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François Roche : "L'industrie financière est devenue la mère de toutes les industries"
Vendredi 10 octobre 2003
 
          
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"Le Bal des initiés",
par François Roche, Dunod, octobre 2003, 234 pages, 20 euros.

Lire les "bonnes feuilles" sur le JDN
L'ancien directeur des rédactions de L'Expansion et de La Tribune auteur du "Bal des initiés" a répondu pendant une heure aux questions des lecteurs du JDN. Au menu : la genèse de la bulle Internet, la transparence relative des marchés financiers, le défi de l'éthique, le journalisme sur Internet ou les indemnités de Jean-Marie Messier...


Quel est votre parcours professionnel personnel ?
François Roche
: Je suis journaliste économique et financier depuis 1974. J'ai travaillé notamment à "La Tribune" et à "L'Expansion" dont j'ai dirigé les rédactions. Auparavant, j'ai travaillé à la bourse et dans la gestion de portefeuille.

Estimez-vous que le système boursier est profondément injuste ?

Je ne suis pas certain que la justice ait grand chose à faire avec la bourse et plus généralement avec les mécanismes financiers. La bourse est un système de recyclage d'épargne et obéit à des règles propres avec laquelle la justice n'a pas grand chose à faire. Plutôt que de justice, il faudrait parler d'éthique.

Pour quels analystes financiers avez-vous du respect ?
J'ai du respect pour les analystes financiers qui ont su braver les directions générales d'entreprise et leur propre hiérarchie pour émettre des avis indépendants. J'ai du respect pour les analystes qui osent recommander un titre à la vente, en dépit des pressions ou des conséquences qu'ils encourent.

Vous avez des noms à nous donner ?

Je n'ai pas de noms précis à vous donner mais les profils dont je vous parle sont tout de même assez nombreux, surtout depuis que le problème de l'indépendance des analystes financiers a été soulevé. Souvenez vous que c'est un analyste financier du Crédit Lyonnais qui a, pour la première fois, osé évoquer l'hypothèse du départ de Jean-Marie Messier de la tête de Vivendi.

Quelle est la hiérarchie de responsabilités selon vous dans l'affaire de la bulle Internet, banquiers, analystes, investisseurs, journalistes, épargnants, patrons... (j'ai pas mal perdu sur Liberty Surf personnellement).
Elle est difficile à établir. Dans l'ordre, je dirai que les créateurs de la bulle sont ceux qui ont voulu transformer l'Internet en une source de profit rapide. Il s'agit évidemment de certains patrons d'entreprises du Net et de ceux qui les ont financés. Certaines introductions en bourse étaient à la limite de la bienséance et de la raison mais la perspective de gains rapides, quelques jours de cotation, a poussé banquiers, investisseurs et dirigeants à "embellir" la mariée.

Le journalisme sur Internet, ça a un sens pour vous ?
Bien sur. Internet est un média, et des journalistes peuvent fort bien y faire leur travail, comme dans une rédaction "papier".

Que pensez-vous d'un organisme comme la COB ? Le gendarme de la bourse est-il réellement neutre ?
C'est une question difficile. Force est de constater que durant la bulle Internet, la COB n'a que très rarement attiré l'attention des épargnants sur les risques inhérents à certaines introductions en bourse par exemple ou plus généralement sur les critères d'évaluation des sociétés. Elle n'a que peu sanctionné. Pour sa défense, on peut dire qu'elle ne dispose pas de moyens extraordinaires. Mais la COB n'est pas dans la logique de la SEC aux Etats-Unis qui a décidé de réagir de façon extrêmement forte depuis quelques mois en imposant de nombreuses sanctions financières et en ouvrant beaucoup de dossiers comme celui de la réglementation des fonds spéculatifs par exemple. La COB a adopté une attitude beaucoup plus timide, ce qui soulève des questions. En outre, la COB va cesser d'exister en tant qu'organisme indépendant et va faire partie de la nouvelle Autorité des marchés, créée en juillet dernier dans le cadre de la loi sur la sécurité financière.

