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FDJeux, PMU : la fin d'un monopole ?
Bruxelles devrait, selon toute attente, décider jeudi d'une procédure d'infraction à l'encontre de la France, remettant en question la compatibilité de ses monopoles en matière de loterie et de paris avec le droit européen. Les stratégies des assiégés.   (11/10/2006)
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La Commission européenne se prononcera demain jeudi sur sa décision d'ouvrir ou non, contre la France, une procédure d'infraction à la libre concurrence dans le domaine des jeux d'argent. La question est la suivante : les monopoles détenus par la Française des Jeux et le PMU violent-ils l'article 49, qui a trait à la libre prestation de services dans la Communauté européenne ? La probabilité que Bruxelles épingle la France est semble-t-il très élevée. Si tel est le cas, la France devra convaincre la Commission que le maintien de ses monopoles est compatible avec le droit européen. Pour les opérateurs privés de jeux et de paris, c'est l'occasion ou jamais de gagner leur respectabilité et de sortir des chroniques judiciaires, à l'image de Bwin et de ses dirigeants écroués récemment.

Si les événements récents dans le monde des paris sportifs sur Internet - et notamment l'affaire Bwin (lire l'article du 19/09/06) - risquent d'influencer la prise de décision de la Commission européenne, ils n'en sont pas à l'origine. En effet, les services européens du Marché Intérieur avaient prévu une réunion sur la question avant qu'ils surviennent. Par ailleurs, sept Etats font déjà depuis quelques mois l'objet d'une enquête suite à des plaintes auprès de la Commission européenne (Suède, Danemark, Finlande, Allemagne, Hongrie, Italie, Pays-Bas), et trois plaintes déposées à l'encontre de la France par Mr Bookmaker (racheté par Unibet), Betandwin (ancien nom de Bwin) et Zeturf faisaient planer depuis quelque temps l'ombre d'une procédure au-dessus de l'Hexagone.

De fait, la tolérance des opérateurs privés et de la Commission européenne vis-à-vis des monopoles français est battue en brèche depuis l'arrêt Gambelli de novembre 2003 (lire l'article du 14/11/03). Depuis, la pression en faveur de la "libéralisation" ne fait que s'accentuer. Ainsi le Syndicat des Casinos Modernes de France (SCMF), dans lequel le groupe Partouche est majoritaire, a lui aussi engagé une procédure à l'encontre de la France, actuellement en cours d'examen, pour abus de position dominante : pour l'instant, la législation empêche les casinotiers de développer des activités en ligne, ce privilège étant réservé à la Française des Jeux. Partouche, qui a créé cette année une division interactive (lire l'article du 02/05/06), envisage donc une domiciliation de ces activités à l'étranger.

Si la Commission européenne décide jeudi d'ouvrir une procédure d'infraction contre la France, elle enverra une lettre de mise en demeure aux autorités françaises, qui auront en principe deux mois pour répondre aux demandes de l'enquête, explique Thibault Verbiest, avocat aux barreaux de Bruxelles et Paris, conseil et représentant d'opérateurs de jeu privés. Pour justifier le maintien des monopoles de la Française des Jeux et du PMU, elle devra démontrer que ceux-ci sont nécessaires à la protection du consommateur, à la prévention de l'addiction au jeu y compris les mineurs, et à la lutte contre le crime organisé.

La Française des Jeux mise tout sur l'intérêt général
Ce sont bien les arguments avancés par la Française des Jeux elle-même pour justifier sa dérogation en matière de jeux de loterie, et de jeu de hasard en ligne. En d'autres termes, le maintien du monopole relève de l'intérêt général - il est plus facile de contrôler un acteur qu'une multitude -, ce qui justifie par ailleurs le statut d'opérateur public de la Française des Jeux. Aux attaques qui accusent sa stratégie marketing (publicité, lancements fréquents de nouveaux jeux, diversification des canaux vers l'Internet et le mobile…) d'être en contradiction avec toute politique de canalisation du jeu, la porte-parole de la société répond fermement en citant plusieurs exemples : "Nous ne faisons pas de publicité pour nos jeux sur le média Internet. Lorsque, c'est arrivé, nos publicités au cinéma ont été diffusées avant un film pour enfants, nous avons immédiatement réagi."

