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Bernard Benhamou : "l'UE ne peut accepter que les Etats-Unis aient seuls le contrôle de l'Internet" |
Maître de conférence à Sciences Po, Bernard Benhamou décrypte les enjeux du Sommet mondial sur la société de l'information qui s'ouvre mercredi à Tunis, et résume les positions des forces en présence. D'un côté : les Etats-Unis. De l'autre : le reste du monde.
(16/11/2005) |
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(modifié le 23/11/05 à 10h40) La deuxième phase du Sommet mondial sur la société de l'information
(SMSI), qui a pour but de mettre en uvre un plan d'action concernant
la gouvernance de l'Internet et ses mécanismes de financement,
s'ouvre à Tunis le 16 novembre, pour trois jours. Depuis samedi
dernier, les négociations pour tenter de trouver un compromis
sur la question du contrôle de l'Internet battent leur plein.
D'un côté : les Etats-Unis, qui font pression pour garder
la main sur l'Icann, unique dépositaire de l'attribution des
noms de domaine. De l'autre : le reste du monde. La France,
seul pays, avec les Etats-Unis, à avoir délégué un ambassadeur
dédié pour la négociation, en la personne de Jean-Michel Hubert,
a pris part très activement à la définition de la position de
l'Union Européenne. Bernard Benhamou, maître de conférence pour
la société de l'information à Sciences Po, explique cette position
et revient sur les enjeux de la négociation.
JDN. Quels
sont les principes qui seront défendus par la France et l'Union
Européenne lors du SMSI ?
Bernard
Benhamou. La position européenne, présentée lors du dernier
Comité préparatoire à Genève en septembre dernier, est en accord avec les grandes lignes des positions exprimées par la France. C'est une position médiane qui a
pour but d'élaborer une coopération multilatérale sur la gouvernance
de l'Internet. Jusqu'ici ce sont les États-Unis qui ont assuré les fonctions de supervision des infrastructures critiques de l'Internet comme le DNS. L'UE souhaite qu'à l'avenir, soit instauré
un nouveau modèle de coopération internationale pour la gouvernance de l'Internet valider les grands principes
qui seront mis en uvre. La position européenne s'attache aux
principes fondamentaux de transparence et de démocratie, mais aussi aux principes généraux de l'architecture de l'Internet, tels qu'ils avaient été rappelés par
la France en décembre 2004, à savoir
l'interopérabilité, l'ouverture, et le principe de neutralité
ou end to end. Le principe de neutralité veut que le réseau
se comporte uniquement comme un transporteur, et qu'il n'y ait pas d'autorité
centrale au sein de celui-ci. C'est en particulier ce principe qui a permis de développer l'essentiel des grandes applications de l'Internet : le Web, le peer-to-peer
L'Europe est confrontée à deux positions
extrêmes. Celle des Etats-Unis, qui réclament le statu quo,
mais seraient cependant prêts à accepter un forum de discussion international tant qu'il n'a pas de pouvoir exécutif.
Et celle de pays comme la Chine, l'Iran et le Brésil, qui veulent
une mainmise claire des Etats, et élaborent une vision étatique de
la gouvernance. Ce n'est pas
la position défendue par l'Europe, pour laquelle il est question de maintenir une relation étroite
avec l'industrie et les acteurs de la société civile. Il ne s'agit pas de remettre en cause les structures existantes comme l'Icann mais de faire en sorte que son contrôle soit assuré par un groupe collégial de pays et non plus le seul département du commerce américain.
Qu'ont donné les pourparlers ?
Face à la proposition de l'UE,
les Américains ont entamé un marathon
diplomatique dans le but d'infléchir la position de l'Union
avant l'ouverture du Sommet. A la demande de George Bush, la secrétaire d'Etat Condoleeza Rice a envoyé
une lettre aux ministres de l'Union Européenne pour leur demander
de revoir leur position. Le Congrès a lui aussi été mobilisé pour soutenir la position gouvernementale américaine. Nous allons donc vers une négociation très dure, mais
c'est pour les Etats-Unis extraordinairement dangereux. 53 %
du commerce électronique mondial est déjà réalisé
hors Etats-Unis et cette tendance va se confirmer. A l'heure ou l'Internet devient le moteur de la croissance des pays développés mais aussi des pays émergents, les citoyens
non américains souhaitent que leurs pays exercent une souveraineté
sur le fonctionnement d'un système crucial pour leurs économies. De nombreux chercheurs aux Etats Unis reconnaissent d'ailleurs que les positions américaines ne seront pas tenables sur le long terme.
Au-delà de la gestion de l'architecture
du réseau, quelles sont les implications des débats sur le contrôle
de l'Internet ?
L'Internet des machines,
tel que nous le connaissons, va migrer vers un Internet qui
connectera toutes sortes de terminaux : téléphones mobiles, télévision, automobile,
mais aussi les objets du quotidien comme comme les vêtements ou les produits alimentaires, qui seront équipés de puces
RFID. Chaque objet sera alors lié à des informations présentes sur le réseau via l'ONS, ou Object Name System, qui est lui- même un sous-ensemble du DNS. Ces deux systèmes assureront donc le contrôle non seulement des flux d'informations mais aussi de biens et de produits et à terme des déplacements des personnes qui porteront ces objets. Les Européens ont compris que l'enjeu n'est pas uniquement
symbolique. Il s'agit pour les pays de l'Union de préparer le terrain pour que
les industries du secteur des technologies de l'information
puissent être compétitives, en Europe et pas seulement aux Etats-Unis.
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