INTERVIEW 
 
Olivier Dahan
Dirigeant
e-Naxos
Olivier Dahan (e-Naxos)
"Un développeur Delphi doit maîtriser C# s'il ne veut pas de devenir le coboliste des années 2010"
Développeur Borland certifié et auteur de trois ouvrages sur Delphi, Olivier Dahan ne se prive pas pour autant de critiquer les récentes annonces de l'éditeur, et souligne l'urgence de trouver un repreneur pour son langage fétiche.
11/10/2006
 
JDN Développeurs. Vous avez récemment publié un nouveau livre sur Delphi. Ce langage dispose-t-il d'une forte communauté en France ?
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Livre "Delphi 2006 et C#"
Olivier Dahan Delphi a bénéficié rapidement depuis sa première version d'une communauté forte et dynamique, en France comme dans de nombreux pays. Parmi mes activités, j'effectue beaucoup d'audits auprès d'utilisateurs de Delphi, dont une forte proportion d'éditeurs de logiciels, et vous ne pouvez pas vous imaginer le nombre de logiciels connus qui sont développés dans ce langage dans notre pays, ou du nombre de grands comptes, hôpitaux, assureurs ou autres qui développent en interne sous Delphi.

Historiquement lié à Windows, Delphi est aujourd'hui disponible pour .Net. Quels sont les arguments en faveur de ce langage face aux autres langages du framework - notamment C# ?
Si on se place du point de vue du langage, un passionné préférera toujours son langage aux autres. Le passage à .Net a ajouté à Delphi de nombreuses améliorations, et un EDI beaucoup plus performant. Face à son grand frère C#, il faut néanmoins avouer que sur le plan technique, Delphi trouve là un concurrent de haute tenue.

D'ailleurs, vous citiez mon dernier ouvrage toute à l'heure : le titre original non retenu par l'éditeur était De Delphi à C# avec BDS 2006, devenu plus banalement Delphi 2006 et C#. Si vous lisez bien le titre original, vous comprendrez tout de suite l'orientation du contenu. Pour moi un développeur Delphi doit aujourd'hui avoir la double compétence Delphi/C# s'il ne veut pas de devenir le coboliste des années 2010.

C# a lui-même été conçu par le créateur de Delphi. Voyez-vous de nombreux points communs entre les deux langages ?
Comme je l'explique dans l'ouvrage cité, tout le monde peut se réclamer de C#. Si vous lisez les livres sur C# écrits par d'anciens C-istes, ils vous citeront tout ce qui fait de C# un "fils naturel de C++". Idem si vous lisez un opuscule d'un ancien Java-iste qui démontrera que C# a tout du meilleur de Java. Et un Delphiste vous dira que C#, c'est l'esprit simplificateur de Delphi apporté au C++... Delphi et C# ont le même père, cela crée forcément des liens.

Je ne vois franchement pas l'intérêt de passer de C# à Delphi."
Un développeur peut-il du coup plus facilement faire le saut entre les deux langages (de Delphi à C# comme de C# à Delphi) ?
Il y a plusieurs façons d'utiliser Delphi, comme VB ou d'autres langages servis par des environnements RAD. Ceux qui s'en sont servi principalement pour placer des boutons et des étiquettes sur des fiches n'ont malheureusement que très peu profité de l'évolution Objet de Turbo Pascal 5.5. Ils auront beaucoup de mal à passer dans un environnement résolument Objet comme .Net, surtout avec C# qui ne permet pas les écarts à ce paradigme, comme Delphi.Net le fait par souci de compatibilité ascendante.

En revanche, ceux qui ont su écouter la voix du progrès, l'objectivation progressive du Pascal, la componentisation de Delphi 1 il y a dix ans comme prélude à la réutilisation du code, ceux-là ont capté l'esprit qui leur permet de passer naturellement à C#. D'ailleurs, même Borland a montré la voie en étant le premier éditeur à proposer un EDI C# en dehors de Microsoft, langage intégré systématiquement à BDS depuis 2005.

Dans l'autre sens, le passage de C# à Delphi que vous évoquez dans votre question, et malgré les grandes qualités de Delphi, je n'en vois que peu l'intérêt pour être franc. L'intérêt majeur de Delphi.Net, c'est de faire vivre un langage agréable et de permettre la réutilisation du code Win32. Si on vient de C#, on ne profite pas de ces avantages et on n'a guère de raison de quitter ce dernier.

Qu'apporte le framework .Net au langage Delphi, comparé à Win32 ?
Beaucoup de choses ! Il faut être lucide, Windows 32 était et reste un monde fait en C pour le C. Malgré le fait que Delphi soit totalement natif sous Win32, s'écarter de la VCL [ndlr : Visual Component Library] réclame la traduction de headers C, traductions parfois irréalisables pour des développeurs Delphi ayant le plus souvent fui C++ faute d'adhérer à sa syntaxe...