La société rappelle par ailleurs que Jean-François Copé, ministre délégué au Budget et à la Réforme de l'Etat, a mis en place en juin dernier le COJER, Comité consultatif pour la mise en œuvre de la politique d'encadrement des jeux et du jeu responsable. Le COJER, autorité indépendante composée notamment de représentants des ministères de la Santé, de la Jeunesse et des Sports, et de la direction du Budget, devra "donner systématiquement son avis au ministre chargé du budget sur le programme annuel d'actions commerciales de la Française des Jeux", selon le communiqué du ministre, et se prononcera sur son plan d'actions de prévention du jeu excessif.

L'Etat organise le lobbying
La création du COJER tombe à point pour permettre à l'Etat de rassurer Bruxelles. "Le ministre Jean-François Copé fait un lobbying personnel en faveur de la Française des Jeux", assène Thibault Verbiest, précisant que le lobby de l'opérateur public serait "très bien organisé" et "beaucoup plus efficace que le lobby des opérateurs de jeux privés", grâce notamment à son appartenance à une association européenne des loteries d'Etat, basée à Lausanne, et à une meilleure introduction dans les milieux politiques. Evidemment, chacun défend ses positions, et la Française des Jeux est une source de revenus pour l'Etat (les prélèvements sur les mises ont représenté 2,33 milliards d'euros en 2005). Tout juste, pour être objectif, peut-on rappeler les chiffres : 60 % du chiffre d'affaires de la Française des Jeux (8,93 milliards d'euros en 2005, dont 0,8 % seulement est réalisé sur Internet) est redistribué aux joueurs sous forme de gains, et 28 % retourne à l'Etat, qui en fait notamment profiter la collectivité. Par exemple, sur les 280 millions d'euros générés par les paris sportifs, 250 millions seraient reversés aux mouvements sportifs.

Du côté du PMU, la situation est un peu différente. D'une part, le PMU n'est pas un opérateur public (bien que des représentants du ministère du Budget et de l'Agriculture siègent au conseil d'administration), mais un groupement d'intérêt économique à but non lucratifs créé par 73 sociétés de course, qui sont elles-mêmes des associations loi 1901 à but non lucratif. Ce sont elles qui détiennent depuis 1891 les droits exclusifs sur les paris hippiques. Le PMU se définit lui-même comme l'instrument financier de la filière équine, qui représenterait 61.000 emplois directs selon son PDG Bertrand Bélinguier. Plus de 80 % du budget consacré à la filière viendrait du PMU.

Le PMU défend son rôle dans le financement de la filière
Et c'est là l'argument de poids dégainé par Bertrand Bélinguier pour "défendre le modèle français en matière de paris hippiques", bien qu'il cite par ailleurs sa "vigilance envers le jeu responsable". "Nous sommes de fait une activité d'intérêt général, a-t-il déclaré à la presse mardi matin. En Grande-Bretagne, par exemple, l'activité de paris hippiques est 30 % plus élevée qu'en France, mais les opérateurs ne reversent que 1,4 % de leurs revenus à la filière, contre 6 % pour nous. Si on amoindrit les revenus de cette filière, on va en diminuer le potentiel." 73 % du chiffre d'affaires du PMU est reversé aux parieurs, 13 % correspond aux prélèvements, et le reste, soit 566 millions d'euros en 2005, revient aux sociétés de course.

Or, selon Thibault Verbiest, "en droit européen, les justifications d'ordre fiscal et le financement d'une cause publique ne sont pas admissibles pour justifier un monopole". Ces arguments relèveraient donc plutôt du lobbying politique que de la réponse juridique.

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Les jeux sont donc ouverts. La porte-parole de la Française des Jeux se montre confiante quant à l'issue d'une éventuelle enquête de la Commission européenne. Elle affirme par ailleurs que l'opérateur poursuivra si besoin ses actions en justice contre d'autres sites Internet violant la législation française. Selon elle, le nombre limité de plaintes déposées jusqu'à présent (Bwin et Mr Bookmaker) ne serait pas dû à une quelconque prudence vis-à-vis de la réaction des autorités européennes, mais aux difficultés liées à la constatation des infractions. De son côté, le PMU continue sa pression sur Zeturf, contre lequel il a déjà obtenu deux fois gain de cause en justice, afin qu'il exécute ses obligations. Quant à la Commission européenne, son enquête pourrait s'étaler sur un ou deux ans. La bataille juridique s'engage, mais la guerre des lobbys continue.
Raphaële KARAYAN, JDN Sommaire Le Net
 
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