INTERVIEW 
 
Stephanie Troeth
Développeuse Web
CloudRaker
Stephanie Troeth (Web Standards Project)
"Les standards du Web ne sont pas tout noir ou tout blanc, mais des entités qui évoluent"
Active au sein des organismes de standardisation, la développeuse insiste sur l'importance de se confronter aux pratiques de terrain. Elle rappelle qu'en matière d'accessibilité les standards ne sont qu'un moyen et pas une fin.
23/10/2006
 
JDN Développeurs. Vous faites partie de l'équipe Éducation (Education Task Force) du WaSP. Quel est le point le plus important à rappeler aux étudiants dans la conception Web ?
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Stephanie Troeth Le problème actuel le plus évident dans le milieu de l'éducation, et particulièrement dans celui des hautes études, est qu'un grand nombre de leçons et de plans de cours sont dépassés. On enseigne toujours la soupe de balises et HTML 3.2, tout comme la conception à partir de tableaux - des pratiques qui remontent aux années 90.

Pour ne rien arranger, il est possible qu'un étudiant qui comprend les standards, et qui fait correctement son projet autour du XHTML et de CSS valide, soit malgré tout pénalisé dans la mesure où les enseignants et formateurs sont en décalage avec le monde actuel, et ne comprennent pas les bonnes pratiques qui ont cours.

En d'autres termes, il ne s'agit pas d'éduquer les étudiants, mais de changer les systèmes d'éducation pour les amener aux pratiques en vigueur dans l'industrie.

Si, autant que je le sache, la formation reste abordable en France, les étudiants de nombreux autres pays doivent payer cher pour être en mesure de suivre des études supérieures en université. Et pourtant, ils payent pour étudier des méthodes dépassées, et une fois arrivés sur le marché du travail, ils doivent déjà être réentraînés.

Quelle serait selon vous la première étape la plus recommandable sur le chemin de l'accessibilité pour les débutants ?
Pour la plupart des gens valides, il est difficile de visualiser les difficultés qu'une personne peut subir si elle a un handicap physique ou mental"
Pour la plupart des gens valides, il est difficile de visualiser les sortes de difficultés qu'une personne peut subir si elle a un handicap physique ou mental. Il est également difficile de visualiser un monde alternatif dans lequel on utilise des moyens, méthodes ou outils différents pour accéder aux informations sur le Web.

C'est là la première barrière à dépasser pour se sensibiliser au problème de l'accessibilité Web. Elle s'applique à tous les niveaux de l'industrie, pas seulement au monde de l'éducation. Quand on y pense, les implications sont bien plus larges que le Web seul ; nous pouvons toujours améliorer notre manière de rendre le monde plus accessible, comme les accès aux immeubles, et les tâches du quotidien, comme gérer ses comptes bancaires.

Un certain nombre d'universités doivent, de par la loi, s'assurer que tous leurs services sont également accessibles aux personnes avec handicaps. Grâce à cela, on s'aperçoit que l'accessibilité Web est en fait mieux comprise au sein de l'éducation supérieure que dans l'industrie commerciale.

Les standards et l'accessibilité peuvent-ils être dissociés, ou sont-ils hautement interdépendants ?
Nous avons affaire à un grave mélange de concepts ici, mais cela est dû au monde industriel où l'on utilise ces mots de manière interchangeable, alors que l'on parle en fait de choses bien différentes. Les mots "standards du Web" comprennent : (1) des lignes de conduite de haut niveau pour l'implémentation d'applications utilisant le Web, (2) des recommandations qui opèrent au niveau du contenu, et (3) des spécifications appropriées à l'infrastructure technologique du Web. Et j'oublie probablement d'autres nuances.

Pour vous donner une idée, l'accessibilité touche les trois types de standards que j'ai résumé. Les spécifications User Agent Accessibility Guidelines et Authoring Tools Accessibility Guidelines appartiennent au (1), la Web Content Accessibility Guidelines peut être classée en (2). En (3), on trouve un grand nombre de standards familiers, comme XHTML, CSS, HTTP, XML, SVG et Unicode - qui peuvent tous avoir un impact sur l'accessibilité.