Vous avez un portefeuille d'actions ? Vous avez beaucoup perdu ces dernières années ?
Je n'ai pas et je n'ai jamais eu de portefeuille d'actions. Je me le suis interdit dès que j'ai travaillé dans la presse économique et financière.

Selon vous, Messier mérite-il ses indemnités ?
Je ne le pense pas. Même s'il peut être compréhensible qu'un patron débarqué touche une indemnisation, celle proposée à JMM me paraît extrêmement élevée . Il est clair que la transparence dans l'information financière de Vivendi a failli et que l'on ne sait pas très bien encore comment les anciens dirigeants de Vivendi ont géré leur portefeuille de stock-options.

Pensez-vous qu'il faudrait supprimer la bourse ? Est-ce vraiment utile à l'économie ?
Franchement, on peut se poser la question, surtout si le comportement des marchés n'évolue pas. Je note d'ailleurs que de plus en plus d'entreprises moyennes décident de se retirer de la cote. Pour autant, le marché des capitaux est le fondement même de l'économie de marché. Quels moyens aurions nous de recycler l'épargne des ménages et quels moyens auraient les entreprises de financer leur développement ? La question me paraît davantage d'essayer de revenir à la vocation première de la bourse, procurer aux entreprises des ressources pour leur croissance et proposer aux épargnants une association en capital à ces mêmes entreprises, dans une optique de moyen terme.

Quel jugement portez-vous en tant que pro sur l'"affaire" du Monde ? (Péan/Cohen/Schneidermann...)
Le droit d'inventaire existe. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas enquêter sur le journal "Le Monde". Je ne prononce pas sur le fond du livre mais sur le principe. Dans l'affaire Schneidermann, je pense que la direction du "Monde" a commis une erreur en le licenciant, même si je trouve que Schneidermann en fait beaucoup dans les médias.

Tout le monde parle de récession économique et d'une éventuelle reprise pour le premier semestre 2004 ? La faute à qui ? RTT, euro... ?
Les récessions économiques ont de multiples causes. La plus générale : l'activité économique mondiale. 1991 et 1992 se sont caractérisées par un ralentissement de la demande d'investissements des grandes entreprises américaines ce qui s'est répercuté dans beaucoup de secteurs, notamment dans les télécommunications. Concernant l'Europe, les blocages à la croissance sont nombreux et bien connus : fort endettement public, importance des administrations, protection sociale coûteuse. S'y ajoute aujourd'hui la baisse du dollar qui pose un problème à de nombreuses entreprises exportatrices. Concernant la RTT, il faut se garder des jugements hâtifs. Je note que le Medef n'est pas le plus ardent défenseur d'une abrogation de la loi. Si l'on rallonge la durée du travail, il faudra augmenter les salaires...

Quel est votre meilleur souvenir journalistique ?
Heureusement j'en ai beaucoup. Les meilleurs souvenirs pour moi sont ceux que j'ai conservés des équipes avec lesquelles j'ai travaillé à La Tribune et à L'Expansion. Sinon, ce sont les nombreux reportages que j'ai effectués, notamment en Russie et dans les anciens pays du bloc communiste.

Faîtes-vous partie des "initiés" que vous dénoncez ?
En partie, oui. Mais il y a plusieurs degrés dans l'échelle des initiés et les journalistes se situent presque au bas de l'échelle, juste devant le grand public. Ils n'apprennent que rarement de grands secrets.

Finalement, quels placements conseilleriez-vous aujourd'hui à un cadre très moyen qui voudrait mettre un peu d'argent de côté ?
Je ne suis pas un spécialiste de la gestion de l'épargne. Je me poserai seulement quelques questions : aurais-je besoin de cet argent à un terme plus ou moins rapproché ? Si je mets cet argent en bourse, aurais-je les moyens de suivre mon portefeuille et d'éviter de rester piégé avec du papier qui baisse. Quelle est la tendance économique générale ? J'aurais tendance à privilégier la sécurité et la liquidité.

