C'était en mai dernier : CanalWeb,
qui avait levé 25 millions d'euros en deux ans,
était placée en liquidation judiciaire.
La fin d'une aventure pour cette Web-TV pionnière, lancée
en 1998 par Jacques Rosselin, l'homme qui dix ans plus
tôt avait créé Courrier International.
Mercredi soir, pendant plus d'une heure, les lecteurs
du JDNet (parmi lesquels d'anciennes connaissances de
Jacques Rosselin...) ont pu poser leurs questions en
direct au fondateur de CanalWeb, aujourd'hui happé
par la télévision locale. Un Chat au rythme
syncopé, aux réponses et aux questions vives.
En voici la retranscription complète. Bonne lecture
et à bientôt...
Prochain JDNet
Chat : Les dessous du spam, lundi
2 décembre, de 18h à 19h (GMT +1), avec Mathias Moulin
et Thomas Dautieu de la CNIL.
|
Invité
: Jacques Rosselin, fondateur de Canal
Web et d'Antennes Locales (voir
sa fiche Carnet) |
Date
: Mercredi 27 novembre, 18h-19h10 |
Nombre
de questions posées : 294 |
Nombre de questions
retenues : 70 |
|
Jacques Rosselin : Bonsoir.
Bonjour, vous faites quoi comme
métier aujourd'hui ?
Jacques Rosselin : Je travaille sur le lancement
d'une nouvelle boîte dans le secteur de la télévision
locale. L'idée est de lancer une station vitrine et
de la développer dans une vingtaine de villes.
Si j'étais un riche investisseur
potentiel, comment me convaincriez-vous de mettre de
l'argent dans ce projet ?
Je dirais que l'on est au tout début de l'histoire de
la télévision et qu'il y a mille choses à faire dans
ce secteur.
Pouvez-vous rappeler les fonctions
de la webTV ?
La webTV est simplement de la télévision diffusée par
Internet, c'est-à-dire un réseau différent et complémentaire
des réseaux actuels. Il offre des possibilités nouvelles,
comme la vidéo à la demande ou la possibilité de créer
des programmes pour des cibles plus réduites que la
télé classique.
L'ADSL décolle depuis la rentrée
: pas trop de regret pour feu CanalWeb ?
Si, c'est un gâchis. Mais la fin de CanalWeb n'est heureusement
pas la fin de la télévision IP.
Letuc
: Bergé est furieux, tous les investisseurs de
CanalWeb sont furieux... C'est le Père Noël qui va te
financer ?
Salut Letuc, j'espère que tu n'as pas trop grossi et
que ton maître te laisse tranquille la nuit. Les investisseurs
d'origine de CanalWeb, en particulier Pierre Bergé,
Dominique Louis ou Sud Ouest ne sont pas furieux. Il
sont déçus, comme moi, parce qu'ils ont perdu de l'argent,
comme moi. Et ils souhaitaient, comme moi, que CanalWeb
se développe.
Le plus beau souvenir de CanalWeb
?
Le jour où j'ai interviewé Steely Dan en direct dans
les coulisses de l'Olympia.
Bonsoir. Ne pensez-vous pas
qu'en vous lançant aujourd'hui sur la TNT locale
vous risquez d'être une fois de plus en avance de deux,
voire trois années ?
La TNT est un moyen de diffusion parmi d'autres. Je
me lance dans la télévision locale, pas dans la technologie.
Le meilleur moyen de diffuser la télé locale aujourd'hui,
c'est le hertzien analogique. Demain, la télévision
locale sera diffusée par plusieurs technologies. C'est
le cas pour toute la télé. On dira plus télé par câble
ou webTV. Demain, la télé sera diffusée
par toutes sortes de technologies.
C'est Bolloré qui finance...
Vrai ou faux ?
Faux. Mais Bolloré est aujourd'hui le seul nouvel entrant
dans le secteur de la télé. Vrai ou faux ?
Vous pensez quoi des initiatives
vidéo & ADSL (genre eTF1) ?
L'initiative de TF1 est formidable. Mais elle a un peu
de retard sur ce qui se faisait... il y a deux ans !
Elle devrait s'appuyer sur les expériences de télévision
haut débit du Net, et ne pas se contenter de diffuser
des chaînes classiques sur un décodeur branché sur la
télé. La télé a évolué depuis la création des premiers
bouquets par câble. Pas la peine de refaire la même
chose.
200 millions engloutis dans
la webTV... Combien dans la TNT ? et après ? Quel modèle
éco ?
Le modèle économique de la télévision numérique, c'est
le bouquet de programmes avec du gratuit et du payant.
Ça prend du temps et de l'argent. 6 milliards
de francs engloutis dans TPS, qui n'est toujours pas
rentable ! Quand on crée des médias, il faut être patient.
