sondages, de l'autre côté
une jurisprudence de 1983 validait le principe d'annulation
d'une élection pour divulgation d'un sondage
pendant la période d'interdiction. En l'état,
le risque était donc de se retrouver face à
une cascade d'élections cassées au cours
des prochaines échéances." Pour gommer
in extremis cette incompatibilité, capable de provoquer
une situation tout aussi surréaliste que les petits
trous trompeurs des bulletins américains, le
Conseil constitutionnel et la Commission des sondages
ont attiré l'attention de Daniel Vaillant, le
ministre en charge de l'organisation électorale.
Sur
le fond, la brèche ouverte par la Cour de Cassation
reste malgré tout d'actualité. Cette décision
du 4 septembre 2001 faisait suite à la plainte
déposée par le Procureur de la République
en 1998 contre "Le Parisien". Quelques mois
plus tôt, en 1997, le quotidien avait publié
un sondage réalisé par "La Tribune
de Genève" lors des élections législatives.
Un sondage que le site de Canal Plus s'était
empressé de mettre en ligne. "Le projet
de loi actuel n'est toujours pas compatible avec la
Convention européenne et a toutes les chances
d'être un jour invalidé, souligne Benoît
Tabaka. Mais comme le processus juridique est long,
puisqu'il a fallu quatre années dans l'affaire
du Parisien, les prochaines élections devraient
être couvertes par cette loi."
Sur
le plan Internet, le projet de Daniel Vaillant stipule
que la loi ne contraint pas "les gestionnaires
de sites à supprimer de leurs archives accessibles au
public des informations relatives à des sondages d'opinion".
En revanche, toutes les mises en ligne de sondages effectuées
après vendredi minuit restent interdites. Une
barrière que devraient franchir avec plaisir
les sites francophones installés en dehors de
l'Hexagone. Reste une question que le projet oublie
soigneusement de se poser, de peur, sans doute, de révéler
sa nature de "rustine juridique". Les bascules
d'opinion, à 24 heures près, existent-elles
vraiment dans les sondages ?
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