Parmi les multiples révolutions engendrées par l'Internet haut
débit, celle de l'image est l'une des plus prometteuses. A peine
sur les rails, les offres de contenus audiovisuels sur IP ou
sur mobiles suscitent déjà de grands espoirs de revenus financiers
du côté des diffuseurs. Mais également des inquiétudes du côté
des autorités publiques. S'il n'existe aujourd'hui que peu de
programmes audiovisuels dédiés exclusivement aux nouveaux canaux
de diffusion que sont les lignes ADSL ou les réseaux mobiles
de troisième génération, et tout aussi peu d'utilisateurs, Bruxelles
pour sa part ne doute pas de l'essor de ce phénomène à terme. Décidée à prendre
le taureau par les cornes, la Commission a publié
le 12 juillet dernier cinq propositions visant à élargir
le cadre de la législation communautaire sur le contenu audiovisuel
aux réseaux électroniques.
Ces conclusions sont tirées des travaux de quatre groupes de
réflexion composés d'experts et de parties prenantes, dans le
cadre de la révision de la directive "Télévision sans frontières"
(TVSF) de 1989, qui établit le cadre réglementaire des activités de radiodiffusion télévisuelle dans l'Union européenne.
Selon le bulletin publié par Bruxelles, le constat est sans appel : "le
secteur audiovisuel européen connaît actuellement des changements
considérables. Les opérateurs de télécommunications seront bientôt
en mesure de fournir des services de radiodiffusion d'une qualité
égale à celle de la télévision classique, et les fournisseurs
traditionnels de contenus feront leur entrée sur le marché des
télécommunications. Les consommateurs regarderont de plus en
plus des contenus audiovisuels n'importe quand, n'importe où
et sur n'importe quelle plate-forme technique (téléviseur, ordinateur,
téléphone portable, assistant numérique personnel, etc.). Pour
tenir compte de cette évolution, les dispositions actuelles
de "Télévision sans frontières" devront être remplacés pas des
règles modernes plus souples."
La première décision consisterait donc étendre la
définition de "service de contenu audiovisuel" à la fourniture
d'images par des réseaux électroniques. La commission propose
de retenir deux niveaux de réglementation : l'un pour les
services audiovisuels dits "linéaires", qui seraient soumis
à des règles dérivées de celles de la directive TVSF mais "allégées
et modernisées", et l'un pour les services audiovisuels "non
linéaires", faisant l'objet d'une réglementation à étudier au
cas par cas. Par services audiovisuels non linéaires, Bruxelles
entend tous les services à la demande (vidéo à la demande, services
d'information basés sur le Web, etc.). La notion de services
audiovisuels linéaires couvre à l'opposé les services programmés
sur lesquels le téléspectateur n'exerce aucun contrôle sur le
temps de transmission, ce qui inclut non seulement la télévision
traditionnelle, mais également la diffusion sur le Web en streaming.
Certaines propositions recueillent d'ores et déjà l'unanimité
parmi les acteurs concernés, comme le respect d'obligations
fondamentales portant sur la protection des mineurs et de la
dignité humaine, la garantie d'un droit de réponse ou encore
l'identification des communications commerciales. D'autres,
plus contestées, pourraient bien influencer de manière significative
le futur paysage audiovisuel des nouvelles technologies de la
communication.
Obligation
de diffuser des oeuvres européennes |
L'une des pistes de réflexion de la Commission porte notamment
sur la promotion des productions audiovisuelles européennes
et indépendantes. Selon les articles 4 et 5 de la directive
TVSF, les organismes de radiodiffusion télévisuelle doivent
réserver de leurs temps de d'émission une part minimale de 10
% aux productions indépendantes et une part majoritaire
aux uvres européennes. La question est de savoir si la logique
des articles 4 et 5 de la directive doit couvrir les services
non linéaires, comme la vidéo à la demande.
"Les services non linéaires offrent de plus en plus de contenus
audiovisuels présentant un potentiel élevé du point de vue des
parts de marché et des bénéfices. Par conséquent, des entreprises
de taille moyenne (radiodiffuseurs) dont l'activité se déroule
dans un environnement très réglementé en ce qui concerne les
contenus qu'elles distribuent, doivent de plus en plus faire
face à la concurrence d'entreprises généralement plus grandes
(fournisseurs de services et opérateurs de télécommunications).
Une possibilité de créer des conditions de concurrence plus
équitables entre toutes les plates-formes de distribution consiste
au moins à adresser, à l'échelon européen, un signal politique
pour montrer qu'on attend des nouveaux services non linéaires
qu'ils contribuent à la promotion des uvres européennes. Une
telle contribution est techniquement faisable, elle pourrait
prendre la forme d'exigences relatives aux investissements ou
au catalogue", estime pour sa part la Commission. Des voix s'élèvent
cependant du côté des opérateurs de services IP qui qualifient
cette contrainte de "fardeau pour une industrie naissante".
Aucune
limite quantitative à la publicité |
L'autre grand volet de révision concerne la publicité. La directive
TSVF comporte actuellement des interdictions sur des domaines
de santé publique (alcool, tabac et médicaments). La question
est de savoir si de telles règles doivent faire partie du socle
commun de normes applicables à tous les espaces publicitaires
audiovisuels. Les organisations représentant les annonceurs
et agences de publicité, les radiodiffuseurs privés ainsi que
les opérateurs de télécommunications estiment pour leur part
que les communications commerciales audiovisuelles à la demande
requièrent une protection moindre du consommateur. Les organisations
de consommateurs et les radiodiffuseurs de service public sont
favorables quant à eux à l'application des mêmes règles aux
services non linéaires, compte tenu du temps passé par les jeunes
devant Internet.
Au stade actuel du dossier, la Commission penche en faveur d'une application uniforme
des règles actuelles sur les produits du tabac et l'alcool.
En revanche, s'agissant des publicités relatives aux produits
pharmaceutiques, une option pour les services de vidéo à la
demande pourrait consister à autoriser une information objective,
"suivant des normes établies par des organismes nationaux d'autorégulation
de la publicité". Autre bonne nouvelle pour les annonceurs du
Web : aucune limite quantitative ne semble se profiler
pour les services non linéaires - contrairement aux services
linéaires qui sont limités à 12 minutes de plages publicitaires
par heure -, car "pour des services à la demande, de telles
limites quantitatives font peu de sens", précise le rapport
de la Commission.
Cette consultation publique est ouverte à toutes les parties
intéressées jusqu'au 5 septembre. Dans ce cadre, Viviane Reding, commissaire européen en charge de la Société de l'information et des médias, a reçu hier, mardi, une délégation de l'ACT (Association de la télévision commerciale en Europe). Présidée par Nicolas de Tavernost, président du directoire de M6, l'ACT regroupe vingt-cinq chaînes et opérateurs européens dont Canal Plus, M6 et RTL. Suite à cette consultation publique, la Commission
présentera une proposition pour la nouvelle législation communautaire,
d'ici la fin de l'année 2005.
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