Reporters sans frontières
(RSF) a rendu public son rapport 2003 "Internet sous
surveillance" sur les entraves à la circulation
de l'information sur le réseau. Le texte peut être
téléchargé gratuitement sur le site
de l'association (en préambule figure une introduction
de Vinton G. Cerf). Le document de RSF scanne les pratiques
dans 60 pays, des régimes autoritaires comme la
Chine aux Etats démocratiques comme les Etats-Unis.
Robert Ménard, Secrétaire général
de l'association qui défend la liberté de
la presse dans le monde, revient sur les diverses manières
d'effectuer un contrôle du média Internet.
JDN.
Dans son rapport annuel traditionnel sur la liberté
de la presse dans le monde, RSF recense les entraves
à la libre circulation de l'information dans
les médias traditionnels (presse, radio, télévision).
Peut-on calquer la cartographie sur le média
Internet ?
Robert Ménard. Evidemment, parmi les 60
pays traités dans ce rapport Internet, on retrouve
en bonne place la plupart des régimes autoritaires
du monde. Mais qui pourrait s'en étonner ?
Des pays comme la Tunisie ou la Chine sont bien placés
dans le classement. Sur les 51 cyber-dissidents que
recense RSF, les trois-quarts sont détenus en
Chine dite populaire. Le régime a mis en place
une immense cyberpolice (que l'on estime à plusieurs
dizaines de milliers d'agents) chargée de surveiller
les internautes. En Arabie Saoudite, on peut parler
d'un immense intranet où l'information - filtrée
sur les sujets religieusement non corrects - circule
en vase clos. Autre pays marqué par les entraves
sur Internet : Cuba. Là-bas, Internet est interdit
de fait au commun des mortels. Au 1er janvier 2002 par
exemple, le régime de Fidel Castro a interdit
l'achat d'ordinateurs sans autorisation officielle.
Du coup, les voix dissidentes détournent l'interdiction
en diffusant par téléphone les informations
à la communauté cubaine installée
en Floride, qui répercute les éléments
en ligne. Toutefois, il existe des différences
avec notre rapport annuel traditionnel sur la liberté
de la presse. Par exemple, certains pays africains soumis
à des régimes dictatoriaux n'y figurent
pas. Tout simplement parce qu'ils ne disposent pas de
l'infrastructure télécom nécessaire
au développement du Net. Nul doute que l'accès
Internet y serait censuré le cas échéant,
comme le reste de la presse. Seconde grande différence
: certains pays démocratiques sont infiniment
plus précautionneux voire plus autoritaires vis-à-vis
du Net que les autres médias.
Généralement,
on considère l'Internet comme une passoire. Comment
parvient-on à effectuer un contrôle de
l'information en ligne ?
Ce sont principalement des systèmes de filtre,
des réglages spécifiques de serveurs proxy
ou des changements d'adresses IP perpétuels.
C'est le jeu du chat et de la souris. En Chine, il suffit
de placer le mot "démocratie" sur un
site pour qu'il soit interdit d'accès. RSF a
mené un test sur les forums de discussions en
Chine pour savoir si des messages subversifs à
divers degrés parvenaient à s'afficher
sur ces lieux de discussion. Des mails comprenant des
mots écrits en chinois comme "dissidents",
"Union démocratique" ou même
"Tien An Men" n'arrivent jamais à bon
port. Il y a une liste officielle de mots interdits
qui sont automatiquement filtrés. Lorsqu'on échappe
à ce premier barrage, les autres messages postés
sur un forum et considérés comme un appel
à la révolte ne tiennent que quelques
minutes. Prochainement, RSF va lancer une opération
concernant le Vietnam, un autre pays qui se distingue
par les entraves à la circulation de l'information
en ligne. Nous cherchons à savoir comment contourner
le dispositif de surveillance pour que des sites Web
interdits par le pouvoir soient consultables à
l'intérieur du pays.
Début
juin, le Conseil de l'Europe a réitéré
le principe de la libre circulation de l'information
pour les médias électroniques. Les pouvoirs
publics des pays occidentaux placent-ils Internet sur
un pied d'égalité avec les autres médias
?
Non. Internet reste un média à part. Il
y a une telle crainte autour de cet outil de communication
qu'on finit par le traiter différemment. Souvent,
on affirme que beaucoup d'informations fausses circulent
sur Internet. C'est oublier un peu vite qu'il y a également
des choses fausses dans les médias traditionnels.
La profession journalistique n'est pas prête à
défendre le média Internet, considérant
que cet outil permet de s'affranchir des médias.
C'est ressenti un peu comme un privilège qu'on
lui retire. Aux Etats-Unis, comme dans de nombreux pays
européens, nous avons assisté à
une vague de projets de loi déposés pour
surveiller le réseau des réseaux. Un réflexe
qui s'est amplifié après le 11 septembre
en arguant qu'il faut lutter contre le terrorisme. Que
l'on s'entende bien : les législations mises
en place ne constituent pas une entrave directe à
la libre circulation de l'information sur le Net mais
elles placent le Net sous surveillance. Cela me semble
légitime pour lutter contre les organisations
criminelles et terroristes. Mais ce procédé
d'écoute en ligne devrait recevoir au préalable
le feu vert d'un magistrat. C'est ce qui fait la différence
entre une mesure légitime et une mesure arbitraire.
Entrave à la libre circulation de l'information en ligne :
la Tunisie "à l'honneur"
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Le cyberdissident tunisien Zouhair Yahyaoui, condamné à 2 ans de prison
pour "propagation de fausses nouvelles" sur son
site Internet Tunezine.com, vient de recevoir le
premier Prix Cyberliberté de Reporters s@ns frontières,
en association avec Globenet. C'est sa fiancé
Sophie Piekarec qui a reçu le prix, doté
de 7 600 euros.
Zouhair Yahyaoui a été arrêté
en juin 2002 à Tunis pour avoir dénoncé
ce qu'il considère comme une absence totale
d'indépendance du pouvoir judiciaire en Tunisie
dans une contribution diffusée en juillet
2001 sur son webzine TUNeZINE. Un an plus tard,
il est condamné, en appel, à deux ans de prison
pour "propagation de fausses nouvelles". Depuis
le début 2003, Zouhair Yahyaoui a entamé trois grèves
de la faim. |
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