Après avoir longtemps résisté
à la déprime mondiale du marché du disque, entamée en
2000, la France est à son tour touchée par le phénomène.
Les ventes de disques ont baissé dans l'Hexagone de 9 %
en valeur au premier semestre et, comme un peu partout
dans le monde, la piraterie est l'une des raisons invoquées
par l'industrie musicale. Du coup, c'est le branle-bas
de combat chez les producteurs, les artistes et les législateurs.
A l'heure où la RIAA poursuit 261 particuliers aux Etats-Unis,
les utilisateurs français du peer-to-peer sont en droit
de se demander où leurs téléchargements vont les mener.
On
ne connaît pas le nombre exact d'utilisateurs du P2P
en France. Les dernières estimations en date,
réalisées par NetValue, estiment à plus
de 20% la proportion d'internautes français ayant déjà
téléchargé de la musique sur Internet, soit plus de
5 millions de personnes. Parmi eux, 20 % mettraient
en partage la musique qu'ils téléchargent. Autre indication,
fournie un FAI
français et citée par le
Forum des Droits de l'Internet : moins de 1% des
abonnés ADSL seraient à l'origine de plus de 50 %
du trafic peer-to-peer.
Ce
sont ces utilisateurs intensifs du P2P qui sont les
plus susceptibles d'être inquiétés si des actions comparables
à celles de la RIAA voyaient le jour en France. La plupart
des internautes ne sont pas de "gros" consommateurs
de téléchargement : la moyenne européenne se situe
à six titres téléchargés par mois et par internaute,
selon Forrester Research. Un niveau de piraterie en-dessous
des radars de l'industrie du disque.
Evolution
des ventes de disques en France (en valeur)
|
Evolution
sur 1 an
|
2001-2002
|
2002-2003
|
T1
|
+
5 %
|
-
7 %
|
S1
|
+
6 %
|
-
9 %
|
T3
|
+24
%
|
/
|
T4
|
-
5,7 %
|
/
|
Pour l'instant, la RIAA
n'a pas exprimé l'intention de poursuivre les pirates
étrangers qui ne sont pas, il est vrai, soumis
à la loi américaine sur le copyright. L'association
américaine privilégie à l'international
des actions de communication. L'IFPI (Federation of
the Phonographic Industry), représentant l'industrie
musicale dans le monde entier, coordonne ces campagnes
"d'éducation" auprès des internautes.
En août dernier par exemple,
les homologues de la RIAA en Australie, au Canada, au
Danemark et en Allemagne ont envoyé des messages instantanés
aux utilisateurs de P2P, leur rappelant que la distribution
sur Internet sans permission d'uvres protégées par
les droits d'auteur est illégale. Plus tôt dans l'année,
une vingtaine de pays (dont la France) a envoyé à des
milliers d'entreprises et d'établissements scolaires
un "Guide de l'usage et de la sécurité des droits de
propriété littéraire et artistique". Ce guide rappelle
les risques encourus et propose des exemples de notes
de service ou de chartes à diffuser dans les organisations.
Un site web dédié à la
promotion de la musique légale en ligne, Pro-music.org,
a également vu le jour en mai sous l'égide de
l'IFPI. Des versions nationales de ce site sont prévues
à terme. Mais pour l'instant, seule l'Allemagne
dispose d'une version locale de ce site de sensibilisation.
En France, les poursuites
individuelles seraient légalement possibles.
Mais elles ne sont pas souhaitées par les principaux
représentants de l'industrie musicale. Le Syndicat national
de l'édition phonographique (Snep), dont les membres
(producteurs, fabricants, éditeurs, distributeurs) représentent
80 % du chiffre d'affaires du marché du disque,
propose plutôt d'"obliger les opérateurs, notamment
les FAI, à coopérer effectivement à la lutte contre
la piraterie sur les réseaux, dont ils profitent activement"
et de "fixer des dommages forfaitaires punitifs minimums".
Même son de cloche à la
Société Civile des Producteurs Phonographiques (SCPP),
l'équivalent de la Sacem pour les producteurs et les
interprètes, qui dispose d'un Bureau Anti-Piraterie.
"Nous ferons tout pour ne pas en arriver là, commente
Marc Guez, son directeur général. Ce n'est l'intérêt
de personne. Nous avons prévu d'agir en fermant l'accès
aux contenus, mais pour cela nous attendons la transposition
des directives européennes sur le commerce électronique."
La directive européenne
sur le commerce électronique devrait normalement être
transposée en Droit français avant la fin de l'année.
Le texte a déjà été voté en première lecture à l'Assemblée
nationale, et il doit encore être avalisé par le Sénat.
En s'appuyant sur cette
directive, il s'agit concrétement pour l'industrie
du disque française de demander aux FAI de mettre
en uvre les technologies à leur disposition pour que
les utilisateurs des réseaux P2P ne trouvent plus les
fichiers qu'ils cherchent. "L'idée, c'est d'appauvrir
l'offre sur plusieurs années, pour décourager les pirates,
poursuit Marc Guez. Mais les FAI traînent des pieds,
ils attendent le dernier moment pour le faire. Au pire,
nous entamerons une action en justice pour aboutir à
la coupure de l'accès."
Jérôme Roger, directeur
général de l'Union des Producteurs Français Indépendants
(UPFI), confirme cette position. "Je ne pense pas que
la politique de répression de la RIAA qui consiste à
criminaliser les internautes soit très efficace. Plutôt
que de s'en prendre aux internautes, je préfère responsabiliser
les fournisseurs d'accès à Internet."
A côté des dispositions
législatives censées réorganiser le marché, les
plates-formes légales de téléchargement sont le deuxième
axe de travail de l'industrie du disque. "C'est bien
qu'elles existent, note Marc Guez, de la SCPP. Mais
il faudrait une offre plus attractive, en termes de
prix et de fonctionnalités. Nous sommes prêts à faire
des efforts sur les prix, car sur Internet la faiblesse
des marges peut être compensée par les volumes et l'absence
de coûts variables. Mais plus la sécurité de ces plates-formes
contre le piratage sera garantie, plus nous serons flexibles",
confie-t-il.
Finalement, les internautes
français s'en tireront peut-être sans procès, avec en
prime des services de téléchargement légaux plus attractifs,
au son de meilleure qualité et aux offres moins complexes.
Reste à savoir sous quelle forme seront transférés les
coûts de restructuration du marché
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