Quels sont les objectifs
du gouvernement en matière de lutte contre le piratage
de contenu culturel sur Internet (musique, ciné, etc.)
?
Laurent Sorbier : Le Gouvernement a engagé
plusieurs chantiers en ce domaine. Sur le plan législatif,
avec la loi sur les droits d'auteurs dans la société
de l'information. Tout le monde est conscient que
le non-respect des droits d'auteurs risque à terme
d'appauvrir l'offre de contenus. Les industries culturelles
font face à un vrai défi. Le gouvernement doit d'abord
veiller à ce que le droit des auteurs soit, dans l'intérêt
général, respecté. Ceci passe par l'adaptation de
notre droit à la nouvelle donne. C'est notamment l'objet
de la loi sur les droits d'auteur dans la société
de l'information qui sera présentée en Conseil des
ministres dans les semaines à venir. Une réflexion
est par ailleurs engagée avec les industriels et les
ayant-droits. La réponse au piratage doit en effet
associer tous les acteurs concernés.
Ce
ne serait pas la conception de droit d'auteur et son
utilisation (la rente ) qui devraient être revues?
Ce genre de choix radical conduirait à une explosion
du système, pas à sa mise en phase avec la nouvelle
donne. Nous pensons que cette dernière est possible.
C'est en ce sens que travaillent Jean-Jacques Aillagon
et son équipe.
En
attendant la promesse du haut-débit pour 90% des Français
en 2007, pourquoi ne proposez-vous pas un forfait
"data" illimité en Numéris (moyen débit) qui, lui,
serait disponible immédiatement pour 99% des Français
?
Les résultats de la politique du gouvernement en faveur
du haut débit sont encourageants. Avec sans doute
3 millions d'abonnés en fin d'année, la France est
désormais le second pays en Europe pour le haut débit.
Toutes les technologies permettant d'accéder à Internet
à haut débit sont encouragées. ADSL, câble, Wi-Fi,
satellite... Il appartient aux opérateurs de proposer
des solutions complémentaires. Pourquoi pas en effet
numéris? Mais c'est un choix d'entreprise, pas celui
du Gouvernement... En outre, numéris ne peut fournir
un débit satisfaisant par rapport aux offres à 512k.
Quels sont les grandes lignes
du projet de l'Etat concernant les investissements
dans les administrations ?
La priorité est le développement de l'administration
électronique et sa deuxième phase, c'est-à-dire donner
la possibilité de faire un bien plus grand nombre
de procédures en ligne. Ceci répond à une vraie attente
des Français. Il y en a déjà 650.000 qui ont payé
leur impôt sur le revenu en ligne cette année. Les
études montrent que le citoyen accueille positivement
cette évolution. Nous avons lancé de grands chantiers
en ce domaine. Les ministères devront dématérialiser
deux procédures par an d'ici 2005 à la demande du
Premier ministre. L'ADAE
[NDLR : Agence pour le
développement de l'administration électronique, lire
l'interview
JDN du 11/09/03], récemment créée, est chargée
d'accompagner et d'accélérer ces chantiers.
Comment pensez-vous faire
en sorte que l'administration française accepte plus
rapidement les changements liées aux NTIC (carte d'identité
électronique, e-administration...) ?
Il y a tout un travail de sensibilisation et de formation
à faire. C'est effectivement un enjeu essentiel. Tous
les ministères en sont conscients et l'ADAE va travailler
aussi dans ce sens.
Quel calendrier pour les
différents chantiers législatifs engagés (économie
numérique et communications électroniques)?
La loi économie numérique devrait être examinée en
2ème lecture par l'Assemblée et le Sénat avant la
fin de l'année. Viendront ensuite la loi communication
électronique, que nous espérons voir examinée en 1ère
lecture avant la fin de l'année, et la loi sur les
droits d'auteurs dans la société de l'information.
La France avait accumulé du retard dans la transposition
des directives et dans l'adaptation de son droit à
la société de l'information. Nous essayons de le rattraper!