Avez-vous le sentiment que les
VC's vont réinvestir sur le Net ?
Oui, bien sûr. Le Net, c'est l'informatisation de la
société. C'est en route depuis 20 ans et ça va continuer.
Quelle est votre analyse du
capital-risque a posteriori ?
Le capital risque n'a pas fait son travail entre 1998
et 2001. Ils se sont transformés en spéculateurs. Quand
on finance, il faut avoir la patience d'un bâtisseur.
Si on est là pour spéculer, autrement dit pour
faire de la plus value à court terme, mieux vaut ne
pas investir dans les médias.
Les ex-salariés de CanalWeb
sont furax... Ils se sentent lésés... Tu leur dis quoi
?
Je vois beaucoup d'ex-salariés aujourd'hui. Ils me proposent
même de faire la fête avec eux le 7 décembre. Je pense
que, comme moi, ils sont déçus. Mais qu'ils ont vécu
une formidable aventure.
On vous dit pas facile à vivre
dans le cadre professionnel... Alors ?
Personne n'est facile à vivre.
Au fond, est-ce que vous êtes
fait pour gérer un projet à long terme ? L'envie d'aller
ailleurs n'est-elle pas plus forte ?
Je n'aime pas les histoires qui ne sont pas finies.
Elles finissent toujours par vous rattraper. "Long
terme" est relatif : ça dépend de l'histoire
que vous vivez, non ? En ce qui concerne CanalWeb, l'histoire
a été interrompue par les spéculateurs. Ceux qui travaillaient
à court terme, c'est eux, pas les entrepreneurs de l'Internet.
Où trouver du contenu
pour une Web TV aujourd'hui ? Qui est capable de produire
du contenu pour une Web TV ?
Les télévisions classiques en font. On en trouve plein
sur le Net. Mais il n'y a pas de site qui propose des
programmes nouveaux depuis la fin de CanalWeb.
En tant qu'éditeur, quel intérêt
ont le Web et la TNT aujourd'hui ?
Le Web existe, la TNT n'existe pas. Pour ce qui est
du Net, l'intérêt pour un éditeur est de faire de la
télévision pour des audiences ciblées, et de proposer
de la vidéo à la demande.
Votre confrère de Progress Image
a jeté l'éponge bien qu'il ait finalement peu perdu...
Croyez-vous que lui aussi pourra se lancer dans la TNT
?
Je ne me lance pas dans la TNT : c'est un modèle économique
beaucoup trop risqué (regardez l'Espagne et la GB).
Je me lance dans la télévision locale car je pense,
qu'aujourd'hui, c'est l'un des seuls espaces d'innovation
dans le domaine de la télé. Avec la télé sur le Net,
bien sûr !
Et la country dans tout ça ?
Je t'ai reconnu. Je continue à jouer. J'ai même
fait le boeuf avec Peter Rowan récemment !
Allez, avouez... vous êtes grande
gueule, c'est ça ?
C'est vrai, mais il faut l'être : c'est une question
de survie.
Les programmes de Canal Web
étaient médiocres (à l'exception de la Grand Messe et
de Thésaurus)... Tu en es conscient ?
Il y avait beaucoup de choses. C'était la liberté et
la diversité qui faisaient la spécificité de CanalWeb.
Deux qualités qui manquent à la télé classique.
Quelle est la personne qui vous
impressionne le + dans le Net français ? Nicolas Dufourcq
?
Ceux qui m'impressionnent le plus ? Le Journal du Net.
Ils ont su traverser la tempête et ils vont gagner !
Quelle est votre Web TV préférée
?
CanalWeb !
Financièrement, comment vivez-vous
aujourd'hui ?
J'ai une assurance chef d'entreprise.
Lorsque l'on va sur www.canalweb.net
on tombe sur le site de WestCast. Qui est cette société
et que fait elle ?
C'est une petite boîte bretonne. Ce sont les meilleurs
en matière de télé sur le Net. Ils ont réussi à
racheter la plate-forme de CanalWeb et continuent de
la développer sous le nom de StreamNavig.
Quels sont les espoirs pour
une jeune entreprise croissance ? Les problèmes
?
Soyez plus précis... Mais, a priori, tous les espoirs
sont permis. Les sociétés techno ont le vent en poupe
aujourd'hui.
Quel rôle a joué (ou joue) Wanadoo
sur le marché du Net ?
Wanadoo, comme tout le monde, n'a pas joué son rôle,
ou plutôt a joué un rôle qui n'était pas le sien. Wanadoo
a deux atouts : des abonnés au haut débit et une capacité
de facturation. Il doit mettre ses atouts au service
des éditeurs de contenus plutôt que d'essayer de se
substituer à eux.
