Le jeu d'argent en ligne avance
vers la légalisation. Si les casinotiers français
préfèrent ne pas monter au combat contre
le monopole de la Française des Jeux, dans d'autres
pays, la situation commence à évoluer. C'est
le cas actuellement en Italie où les autorités
ont porté plainte conte un agent italien travaillant
pour un bookmaker britannique. La Cour de Justice des
Communautés Européennes (CJCE) vient d'émettre
un avis sur cette affaire pouvant laisser penser que le
développement des jeux d'argent en ligne (casinos,
loteries, paris) en Europe va connaître son véritable
essor dès l'année prochaine. Thibault Verbiest,
avocat aux barreaux de Bruxelles et Paris, analyse ce
nouvel arrêt et les conséquences qui en découlent
pour le cas français.
JDN.
Quelle est l'origine de cette affaire et quels sont
les motifs avancés par la Cour de Justice des Communautés
Européennes pour justifier cette décision ?
Thibault
Verbiest. L'Etat italien a engagé des poursuites
pénales à l'encontre de Piergiorgio Gambelli,
un agent qui travaillait pour le compte d'un bookmaker
britannique du nom de Stanley International Betting.
Ce bookmaker a une licence tout à fait légale
pour l'Angleterre et agit en parfaite légalite
outre-Manche. Il est aussi actif dans d'autres pays
via l'Internet et le téléphone, notamment
dans des pays européens. Au nom de Stanley, Piergiorgio
Gambelli récoltait des paris en Italie et les
transmettait par le Web. Les autorités italiennes
ont décidé de le poursuive pénalement
pour violation de la législation italienne qui
réserve l'oganisation et la collecte de paris
à des opérateurs italiens titulaires d'une
concession (c'est un peu le même système
que les casinos en France). Gambelli a rétorqué
qu'il travaillait pour une société anglaise
soumise à des contrôles strictes et que
l'empêcher de poursuivre son activité était
selon lui une violation du droit européen qui
garantie notamment la liberté de prestation de
services. La Cour italienne, qui devait se prononcer
sur la compatibilité du droit italien avec le
droit européen, a préféré
saisir la CJCE pour la questionner sur le sujet. C'est
une démarche assez courante et, dans ce cas,
l'avis est obligatoire. Il est évident que, quand
la CJCE a rendu un arrêt, celui-ci fait autorité
dans le reste de l'Europe.
Or,
dans ce cas, la Cour a dit que la législation
italienne était effectivement une entrave à
une liberté fondamentale du marché commun.
Dans le cas d'une restriction ou d'une entrave, en droit
européen, les Etats membres qui imposent ces
restrictions peuvent invoquer des motifs d'intérêt
général et demander une exception à
la règle. Cependant, dans notre cas, la CJCE
a d'ores et déjà indiqué qu'elle
estimait que le gouvernement italien ne pourrait pas
invoquer la protection du consommateur pour empêcher,
car il promeut dans son pays des jeux d'argent plutôt
que de tenter de protéger les consommateurs.
En effet, en Italie il y a de plus en plus de casinos
autorisés, d'agences de paris sportifs organisés,
car c'est une source de revenus supplémentaires
pour l'Etat italien. On ne peut pas d'un côté
promouvoir des jeux dans son pays pour faire rentrer
de l'argent et, en même temps, invoquer la protection
du consommateur pour interdire à d'autres opérateurs
légaux dans d'autres Etats membres d'en faire
de même sur votre territoire. In fine,
la CJCE a renvoyé la question à la cour
italienne. Elle s'est contentée d'émettre
un avis sans condamner de manière explicite et
elle laisse aujourd'hui à la cour italienne la
liberté de mettre en pratique les principes que
la CJCE vient de dégager pour condamner ou non
l'Etat italien. Reste que cela laisse, selon moi, une
marge de manoeuvre minime à la cour italienne...
Quel
impact a cette décision pour la France et pour
les autres pays européens qui sont dans le même
cas ?
En
France, ceux qui sont visés par l'arrêt
Gambelli, c'est La Française des Jeux et le PMU,
qui proposent déjà des offres de services
interactifs. La Française des Jeux propose des
jeux de loteries et des jeux de paris. Le PMU est présent
en télévision interactive et bientôt
sur Internet. Un argument similaire à l'Italie
pourrait être soulevé en France, où
l'Etat n'a plus de politique visant à contenir
la passion du jeu. Au contraire, de nouveaux services
sont développés et le marché est
en cours d'élargissement. Dans ce cas, il ne
faut pas se plaindre si des concurrents européens
s'immiscent sur le marché par le biais d'Internet
et du téléphone. Cela ne met pas en cause
le monopole de La Française des Jeux ou du PMU
mais autorise des acteurs de la Communauté européenne
à proposer leurs services aux citoyens français.
On peut imagnier que demain des bookmakers anglais visent
explicitement la France sans que La Française
des Jeux puisse s'en plaindre, parce qu'ils ne font
que la concurrencer sur un terrain où elle-même
pratique des règles de marketing agressif. C'est
simplement l'application des règles de la concurrence.
Depuis
quels pays, les prochains acteurs susceptibles de débarquer
en France seront-ils originaires ?
Les
Anglais sont les mieux placés pour cela. D'autant
plus qu'en 2004, le gouvernement anglais va autoriser
les casinos à opérer sur Internet, donc
il ne s'agira pas seulement de bookmakers de paris sportifs.
De plus, il faut regarder du côté de Malte
qui va devenir un Etat membre de l'Union Européen
en 2004. Là-bas, n'importe quel opérateur
qui satisfait aux conditions légales peut obtenir
une licence pour opérer sur Internet des jeux
de casinos. Dans ce cas, il ne faut même pas être
un casinotier pour pouvoir opérer un casino virtuel.
Il est donc clair qu'à partir de 2004, l'arrêt
Gambelli va avoir des conséquences énormes
car de plus en plus de pays vont commencer à
autoriser certains types de jeux sur Internet (paris
sportifs, casino, loterie). La condition est bien sûr
que les opérateurs soient soumis à des
contrôles sérieux dans leur pays d'origine
pour garantir la légalité de ces activités
(audits des logiciels, paiement des joueurs, etc.).
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