Ne rencontrez-vous pas des
difficultés dans vos réflexions avec les industriels
et les ayant-droits concernant la mise en place des
projet de loi en cours? Les intérêts des différentes
parties prenantes ne sont-ils pas trop divergents?
Nous essayons de faire en sorte que ces lois créent
un climat de confiance, à la fois pour les utilisateurs
et pour les acteurs du secteur. Les points de vue
divergent souvent, notre travail est de trouver le
meilleur équilibre, en veillant à préserver d'abord
l'intérêt général, et pas celui de tel ou tel acteur...
Quelle est la place de l'Europe
dans cette construction d'une e-législation?
Elle est centrale. Beaucoup des textes dont nous discutons
sont la transposition de directives européennes. La
France veille d'ailleurs à faire entendre sa voix
à Bruxelles sur tous ces sujets, en amont de l'adoption
des directives, puis pendant leur discussion...
Comment qualifieriez-vous
la politique Internet de la France par rapport à d'autres
nations comme les pays nordiques ou la Grande-Bretagne
?
Il y a longtemps eu un décalage. Aujourd'hui, j'ai
le sentiment que la politique française est aussi
ambitieuse que celle de ces pays. Nous ne sommes plus
le mauvais élève de la société de l'information européenne!
C'est facile la transition
entre le monde des start-ups (Spray) et celui de la
politique NTIC au gouvernement ?
Je connaissais déjà le monde de l'administration,
puisque j'en venais lorsque j'ai rejoint Spray. C'est
un monde parfois très différent (pas de sauna à Matignon
:-) ), mais j'y ai des repères et j'apprécie d'avoir
le sentiment d'uvrer à ma manière pour les entrepreneurs
du secteur.
Il est funky votre bureau
de Matignon ?
J'y ai mis quelques touches d'originalité, mais avec
tout le respect qu'on doit avoir pour les dorures
et les moulures de cette vieille maison!
Chirac : Combien est-ce que
je vous paie pour faire ce que vous faites ? (ce n'est
pas du fictif au moins ?
Si vous êtes celui que vous prétendez être, vous devez
le savoir!
On dit que vous avez écrit
le discours d'investiture de Raffarin. Quels sont
vos liens précisément avec lui ?
Je ne le connaissais pas avant de rejoindre Matignon,
mais j'ai découvert quelqu'un pour qui j'ai beaucoup
d'estime et de respect. Je n'ai pas une relation privilégiée
avec M. Raffarin, mais j'ai la chance qu'il se passionne
pour mes sujets et de pouvoir lui en parler régulièrement...
Quant aux discours qu'il m'arrive de faire, c'est
un héritage de mon passé de "plume" et de ma formation...
Comment le gouvernement compte-t-il
aider financièrement les foyers et associations qui
ne peuvent s'équiper en matériel informatique, d'autant
que leurs usages ne justifient pas un tel investissement
jugé encore trop élevé ?
Nous avons pris plusieurs initiatives en ce sens.
Nous avons notamment demandé à l'ensemble des ministères
de distribuer leurs PC "mis à la retraite" aux associations
reconnues d'utilité publique. Cette possibilité existait
mais n'était pas utilisée. Le Premier ministre a écrit
à tous les ministères pour activer ces dons au moment
de la dernière fête de l'Internet.
Est-ce que le gouvernement
compte faire un geste favorisant les alternatives
à la l'ADSL, qui prend un temps énorme à être déployée?
Je pense à la ligne Numéris ou aux connections par
le biais du réseau électrique.
Oui, de nombreuses mesures ont été prises pour accélérer
la diffusion des solutions alternatives à l'ADSL.
Lors du CIADT d'août dernier, nous avons lancé un
appel d'offres sur les technologies alternatives et
prévu des mesures pour promouvoir le CPL
[NDLR
: courant porteur en ligne, la liason Internet via
la ligne électrique], en particulier dans
les zones rurales.
L'Europe a voté la brevetabilité
des logiciels. Certains prédisent la fin de l'open
source. Quel est le point de vue du gouvernement ?