Est-ce que vous avez déjà prévu un autre livre ?
Oui, je suis en train de travailler sur la Russie pour tenter d'expliquer la transition entre l'économie centralisée et l'économie de marché et les raisons pour lesquelles la Russie est dans une voie assez surprenante concernant le pouvoir et l'argent.

Estimez-vous que le pouvoir économique a pris le pas sur le pouvoir politique ?
J'en suis totalement convaincu. Les détenteurs du vrai pouvoir se recrutent dans les milieux économiques, grands patrons, financiers, gestionnaires de capitaux. Le pouvoir politique a abandonné progressivement les voies de contrôle avec la politique de dérégulation et de privatisation engagée depuis une bonne vingtaine d'années dans à peu près tous les domaines.

Votre livre, n'est-ce pas un peu cracher dans la soupe ?
Je ne vois pas de quelle soupe vous parlez. J'essaie de comprendre et d'expliquer la façon dont fonctionnent vraiment les marchés et de mettre en lumière les mécanismes profonds auxquels ils obéissent.

Web is dead, isn't it ?
I don't think so. Web is alive and will prosper. It just needs time.

Que pensez-vous des thèses de Noam Chomsky sur la propagande assurée par les médias au service du pouvoir ?
L'indépendance de la presse, que l'on croyait acquise, reste le grand combat des années qui viennent. Même aux Etats-Unis, on a vu une grande partie de la presse prendre fait et cause pour la politique de Bush en Irak. En Russie, Poutine rogne chaque jour de plus en plus sur l'indépendance des médias et impose une censure de fait notamment en ce qui concerne la Tchétchénie. En France, force est de constater que de nombreux médias sont aujourd'hui détenus par des groupes industriels et financiers.

Clearstream perd ses procès contre le journaliste Denis Robert. C'est une bonne nouvelle ?
C'est une bonne nouvelle puisque cela prouve que le travail d'investigation de Denis Robert n'a pas pu être pris en défaut.

Avez-vous lu "Nos délits d'initiés" de Guy Birenbaum ? Votre essai est-il dans la même lignée ?
Si j'ai bien lu Birenbaum, il s'indigne du fait que les vérités sont cachées à l'opinion sur un grand nombre de sujets. C'est la même chose sur les marchés financiers, mais mon livre est davantage une analyse qu'une dénonciation et je ne désigne pas de coupables ad hominem.

Fi System, Cyrano, etc... Pensez-vous que la COB a joué son rôle en acceptant des sociétés aussi jeunes sur des marchés nouveaux (pour en pas dire immatures) ?
Probablement oui, même si les procédures d'introduction au second marché sont moins sévères que pour le marché officiel. Mais beaucoup d'intermédiaires avaient intérêt à introduire des sociétés en bourse et se sont accommodées de dossiers très contestables.

A L'Expansion (ex-groupe VU), vous avez eu du mal à couvrir l'ère Messier ?
Finalement, pas tant que cela. Je dois dire que L'Expansion a toujours préservé une certaine prudence vis-à-vis de Vivendi Universal. Mais je confirme qu'il n'est pas aisé pour un journal de parler de son actionnaire principal.

Il y a un an, j'ai acheté une valeur (Alcatel) que tous les analystes / journalistes mettaient aux nues. Puis, badaboom, 90% de perte en quelques jours, bizarre non ?
C'est effectivement bizarre et cela illustre une constante des marchés financiers, la recherche de ce que les anglais appellent le "greater fool", celui qui achète lorsque les "initiés" vendent. La réduction sur Alcatel a été invraisemblable, mais depuis le titre a repris des couleurs.