Que pensez-vous de l'explosion
actuelle de l'ADSL ?
C'est formidable, mais le haut débit va se développer
sous d'autres formes. Le secteur des télécoms va connaître
de profondes transformations. Pour les éditeurs de chaînes
de télé et de programmes, c'est une bonne nouvelle dès
lors que les opérateurs de réseaux haut débit proposent
du marketing et de la facturation.
Bonjour. Il semble que seul
Patrice Lelay soit optimiste concernant le vecteur Web
pour une TV du futur... Doit-on en conclure que ce sont
les autres "classiques" de la TV qui bloquent ?
Le Lay fait une petite expérimentation sur 200 foyers
dans l'Ouest parisien (tous des collaborateurs de TF1).
Ce qu'il propose est très en retard par rapport à ce
que nous proposions il y a deux ans. Personne ne bloque,
aujourd'hui. Simplement Wanadoo est inerte et ne parle
pas avec les éditeurs et les capitaux-risqueurs sont
partis voir ailleurs.
Salut Rosselin, c'est Rosnay
! Rends-moi mon pognon !
Je t'envoie ton pognon par Western Union. Donne-moi
une adresse postale.
Ce Rosnay est un imposteur !!!
Merci !
Ça, je le sais depuis longtemps.
Quel dommage que ce Chat ne
soit pas filmé : c'est vraiment frustant de ne pas voir
l'intervenant... Qu'en pensez-vous ?
Je sais, mais bon... le JDNet y réfléchit.
Que pensez-vous de l'inititiative
de Club Internet (le bouquet payant) et n'est-ce pas
une suite logique à votre propre intitiative de Canalweb
?
C'est une bonne initiative, comme celle de Lelay, qui
s'inscrit dans la suite de CanalWeb. Mais ils devraient
essayer de faire mieux. Aujourd'hui, ils ne diffusent
que des programmes classiques, qui n'apportent pas une
grande valeur ajoutée par rapport à des bouquets numériques
comme TPS ou Noos.
Que vous inspire l'idée de Free
qui espère diffuser de la TV auprès de ses abonnés Freebox
?
C'est une bonne idée. La télévision sur Internet est
un secteur qui va se développer considérablement. Le
tout est de proposer des bouquets de programmes attrayants,
différents de la télé classique et de proposer des formules
de paiement attractives : à l'émission ou par abonnement.
La TV sur ADSL : tout le monde
en parle. Vous êtes sur un coup ?
Oui et non.
Que faut-il faire pour être
partenaire sur votre site ? Merci de me répondre...
Le site n'existe plus.
Antennes Locales, c'est local
où ça ?
Nous cherchons une ville vitrine pour monter une télévision
locale sur un modèle nouveau, en tout cas différent
de ce qui existe. Puis, nous le déploierons dans d'autres
villes au rythme des appels à candidatures du CSA.
La PQR ou des médias nationaux
?
La PQR ne s'intéresse qu'à la marge à la télévision
locale. Les médias nationaux aussi.
Que pensez-vous de Star Academy
?
Je le regarde de temps en temps. C'est une émission
qui convient parfaitement au Web.
Internet payant (le contenu),
vous y croyez ?
Oui. Je passe mon temps à payer sur Internet.
De tous les médias (presse,
TV, Net), lequel vous séduit le plus ?
Celui qui me laisse m'exprimer !
C'est vrai que vous avez été
licencié de Courrier International suite à un
mouvement de grève du personnel qui réclamait
votre départ ?
J'étais PDG de Courrier. La seule personne qui aurait
pu me licencier, c'était moi, et je ne l'ai pas fait
car je pense que j'étais un bon élément dans ce journal.
Votre meilleur souvenir :
premier numéro de "Courrier" ou première émission de
CWeb ?
Je ne me souviens pas de la première émission de CW.
Mais du premier numéro de Courrier oui. Ca n'est pas
la même chose. CW c'était toutes les heures, alors que
Courrier, c'était toutes les semaines.
Plutôt Beatles ou Roling Stones
?
Beatles.
Penses-tu que tu vas avoir des
questions intéressantes ?
C'est le cas depuis le début, même pas les tiennes,
tocard.
Pourquoi tant d'anciens employés
de CanalWeb vous détestent aujourd'hui ?
Vous êtes mal informé.
Vous pensez quoi de Raffarin
et du Net ?
Rien.
Moi, je ne le déteste
pas, je l'aime bien, Rosselin !
Moi aussi.
Quelle est la part de responsabilité
du chef d'entreprise dans l'échec de CanalWeb ?
Totale.
Pourquoi avoir refusé
d'embaucher le fils d'un dirigeant de TF1 à CanalWeb
(véridique) ? Le regrettes-tu maintenant ?