Nous ne voulons en aucun cas la fin de l'open source
et ce n'est certainement pas le sens de cette directive
européenne. La France a fait valoir des positions
s'opposant à une brevetabilité complète du logiciel.
Le Parlement a fait évoluer le texte dans ce sens.
il nous semble aujourd'hui plus équilibré. Il permettra
de protéger des développements industriels et ne devrait
pas se traduire par une moindre innovation dans le
domaine du logiciel.
Cartable électronique: l'Etat
a dépensé des sommes considérables pour équiper des
écoles entières avec des ordinateurs portables. Louable
intention, si ce n'est que toutes ces machines étant
sous Windows, les gamins s'empressent d'y installer
des jeux, de bricoler, de récupérer des virus... Il
existe pourtant des solutions (en particulier autour
de Linux & logiciels libres) nous protégeant de ce
genre d'ennuis. Votre avis ?
Ce n'est pas l'état qui a lancé ces opérations, mais
des collectivités locales qui ont pris d'elles-mêmes
ces initiatives. Mais le ministre chargé de l'enseignement
scolaire a lancé un grand plan pour développer le
cartable numérique. Il s'agit des "espaces numériques
de travail" qui permettront d'ici 2007 à chaque élève,
enseignant et parent d'accéder à un même espace pour
échanger, dialoguer, travailler.
Parmi l'ensemble des écoles
françaises, quel est le pourcentage d'écoles avec
au moins un PC connecté à l'Internet ?
Ce pourcentage est très élevé mais ne constitue pas
un indicateur pertinent. La vraie question c'est de
savoir combien il y a d'ordinateurs par rapport au
nombre d'élèves et là nous sommes loin de l'idéal.
Le gouvernement s'est engagé dans le plan RESO 2007
à ce qu'il y ait un ordinateur pour trois élèves dans
les collèges et les lycées en 2007. Il y a beaucoup
d'autres mesures qui favoriseront l'entrée de l'école
dans la société de l'information : formation obligatoire
des enseignants (l'usage pédagogique étant une clef
essentielle) et des élèves, etc.
Au moment où on parle de
décentralisation et de déconcentration, le gouvernement
a t il des relais régionaux pour la mise en oeuvre
de sa politique?
Oui, à travers plusieurs canaux. La Caisse des Dépots
accompagne localement les projets TIC des collectivités
locales. Il y a un chargé de mission TIC dans chaque
préfecture de région. L'aménagement numérique du territoire
est une priorité claire (cf. mesures prises en CIADT).
Nous nous sommes engagés à ce que toutes les communes
de France aient accès au haut débit en 2007.
Les freins à l'e-administration
ne sont-ils pas + culturels que techniques?
C'est vrai pour une large part, mais nous constatons
que ces freins diminuent. Il y a de plus en plus de
fonctionnaires qui s'intéressent à la e-administration.
N'oublions pas aussi qu'il y a de vraies questions
techniques autour de l'authentification, de la signature
électronique, etc.
Quel ministère assure le
mieux coté meilleures pratiques NTIC ? Quel projet
vous a bluffé ?
Ce qui est rassurant, c'est que presque tous les ministères
font des choses passionnantes dans ce domaine! Le
ministre des Finances a de grands projets en matière
e-adminsitration, très impressionnants bien sûr. Mais
le ministère de l'Agriculture a ouvert un site superbe
et celui des Affaires sociales a derrière lui une
belle réussite avec netentreprise.fr. Bref, ça bouge
partout!
Estimez-vous que les différents
ministères appliquent une politique NTIC publique
cohérente ?
Oui. Il y a une réelle coordination, assurée au niveau
du ministère de la Recherche et des nouvelles technologies
par Claudie Haigneré et à Matignon. Mais plusieurs
autres ministères jouent un rôle clef, plus ou moins
pré-éminent selon les sujets. le ministère de l'Industrie
coordonne de grands projets, celui de l'Education
et celui de la Culture (qui lance un grand site dans
quelques jours) aussi. C'est un travail d'équipe,
mais avec une cohérence qui est donnée par une vision
commune, fixée dans le plan RESO 2007.
