Le processus est lancé. A la mi-juillet, le gouvernement
avait donné un coup d'accélérateur au
dossier du piratage musical en ligne lors de la réunion
de concertation entre les professionnels du disque et les
fournisseurs d'accès (cf article
du 16/07/2004). Finalement, après moulte discussions
jusque tard dans la nuit, au matin du 28 juillet, la charte
a été signée à l'Olympia sous
l'égide de Nicolas Sarkozy, ministre de l'économie,
des finances et de l'industrie.
Les signataires de la charte anti-piraterie composent
l'ensemble de la filière musicale : des auteurs et
compositeurs via l'Unac (Union nationale des auteurs et compositeurs),
le Snac (Syndicat national des auteurs et compositeurs) et
la SEAM (Société des éditeurs et auteurs
de musique), aux éditeurs et producteurs via le Snep
(Syndicat national de l'édition phonographique), l'UPFI
(Union des producteurs phonographiques indépendants),
la SCPP (Société civile des producteurs phonographiques),
la SPPF (Société civile des producteurs de phonogrammes
en France), la Sacem, la CSDEM (Chambre syndicale de l'édition
musicale) et la CEMF (Chambre syndicale des éditeurs de musique
en France). L'Adami n'a pas pris part aux négociations.
Les FAI, au centre de la problématique du téléchargement,
étaient présents eux aussi via l'AFA (Association
des fournisseurs d'accès et de services Internet),
Tiscali, Wanadoo, Noos, SFR-Cégétel et Free.
Dernier secteur représenté, les distributeurs.
On a ainsi remarqué la présence de François
Momboisse, signataire de la charte, président de la
Fevad (Fédération des entreprises de vente à
distance) et directeur général de Digifnac. L'objectif de
la charte, en termes de production musicale, est de doubler
le volume des titres disponibles sur les pateformes légales
de téléchargement d'ici à la fin de l'année
(ils passeraient de 300.000 à 600.000). "La Fnac
a exercé une forte pression dans le cadre des négociations
pour la charte définitive, a fait remarquer le président
du Snep. Mais il n'est pas concevable de brader le prix du
titre, quel que soit le distributeur légal."
Pas étonnant donc qu'au niveau gouvernemental, les
représentants politiques correspondant aux différentes
parties prenantes soient tous impliqués sur le dossier.
Au rendez-vous, trois ministres : Renaud Donnedieu de
Vabres, ministre de la culture et de la communication, Patrick
Devedjian, ministre délégué à l'industrie, tous deux placés
sous le patronnage de Nicolas Sarkozy.
Chacun des ministères avait clairement son mot à
dire : "Les termes du texte ont été
revus et corrigés pour arriver à la définition
finale du contenu de la charte. L'ambiance est restée
pesante jusqu'à la fin des négociations",
explique Gilles Bressand, président du Snep.
Le document se présente comme une somme d'"engagements
pour le développement de l'offre légale de musique
en ligne, le respect de la propriété intellectuelle
et la lutte contre la piraterie numérique". Le
constat de base est sans ambiguité : la charte
reconnaît l'intérêt du développement
de l'économie numérique et du haut débit
pour la création artistique et les consommateurs.
D'ou la nécessité de parvenir à un accord
de grande envergure, engageant l'ensemble des protagonistes
de la filière musicale. "La charte constitue une
première étape dans le développement
de l'offre légale de téléchargement de
musique en ligne", a commenté Marie-Christine
Levet, présidente de l'AFA.
Les FAI s'engagent à mener, pour leur part, une campagne
de communication auprès de leurs abonnés et
à cesser de jouer sur la corde du téléchargement
musical pour vanter les mérites du haut débit.
Dernier point, et non des moindres : ils s'engagent à
résilier un contrat d'abonnement en cas de téléchargement
pirate avéré.
Mais sur le plan technique et juridique, les FAI n'ont au
final qu'une obligation d'information à destination
de leur clientèle, via un "processus automatisé
(...) prévoyant d'adresser un message personnalisé
à tout abonné offrant ou téléchargeant
illégalement des fichiers protégés",
précise la charte. "Pour pouvoir alerter nos abonnés,
ce sont les ayants-droits eux-mêmes qui nous communiqueront
trois informations : une adresse IP, une date et une
heure", a indiqué Hervé Simonin, directeur
général de Tiscali France. Les FAI ne pratiquent
ainsi pas de délation et suivent, en quelques sorte,
une obligation juridique morale, dans le cadre du respect
du reversement des droits d'auteurs aux ayants-droits. Et
c'est le juge, et lui seul, qui pourra statuer sur les éléments
probants, dans le respect de la "loi informatique et
liberté".
Les
FAI informent,
c'est le juge
qui condamne |
Des messages électroniques informatifs tels que prévus
dans la charte ont déjà été testés
par certains fournisseurs d'accès en France, comme
Noos, Club-Internet ou AOL. "Mais la loi informatique
et libertés restait un frein à ce niveau",
ajoute Hervé Simonin.
Reste que la refonte de cette même loi a déjà
été engagée (cf article
du 20/07/2004). Les modifications introduites, si elle
sont validées par le Conseil Constitutionnel, permettraient
à la Cnil d'avoir accès aux fichiers sensibles
du secteur privé et aux FAI de résilier plus
facilement les abonnements.
Enfin, sur la question du filtrage des réseaux peer-to-peer,
les mesures engagent tous les protagonistes de concert avec
les pouvoirs publics. Rappelons que le Snep avait commandité
auprès de Capgemini une étude de faisabilité
pour une solution de filtrage permettant de bloquer les échanges
illégaux de données sur les réseaux P2P (cf article
du 22/07/2004).
Un filtrage qui se présente sous forme de contrôle
parental, avec déclaration volontaire des internautes,
et que les experts mobilisés pourraient activer dans
le cadre d'une phase de test, avec l'aide des FAI. "Les
modalités et le calendrier concernant le filtrage doivent
être précisés dans les semaines à
venir", explique Hervé Simonin, directeur général
de Tiscali France. Les différents signataires de la
charte prévoient de se réunir tous les deux
mois pour observer les avancements du dossier.
La
réaction de l'UFC-Que Choisir
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L'association
de défense des consommateurs réfute les
fondements mêmes de la charte, sous-tendue par
l'idée que le peer-to-peer serait la cause essentielle
de la crise du disque. Elle condamne le mouvement de
répression qu'est supposé engendrer le
texte. "Il est profondément regrettable que l'occasion
ait été manquée d'amorcer enfin une réflexion sur la
possible légalisation du P2P assortie d'une juste rémunération
des ayants droit. Au lieu de cela, seuls des intérêts
catégoriels sont préservés, au mépris des potentialités
qu'offrent les nouvelles technologies à l'universalité
des consommateurs", soutient Alain Bazot, président
de l'UFC-Que Choisir.
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