L'affaire est loin d'être terminée. Mais après
plusieurs décisions de justice défavorables
aux utilisateurs de réseaux peer-to-peer en France
et aux Etats-Unis, la semaine passée marque un tournant
dans la bataille engagée par les majors. Point d'orgue
de ce retournement : la confirmation jeudi dernier, par
la cour d'appel de Montpellier, de la relax d'un internaute
qui avait copié et téléchargé
près de 500 films. La cour a estimé qu'il n'y
avait pas là de preuve d'un usage collectif et que
l'accusé n'avait pas diffusé des fichiers en
ligne, au contraire d'Alexis B, condamné à Pontoise
le 21 février dernier.
C'est sur ce point précis que se trouve la principale
explication de cette décision de justice. La cour a
établi une différence entre les téléchargeurs
actifs et les passifs. Sont "actifs" ceux qui, en
plus de télécharger, uploadent les contenus,
c'est-à-dire les distribuent vers les autres utilisateurs.
Sont "passifs" ceux qui désactivent la fonction
sur leur logiciel de partage de fichiers. "Tout semble
dépendre de la manière dont on configure son
logiciel de P2P, en consommateur actif ou passif", note
Etienne Wery, avocat aux barreaux de Paris et de Bruxelles.
Néanmoins,
la décision de la cour d'appel de Montpellier apporte
un élément nouveau sur le fond. Jusqu'ici, l'industrie
du disque soutenait que même une copie privée
était illicite à partir du moment où
la source du fichier ou du disque était elle-même
illicite. "Implicitement, la cour semble considérer
que le 'péché originel' n'a pas lieu d'être,
commente Etienne Wery. Mais même si c'est un coup dur
pour l'industrie, il ne faut pas oublier que l'affaire ne
sera que définitivement tranchée par la cour
de cassation." Il faudra donc attendre encore un peu
avant de savoir si cette décision peut faire jurisprudence.
Autre élément en faveur des téléchargeurs
: le rapport remis par le président de l'Inria (Institut
national de recherche en informatique et en automatique)
Gilles Kahn et par Antoine Brugidou d'Accenture, au ministre
de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres. Dans ce document,
les auteurs indiquent qu'il est impossible pour les FAI de
filtrer les échanges musicaux ou vidéos sur
leur réseau. Ce rapport prend à contre-pied
une étude de Cap Gemini et du Snep (Syndicat national
des éditeurs phonographiques) publiée en
juillet dernier. Cet autre document préconisait de
généraliser l'usage de ces filtres à
tous les internautes, avec une prise en charge du dispositif
par le fournisseur d'accès.
Mais pour le rapport Inria-Accenture, ce système serait
trop coûteux, économiquement et techniquement,
et dégraderait la qualité de service sur le
Net. L'Afa
(Association des fournisseurs d'accès et de services
Internet) s'est félicitée de cette analyse.
Les auteurs de l'étude en appellent donc à un
usage volontaire de ces filtres, à la manière
du filtrage parental. Une stratégie qui limiterait
évidemment la portée de la mesure.
En revanche, le rapport évoque la possibilité
de mettre en place des radars, afin d'analyser le trafic sur
Internet et de repérer d'éventuels pirates.
Ces radars, automatisés ou ponctuels, serviraient exclusivement
à faire de la prévention, en diffusant des messages
d'alerte aux téléchargeurs illégaux.
Filtrage ou radars, reste à clarifier le rôle,
voire la responsabilité, des FAI dans ce paysage. Sur
ce point, aucune décision de justice n'est pour l'heure
tombée en France, à la différence d'autres
pays européens. Et l'on comprend mieux l'attentisme
de la justice française à la lecture des verdicts
européens. Des verdicts bien souvent contradictoires.
En Belgique, un tribunal a estimé que le filtrage n'était
pas du ressort des FAI. Au Royaume-Uni, un autre tribunal
a au contraire suivi l'avis de la British Phonographic Industry
concernant l'idée d'un contrôle effectué
par les fournisseurs d'accès.
Dans ce brouhaha européen, la justice française
cherche à arrêter une ligne de conduite. Et ce
n'est pas le Snep qui va lui aider à clarifier sa position.
Le Syndicat des éditeurs phonographiques vient de reconnaître
la légalité du logiciel Station Ripper. Etonnant
quand on sait que ce système permet de rechercher et
de télécharger des fichiers musicaux au format
MP3 diffusés sur les web-radios. Une véritable
mine d'or pour les amateurs de téléchargement,
même si la qualité des morceaux est variable. "Cela
montre au moins une chose, affirme Etienne Wery. C'est à
l'industrie de la musique de proposer des outils permettant
une utilisation légale du téléchargement."
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