Les ministères, il y en a
bien un qui ne suit pas vraiment quand même... L'éducation
je parie !
Il n'y pas de bons et de mauvais points à distribuer.
Chacun avance, à des rythmes - c'est vrai - parfois
différents, mais l'essentiel est que les choses progressent
globalement...
Le site premier-ministre.gouv.fr
n'a pas été relooké depuis Jospin. Est-ce à dire que
vous avez entrepris une rationalisation des dépenses
de l'Etat dans ce domaine ?
Le site a en fait assez profondément évolué, surtout
en back-office pour améliorer la gestion du site.
Une nouvelle version sera cependant bientôt lancée.
Dans l'ensemble, il y a un vrai souci, en effet, de
rationaliser les dépenses.
C'est bien d'avoir ouvert
www.forums.gouv.fr (même Yoyo, il avait pas osé) mais
Jean-Pierre, il va lire les messages des fois ? IL
a prévu de répondre lui-même ? Toni Blair le fait
pour certains de ses mails.
Beaucoup de messages qui proviennent du site sont
transmis au Premier ministre ou à ses collaborateurs.
Chacun comprendra qu'il ne puisse pas répondre lui-même
aux milliers de messages qui arrivent ainsi! En revanche,
le Premier ministre est attentif à la tonalité générale
des opinions exprimées, qui lui est régulièrement
transmise.
A quand un chat avec Mr Raffarin
?
C'est un souhait qui pourrait devenir prochainement
une réalité.
Où en est le projet de prime
à l'équipement pour l'achat d'ordinateur par les ménages?
Le premier problème, toutes les études le montrent,
ce n'est pas le prix des PC mais la perception de
leur utilité. Nous allons donc commencer par une grande
campagne de communication gouvernementale qui visera
à donner envie aux gens de s'équiper d'un PC connecté
à Internet. Elle sera lancée en novembre prochain
et sera relayée d'une façon très originale par les
constructeurs de PC et d'autres partenaires privés.
Le Premier ministre a par ailleurs demandé que des
propositions d'incitations complémentaires (et notamment
fiscales) lui soient faites pour la prochaine conférence
de la famille en mai 2004. Mais nous nous réjouissons
de voir que le taux d'équipement a progressé de 20%
en un an, puisqu'on est passé de 35 à 42% des foyers
équipés d'un PC.
Il n'empêche qu'une action
sur la TVA à 5,5% pourrait être utile.
Faire évoluer un taux de TVA prend beaucoup de temps
(la France s'y est engagée pour la restauration et
le disque). Nous essayons de trouver des solutions
qui permettent d'aller plus vite...
Ne vous dispersez-vous pas?
Pourquoi ne pas accentuer votre effort sur les enfant
et leurs apprendre à bien utiliser cet outil (pas
que pour jouer!) et leur parent suivront?
Comme je le disais tout à l'heure (espaces numériques
de travail, etc.), c'est effectivement une priorité.
Qu'avez-vous retiré
de votre expérience d'e-auctionroom, et pourquoi cet
échec ? Comment pouvez vous aider les PME innovantes
à commercialiser plus rapidement leurs produits dans
le secteur public, car face à l'innovation, le secteur
public est frileux. Il suffit de regarder l'Internet
à l'école... ?
L'expérience e-auctionroom m'a évidemment appris beaucoup...
Je connais les difficultés que rencontrent les PME
pour commercialiser leurs produits et services auprès
de grands comptes et particulièrement de l'administration.
De nombreuses mesures vont améliorer les choses, comme
la mise en ligne des marchés publics.
Laurent Sorbier : Merci à tous, en espérant
vous avoir donné quelques éclairages sur des chantiers
qui mobilisent beaucoup de monde et d'énergie au sein
de l'administration et du gouvernement. Nous avons
besoin de votre soutien pour continuer à faire avancer
les choses dans le bon sens!