Estimez-vous que le système boursier financier peut éclater avec le mouvement altermondialiste ?
Je ne crois pas que le système financier soit sur le point d'éclater. Mais il sera soumis à des pressions de plus en plus fortes sur des questions de bon sens. Le rapport entre le développement durable et la logique financière à court terme qui me paraît être le point clé de ces prochaines années.

Expliquez-nous l'affaire de votre précédent livre sur Pinault... Qui sont ces éditions du Carquois exactement?
Ce n'est pas facile de trouver un éditeur pour publier un livre qui critique François Pinault, encore que mon livre soit exclusivement consacré aux entreprises de François Pinault et qu'il ne s'agit aucunement d'une attaque contre sa personne. Il se trouve que les éditions du Carquois ont été créées par un ami de longue date qui cherchait un premier manuscrit et qu'il a accepté le mien. Les Editions du Carquois vont publier prochainement un autre livre, consacré à la fusion entre le Crédit Agricole et le Crédit Lyonnais, écrits par deux journalistes de l'Agefi, un journal détenu par le groupe Pinault. Et d'autres sont à venir.

Combien gagne aujourd'hui un journaliste lambda ? Est-ce un métier d'avenir ?
Oui, le journalisme est un métier d'avenir. Mais ce n'est pas un métier où l'on fait fortune. Le besoin d'informations hiérarchisées, expliquées, commentées ne se tarira pas et l'on aura toujours besoin de vrais professionnels pour faire ce travail.

C'est bien gentil ces constats après coups, mais je me demande TOUJOURS pourquoi personne ne s'alerte des dérives au moment MEME où elles surviennent...! Votre avis ?
Au moment de la bulle Internet, beaucoup de voix se sont élevées pour dénoncer l'irrationnel du comportement des marchés. Mais dans les périodes d'euphorie boursière, le porteur de mauvaises nouvelles est ignoré, cela se vérifie à toutes les époques et notamment en 1929. En outre, je souligne dans mon livre le comportement grégaire des marchés et leur axiome "il vaut mieux se tromper ensemble que d'avoir raison tout seul".

Si vous prônez la transparence, pouvez-vous nous indiquer combien êtes-vous rémunéré sur chaque exemplaire de votre livre vendu ?
Les contrats d'édition sont toujours à peu près les mêmes pour les auteurs peu connus comme moi : 8% du prix de vente public du livre.

Y a-t-il désormais des garanties en France en matière de sécurité financière ?
Je pense que les dérives les plus spectaculaires vont s'arrêter. La loi de sécurité financière n'est pas très contraignante mais les investisseurs vont se montrer de plus en plus vigilants sur la question de l'information financière. Mais il faudra juger cela sur le moyen terme. Que se passera-t-il lorsqu'une nouvelle bulle se formera ?

Que pensez-vous des actions du FMI qui fait plier des pays entiers, sous la houlette bienveillante des USA ?
Les logiques du FMI sont celles de l'économie de marché. En ce sens, il véhicule une logique libérale qui ne peut pas convenir à tous les pays. Le FMI devrait se poser des questions sur un certain nombre d'échecs spectaculaires, l'Argentine, la Russie (où son action n'a pas empêché le développement de la corruption).

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"Le Bal des initiés",
par François Roche, Dunod, octobre 2003, 234 pages, 20 euros.

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Quelle est la morale de toute cette histoire ?
Depuis une vingtaine d'années, l'industrie financière est devenue la mère de toutes les industries. Les logiques de rentabilité se sont imposées. La gestion du temps s'est raccourcie. Il y a peu de chances pour que ces logiques changent de façon spectaculaire dans le moyen terme. C'est un monde que nous n'aimons pas vraiment mais c'est celui qui s'est construit sous nos yeux sans que personne ne cherche véritablement à en trouver la logique profonde et surtout la façon dont les non initiés pouvaient y avoir une place.

 

 
Propos recueillis par [Rédaction, JDNet]


 
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