ans
une salle de réunion anonyme, au septième étage d'un immeuble
moderne du huitième arrondissement de Paris, rien ne rappelle
au visiteur qu'il se trouve dans l'antre de Free. Rien, si
ce n'est le polo de son président, Cyril Poidatz, marqué aux
couleurs du FAI. Récemment nommé à la tête du conseil d'administration
du groupe Iliad, suite aux mésaventures judiciaires de Xavier
Niel, Cyril Poidatz affiche une décontraction polie, matinée
d'une réserve toute présidentielle.
Aux manettes du groupe depuis six ans, Cyril Poidatz est l'homme
de l'ombre. Entré en 1998 au poste de directeur général d'Iliad,
il s'exprime peu et confie à Michaël Boukobza, avec lequel
il partage son bureau, le rôle de grand communiquant. "Il
est plus simple pour tout le monde qu'il n'y ait qu'un seul
interlocuteur, un référent. En plus, Michaël a un certain
talent pour cela et ça lui plaît", précise-t-il.
Même s'il concède que sa nouvelle fonction l'expose
davantage au monde extérieur, la discrétion de l'homme
est révélatrice de son rôle au sein de l'équipe de direction.
Au jeu des tiroirs, il se laisse de bonne grâce ranger dans
la case "gestionnaire", accordant volontiers à Xavier Niel celle
du "visionnaire". "J'ai été recruté pour cela, dit-il. Xavier
est une boîte à idées à lui tout seul, mais il n'aime guère
gérer le quotidien et ne le fait pas du tout."
Au regard de cette analyse, la présentation en photos
de l'équipe dirigeante, sur le site Web du groupe, est assez
éloquente : on y voit Cyril Poidatz, en chemise bleue, le
nud de cravate étudié, offrant l'image traditionnelle et
rassurante du chef d'entreprise. Une autre photo se détache,
la seule en noir et blanc, celle d'un Xavier Niel au regard
mystérieux. Michaël Boukobza, sans cravate, renvoie lui l'image
jeune et dynamique de Free. Quant à Rani Assaf, le directeur
technique qui ne s'exprime jamais publiquement, hormis ses
annonces sur les newsgroups, sa photo est désespérément absente.
Né le 8 mai 1961, l'homme à la cravate affiche un
parcours classique, bien loin de l'image nerveuse de Free.
Diplômé de l'ESC Rouen, où il choisit de se spécialiser dans
la finance, Cyril Poidatz débute sa carrière en 1985 chez
Coopers&Lybrand, comme auditeur. En 1988, il intègre la société
de conseil en technologie Cap Gemini, où il occupe tout d'abord
la fonction d'auditeur interne, ce qui l'amène à se déplacer
très souvent en Europe et aux Etats-Unis, et à prendre en
charge plusieurs dossiers d'acquisition. Il s'expatrie ensuite
à Rome où il devient Chief Financial Officer, position qu'il
conserve pendant sept ans. Durant ces années, il avoue qu'il
n'imaginait pas diriger un jour une entreprise comme Iliad.
Rien ne l'y prédestinait, il est vrai, et son entrée dans
le groupe est avant tout le fruit d'une rencontre. Contacté
par un chasseur de têtes pour le poste de directeur général
d'Iliad, il s'entretient avec Xavier Niel, qui le convainc
de le rejoindre. "J'ai beaucoup d'admiration pour Xavier.
C'est un homme qui a une vraie vision stratégique du marché
et des évolutions technologiques. Il est rare de trouver quelqu'un
qui puisse vous l'expliquer d'une façon aussi claire que ça".
Le
terme trublion nous correspond mieux" |
Fin 1998, Cyril Poidatz se retrouve plongé dans la nouvelle
économie. Un coup de coeur. "Free est une entreprise
dynamique, une boîte à idées, c'est l'agitateur de l'Internet.
Nous essayons d'offrir le bouquet de services les plus innovants
et tenons beaucoup à cet aspect pionnier. C'est ce qui nous
motive tous." C'est dans cette volonté d'aller de l'avant
et cette remise en question permanente qu'il se reconnaît,
plus que dans le côté "techno" ou encore le caractère impertinent
de Free. Une image qu'il comprend, mais qu'il tient à pondérer.
"Impertinent ne veut pas dire sûr de soi ou arrogant. Le terme
trublion nous correspond mieux, dans le sens malicieux
et qui ne se prend pas au sérieux."
Diriger Free ne s'apparente
pas, pour l'homme, à la simple gestion d'une infrastructure technique.
Chez Iliad, il trouve de nouveaux défis à relever, détecte
de nouveaux talents et profite du bonheur d'une réelle indépendance.
Lui qui, après plusieurs années passées en Italie, avait "l'impression
d'avoir fait le tour", confesse ne pas avoir vu le temps passer
au bout de six ans de bons et loyaux services au sein du groupe
Internet.
Parmi les projets qui l'ont particulièrement intéressé figure,
évidemment, l'introduction en Bourse. Une étape qu'il vécut à sa manière, loin de l'effervescence des observateurs
et du marché. Le qualificatif qui lui vient à l'esprit, à
l'évocation de cette période, est celui de "chronophage".
"L'entrée en Bourse est une étape dans la vie d'une société.
C'est un moment où l'on s'étudie vraiment, où l'on s'arrête
un moment pour analyser la façon dont on est organisé. Cela
permet de rendre les choses un peu plus carrées, de remettre
les pendules à l'heure, ce qui prend beaucoup de temps."
Le
cours de l'action n'est pas une obsession" |
Le succès de l'IPO, le président du conseil d'administration
ne s'en fait pas une montagne. Le cours de l'action "n'est
pas une obsession, je ne le vérifie pas tous les jours".
Sursouscription, prix d'introduction maximum, gains de la
première cotation n'ont même pas donné lieu à de quelconques
festivités en interne. La dernière fois que Cyril Poidatz
a sabré le champagne dans ses bureaux, c'était pour les fêtes
de fin d'année. Cyril Poidatz préfère travailler
consciencieusement.
Et quand il ne travaille pas, il part en voyages, sa grande
passion. Ses escapades l'ont surtout mené en Asie, continent
qu'il affectionne particulièrement. Mais ceux qui l'imaginent
déjà au Japon en train de dégoter les derniers gadgets multimédias
se trompent encore. Cyril Poidatz n'est pas ce qu'on appelle
un "early adopter". Ce n'est pas la dictature de la nouveauté
ou de la technologie qui orientent ses choix. Il aime les
voyages, un point c'est tout.
Sur Internet, l'homme affiche le même recul. Le président
de Free, qui a la chance de disposer de l'ADSL 2+ dans son
logement parisien, n'exploite pas le soir venu et à
domicile les innovations qu'il lance dans la journée. Sa connexion,
il s'en sert surtout pour consulter l'actualité, la météo,
ou pour surfer sur des sites de golf, son autre passion. "Il
y a énormément de sites sur le golf. Certains proposent les
photos des pars, c'est génial." Le haut-débit lui sert malgré
tout, de temps en temps, à télécharger -légalement bien entendu-
de la variété sur son PC. Et, bien sûr, à organiser et réserver
ses voyages. Quinze jours de break à chaque fois, pas
plus, histoire de bien gérer son temps. Le mois prochain,
ce sera l'Inde du Sud.
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