Flash n'est pas entièrement inaccessible, et du XHTML mal écrit peut également être inaccessible."
Comment "vendre" l'accessibilité et les standards à ceux qui préfèrent des conceptions plus superficielles, ou même en Flash ?
Il y a une conviction pernicieuse qui veut que les sites adhérant aux standards du Web et d'accessibilité soient laids, visuellement inintéressants ou disposant d'une navigation primaire. Contrairement à la croyance populaire, Flash n'est pas entièrement inaccessible, et du XHTML mal écrit peut également être inaccessible.

Quand je travaille avec des architectes de l'information, des experts en utilisabilité et des concepteurs graphiques - qui tous ont une conception différente et parfois contradictoire de la manière de réaliser un site Web -, je partage ma vision de ce qu'est un bon site Web d'un point de vue technologique. En montrant aux autres que vous n'essayez pas de défaire leur travail, mais que vous vous battez également pour une idée différente d'un bon site, ils peuvent être plus coopératifs, même sans complètement comprendre ce que vous voulez, et aider plus volontairement à trouver une solution de manière constructive, ensemble.

Il s'agit vraiment de comprendre les contraintes de chaque partie et d'y être attentif, en demandant une autre manière de naviguer, en posant des questions à l'architecte qui a terminé sa première ébauche, "que se passe-t-il si je dois accéder au menu sans souris ?"

Vous avez participé à la conférence ParisWeb2006. Qu'y avez-vous appris sur les travaux et problèmes rencontrés par les développeurs français ?
Ce fut merveilleux de voir tant de gens à cette conférence chercher à comprendre ce qu'est l'accessibilité, ses implications sur la manière dont les sites sont construits aujourd'hui.

Bien entendu, un grand nombre des questions posées pouvaient être vues comme négatives, ou même naïves, mais personnellement, j'ai apprécié de voir même les questions les plus simples être posées, afin de pouvoir en discuter dans un contexte approprié et utile.

Une grande partie des standards du Web et de l'accessibilité n'est pas encore complètement comprise."
L'important, c'est de comprendre que les standards du Web ne sont pas tout noir ou tout blanc, mais des entités qui évoluent. Par exemple, on peut imaginer que dans le temps jadis, la taille d'une roue était relative à la hauteur appropriée pour mettre la charrette à hauteur des chevaux. De nos jours, le diamètre d'une roue standard a changé, mais l'idée essentielle de la roue reste faciliter le déplacement d'un véhicule.

Il est impératif de ne pas perdre de vue les principales raisons d'être des standards ; cela nous permet de juger si un standard doit être révisé lorsque les circonstances technologiques ou sociales changent. De cette manière, nous pouvons juger au mieux si cela peut se faire dans un contexte donné, et comment utiliser ces standards dans notre quotidien industriel.

Voyez-vous une différence dans la manière d'aborder standards Web et accessibilité entre l'Amérique du Nord et la France ?
Pas vraiment. Les questions posées lors de ParisWeb sont les mêmes que celles qui sont encore posées aujourd'hui partout dans le monde. Cela montre simplement qu'il y a encore une grande partie des standards du Web et de l'accessibilité qui n'est pas encore complètement comprise.

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La communauté française a la chance de disposer d'une communauté petite, mais très forte, qui pousse les standards du Web. Des projets comme OpenWeb, Pompage.net et Opquast sont admirables. De nombreuses autres communautés d'échelle internationale ne sont pas aussi actives, et apparaissent actuellement trop distendues dans leurs efforts en comparaison à ce que l'on retrouve aujourd'hui dans la communauté francophone.

 
Propos recueillis par Xavier Borderie, JDN Développeurs

PARCOURS
 
 
Stephanie Troeth, est directrice du département Web et Technologie chez ClourRaker (Montréal).

2005 Développeuse Web chez CloudRaker
2003 Spécialiste Publications / Développeuse Web, McGill University (Canada)
2000 Principal développeur Web, American International Assurance Company
1999 Développeuse Web, Monash University (Australia)

Et aussi elle est membre des organisations MACCAWS, Web Standard Project, et du group d'intérêt W3C Quality Assurance depuis 2002.