C'est absurde. Le seul que je connaisse était le fils
Mougeotte qui était un bon dirigeant de la télévision
de Dauphine et qui n'a jamais parlé embauche.
Votre coeur d'ancien chef d'entreprise
penche-t-il à droite ou gauche ?
Gauche.
Quelles sont, aujourd'hui, vos
relations avec votre investisseur Pierre Bergé ?
Très bonnes.
Peut-on espérer avoir,
dans un futur proche, une vraie télévision
interactive sur Internet ?
Oui. Je l'ai déjà dit, il existe beaucoup de télévisions
sur Internet (voir Comfm.fr). Elles se structureront
en bouquets progressivement. Et une industrie de programmes
se développera autour de cette nouvelle télévision.
Le problème, c'est que faire
de la TV de qualité coûte cher... Or, de la diffusion
confidentielle (cf : TV associatives) n'a pas les moyens
de faire du bon et donc de le faire payer ! Que voulez-vous
apporter de plus que les 80/100 chaînes dispo en France
aujourd'hui et qui ont souvent du mal à survivre ?
Les 80 chaînes existantes ne survivent pas parce qu'elles
sont diffusées comme des chaînes grand public. Internet
leur offre un canal de diffusion beaucoup plus adapté.
Il faut qu'elles s'y mettent avant de mourir. Par ailleurs,
la télévision de qualité n'est pas forcément coûteuse.
Devant le succès de l'ADSL,
y aura-t-il un "CanalWeb le retour" ?
Le développement du haut débit (ADSL compris) va, bien
sûr, susciter des vocations et des offres de programmes
TV. CanalWeb, hélas, est mort.
Celui qui gagne est celui qui
dit ce que son interlocuteur aime entendre.. et en TV
?
La télé sur le Net s'adresse à des audiences spécialisées.
Elle permet de proposer des programmes narrowcast (par
opposition aux programmes massifiants). Après, je vous
laisse libre de la suite.
Juste avant la fermeture de
CanalWeb, vous avez fait une série d'émissions complètement
loufoques avec un italien comme présentateur. Qui c'était
et qu'est-ce qu'il devient ?
Il est près de moi.
Bon, passons aux choses sérieuses
: quel est le truc (livre, CD, BD, site) qui vous branche
en ce moment ?
Série TV : 6 Feet Under. Vivement la troisième saison
en septembre prochain.
Alessandro como esta ?
Tuto bene. Sono qui vicino a Jacques. Je suis son chauffeur
!
Vous croyez qu'un jour vous
aurez plus d'amis que d'ennemis ?
Je n'ai pas d'ennemis.
De Courrier "International"
à Antennes "Locales" il a un parcours type Chevènement,
non ?
Vive le Che ! Un vrai Républicain.
M. le moderator aurait-il l'extrême
amabilité de demander à son invité s'il compte conclure
par un mini show case de country ? Merci d'avance.
It's an easy time from good time to the blues (chanté).
Vous essayez toujours d'apprendre
à faire du banjo ?
Je n'ai jamais joué de banjo. Mais je suis un bon guitariste
et un mandoliniste acceptable.
Votre ultime tentative pour
sauver Canalweb en diffusant du contenu X vous a-t-elle
apporté un peu de chiffre d'affaires ?
Le contenu X est un bon contenu pour la WebTV. Il faut
en avoir dans un bouquet, comme sur TPS, CanalSat, etc.
Mais ça n'est pas ce qui pouvait sauver CanalWeb.
C'est vrai que la marque CanalWeb,
tu l'as volée à un de tes anciens associés ?
Non. J'ai fondé CanalWeb dans les locaux d'une petite
boîte Internet. Nous éditions une lettre d'info
avec François de Valence, avec qui nous avons trouvé
la marque. Je l'ai vu la semaine dernière à la maison.
Nous sommes très amis. Ça a été mon premier employeur.
Qui d'autre pourrait revendiquer cette marque ?
C'est quoi votre salaire actuel
? C'était quoi votre salaire au moment de CanalWeb ?
40 000 F brut les deux premières années, 70 000 F brut
ensuite. Je n'ai plus de salaire. J'ai donné ces informations
à la presse à l'époque.
Pourriez-vous m'expliquer pour
votre ville vitrine ? Vous cherchez des partenaires
qui sont sur le Net et dans les médias déjà
? Merci de me répondre.
Je cherche une ville vitrine pour la télévision locale,
pas pour le Net.
Et la moto, ça va?
La 750 marche toujours bien, merci !
Jacques Rosselin : Merci au Journal du Net.
Au fait, quand passez-vous en payant ?
Jacques, call back me Francis
!
Je t'appelle, Francis.
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