.Net apporte une modernité indispensable et rafraîchissante à Delphi."
Le tout premier avantage, c'est que, enfin, le langage est réellement natif au sein de la plate-forme. Vous pouvez réutiliser des DLL C# sans traduire des headers, vous pouvez écrire des composants Windows Forms ou ASP.NET en Delphi qui seront réutilisés sous VB.Net ou C#. C'est un progrès immense. Delphi trouve enfin une place naturelle sous .Net.

Ensuite, le passage à .Net a apporté à Delphi une rigueur et un support Objet qui lui faisait malgré tout défaut sous Win32. Sérialisation, réflexion, tout cela était resté au niveau de Delphi 1 et bridait le langage sous Win32. .Net apporte une modernité indispensable et rafraîchissante à Delphi.

Ceux ayant touché à Turbo-Pascal peuvent-ils réaliser facilement la transition à Delphi.Net ?
Le passage de Turbo Pascal à Delphi, même avec la version 1 en 16 bits de 1995, n'est pas une chose si facile. Il y a un bond entre ces deux mondes. Effectuer ce saut directement vers Delphi.Net est certainement un grand écart aussi difficile que de passer du VB de 1995 à C# 2.0 ...

Il y a toute la culture Objet et composants qu'il faut acquérir, plus toute la philosophie de .Net qui est un gros morceau malgré tout. Mais si on a aimé Turbo Pascal, on aimera certainement Delphi, .Net ou non, et le passage sera certainement plus facile que vers C++ managed ou Java !

Borland se séparant de ses outils de développement, dont Delphi, quel avenir voyez-vous pour ce langage ?
Je vois avant tout une énorme bourde de communication, peut-être la plus grave de toutes. Neuf mois après cette annonce, il n'y a toujours pas de repreneur, et cela jette un voile assez sombre au moins sur l'image de Borland et de ses produits. C'est dommage et injuste pour Delphi.

D'un autre côté, je pense que ce qui nuit le plus à Delphi.Net aujourd'hui, c'est que nous attendons toujours la version supportant .Net 2.0 et le Compact Framework, alors que depuis deux ans tout le monde peut utiliser gratuitement .Net 2.0 avec la beta de Visual Studio 2005, puis avec les versions Express gratuites, sans parler de SharpDevelop ou d'autres EDI Open Source.

Il faut vite trouver un capitaine pour le navire Delphi."
Si Delphi en framework 2.0 avec support du Compact Framework était déjà sorti, l'impact négatif de l'annonce ratée de la vente des EDI passerait certainement mieux.

Quant à l'avenir, difficile d'être devin. Delphi est un bon produit qui dispose d'un capital sympathie important. Il peut se relever de cette mauvaise passe si la situation se clarifie dans un avenir proche. Mais il ne faudrait pas que le flou persiste, ces derniers temps beaucoup de clients transforment des formations Delphi.Net en formation C#. Certaines choses ne font pas plaisir à dire, mais j'ai l'impression que personne n'ose avouer la vérité et que cela nuit gravement à l'avènement d'un sursaut salutaire. Il ne faut pas continuer de masquer l'urgence de la situation, c'est faire plus de tort que de bien à Delphi.

Pensez-vous que le langage profiterait d'être ouvert (Open Source), ou du moins de disposer d'outils gratuits équivalents à Visual Studio Express ?
Je crois qu'il faut à Delphi une société mère à sa hauteur qui redonne confiance en l'avenir, c'est le plus urgent. Borland USA n'est visiblement plus capable de jouer ce rôle aujourd'hui. La gratuité n'est pas essentielle. Sous Win32, Delphi, parti de rien ou presque, a su convaincre par son excellence, et par la réactivité de Borland à suivre les technologies et à offrir une vision claire du futur. Et Delphi Win32 n'était pas gratuit ce qui n'a pas empêché son succès.

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Livre "Delphi 2006 et C#"
C'est la boussole qui est cassée et qu'il faut changer au plus vite, pas le prix de vente. Quand un navire n'a plus de capitaine à son bord, qu'il s'agisse d'une coquille de noix ou d'un porte-avions, il ne peut que couler. Trouvons vite un capitaine pour le navire Delphi et cela ira mieux.
 
Propos recueillis par Xavier Borderie, JDN Développeurs

PARCOURS
 
 
Olvier Dahan, 44 ans, dirige la société e-Naxos.

Et aussi il est l'auteur des ouvrages "Delphi 2006 et C# avec Borland Developer Studio" et "Delphi 8 pour .NET", parus chez Eyrolles, et co-auteur de "Delphi 7 Studio" avec Paul Toth, même éditeur.