JDN.
Que retenez-vous des événements survenus au premier semestre
sur le Net, plus spécifiquement dans le domaine audiovisuel ?
Quelles ont été les bonnes et mauvaises surprises dans votre
activité ?
Mihai
Crasneanu. D'une part, on constate une croissance exceptionnelle
de la vidéo légale en France : le marché du téléchargement
légal représente plus de deux millions de personnes,
largement plus que dans les autres pays européens. Et au vu
de l'accélération de ces derniers mois, on peut considérer
que ce marché va probablement doubler, voire tripler d'ici
la fin de l'année. D'autre part, nous avons vu apparaître
une segmentation du marché, reflet de deux univers de consommation
différents : d'un côté les "zappeurs", grands consommateurs
de vidéos, qui passent leur temps à télécharger des vidéos
courtes et gratuites sur YouTube et Daily Motion, dans le
genre de ce que l'on voit au zapping de Canal Plus. Et de
l'autre, l'univers des contenus "premium", pour lesquels les
personnes sont prêtes à payer. Au départ, nous pensions que
les contenus "zapping" allaient prendre le pas sur les seconds,
mais en fait les deux coexistent. La vraie perdante serait
plutôt la télévision classique, car les consommateurs
ne souhaitent plus être soumis à des horaires fixes.
En ce qui concerne Glowria, nous avons levé quatre millions
d'euros (lire l'article
du 31/03/06), qui nous ont permis de nous internationaliser, d'abord
en Allemagne où nous avons acheté deux sociétés de location,
afin d'y devenir numéro deux. En étant présents
en France et en Allemagne, nous devenons un leader européen.
Ensuite, nous avons lancé la vidéo à la demande
(VoD)
à la fin du premier semestre, et nous avons également
signé en juin des accords avec Neuf Cegetel afin de fournir
des contenus à leurs abonnés haut débit. Nous avons embauché
une cinquantaine de personnes en France et une trentaine en
Allemagne, en particulier dans les domaines technologiques,
mais aussi pour le marketing et l'acquisition des contenus.
Nous avons également signé des contrats importants,
notamment avec Warner. La seule mauvaise surprise, c'est que
la coupe du Monde nous a volé la vedette ! En juin, nous
avons dû faire face à une baisse d'activité d'environ 25 %,
alors que notre activité était en plein boom. Nous nous sommes
quand même battus en lançant le site Sauvez-moidufoot.com,
à base de vidéos virales, pour générer du trafic sur le site.
Quels
sont vos projets pour le semestre à venir ?
Nous pensons lancer un système de VoD gratuit
qui serait financé par la publicité, notamment dans le cadre
du partenariat avec Neuf Cegetel. Les programmes concernés seront
probablement issus d'anciens catalogues. En outre, nous prévoyons
une signature avec un gros partenaire média, pour lequel
nous allons développer une plate-forme en marque blanche en
Europe. Plus généralement, nous pensons à vendre notre savoir-faire
dans ce domaine à des fournisseurs d'accès qui souhaitent lancer
leur service VoD mais qui n'ont aucune expertise de la fourniture
de contenus, que ce soit sur le câble ou l'ADSL. En Espagne,
où seul France Télécom est présent avec Telefonica,
nous avons tenté quelques approches, et en Allemagne nous allons
également intensifier notre présence à la rentrée, que ce soit
en BtoB ou avec notre marque. Dans cette optique nous devons
diversifier notre offre en enrichissant nos catalogues. Actuellement,
le catalogue VoD compte 800 titres, mais nous prévoyons d'arriver
rapidement à 12.000. Nous comptons recruter environ quatre personnes
pour nous y aider.
Quelles sont vos attentes pour les
six mois à venir au niveau légal ou commercial ? A quoi
ressemblera selon vous le média culturel de l'avenir ?
Nous sommes au début de l'ère numérique, et
la fenêtre d'exploitation de l'audiovisuel nous contraint beaucoup
trop : devoir attendre entre six mois et un an pour proposer
un film en VoD ou en location devient complètement aberrant.
Les consommateurs ne souhaitent pas attendre tout ce temps et
vont se servir illégalement en P2P. Les industriels non plus
ne sont pas satisfaits de ces décisions juridiques. Bien souvent,
elles sont issues d'un long consensus dont ils ne sont pas les
seuls à décider. Pourquoi ne pas créer des fenêtres différées
au titre par titre ? Les petits films dont on parle peu
au cinéma sont encore plus étouffés par un tel système, car
au moment de leur sortie, tout le monde les a oubliés. Alors
que s'il y avait une souplesse de la fenêtre d'exploitation,
ils pourraient avoir une deuxième chance et profiter du buzz.
Il faut penser aussi que le prix du cinéma n'a rien à voir avec
celui de la location d'un film, le cadre d'usage est totalement
différent. Donc, dans l'intérêt du consommateur comme des industriels,
il faudrait repenser sérieusement la réglementation de l'exploitation
des films récents sur support DVD ou en VoD.
Le média qui est en train d'émerger est un genre de super
canal, complètement différent de ce que l'on connaît avec des
offres à mille chaînes sur lesquelles on ne fait que zapper.
Ce sera plutôt une chaîne personnalisée en fonction des
goûts du spectateur. Un système de recherche et de profiling
élaboré permettra de lui proposer des contenus totalement adaptés
à ses souhaits, à travers une interface simple. La TV 2.0, comme
on peut l'appeler, va émerger dans les mois à venir. |