Jean-Baptiste Soufron
Juriste
Association des
Audionautes
ADA
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« Du point de vue des usagers, c'est sans conteste un texte
dangereux. Du point de vue des artistes, c'est un texte qui
ne leur apporte pas de solution de rémunération. Du point
de vue du législateur, ce n'est sans doute pas le texte porteur
de la vision à long terme qu'on aurait pu attendre de la patrie
des droits d'auteur.
La loi a fait l'objet d'un travail législatif intense et les
amendements se sont succédé depuis six mois. Ils ont finalement
débouché sur une loi complexe dont les mécanismes sont
difficiles à assimiler pour le particulier comme pour le professionnel.
Complexe d'abord parce qu'elle met en place un système
de sanctions pénales particulièrement difficile à appréhender.
Comment savoir par exemple ce que recouvre la nouvelle
infraction dérogatoire de "reproduction non autorisée à des
fins personnelles" créée par l'article 14 bis ? Celle-ci
devrait être punie d'une peine contraventionnelle de 38 euros ;
mais faut-il comprendre que ce serait une infraction différente
de la copie privée ? Cette dernière deviendrait alors
punissable des 300.000 euros et 3 ans de prison classiquement
retenus pour les actes de contrefaçon ? Et ce alors même
que ces actes étaient jusqu'alors reconnus comme licites par
la jurisprudence.
La même question revient quand on constate que ces dispositions
ne visent que les données échangées grâce à des logiciels
de pair à pair, et pas les autres formes de reproduction.
Ainsi, alors que la redevance sur la copie privée reste maintenue
par l'article 5 bis, faut-il déduire du texte que les données
échangées sur des DVD ou à travers des baladeurs MP3 seraient
susceptibles de relever de la contrefaçon ?
Mais la loi est surtout complexe vis-à-vis du sort qu'elle
fait aux droits du public. C'est son article 2 qui
modifie le régime des exceptions au droit d'auteur. Ceux
qui souhaiteraient exercer leur droit de citation ou de copie
privée devront désormais s'assurer qu'ils ne portent pas atteinte
à "l'exploitation normale de l'uvre" et qu'ils ne causent
pas un "préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur".
Quand on voit à quel point il est difficile de comprendre
le sens d'une exception établie depuis près de 50 ans comme
la copie privée, on peut se demander quelle mouche a piqué
le législateur de vouloir ainsi compliquer encore le régime
des droits du public. Alors qu'il était déjà bien assez
difficile d'essayer de donner un sens juridique à ces dispositions,
bien malin celui qui saura faire preuve de suffisamment de
compétences sociales et économiques pour déterminer si la
reproduction qu'il est en train de faire n'est pas incompatible
avec ces conditions.
Attention cependant car l'opposition a annoncé qu'elle comptait
saisir le Conseil constitutionnel. À l'image du travail qu'il
avait accompli en 2004 sur la Loi pour la confiance dans l'économie
numérique, il n'est pas donc impossible que celui-ci décide
d'éclaircir certains de ces points.
Malgré tout, les points de désaccord avec le public resteront
sans doute nombreux. Le rendez-vous est d'autant plus manqué
que le public s'était passionné pour ce débat. Il ne fait
donc aucun doute que celui-ci se poursuivra désormais devant
les tribunaux et au cours de la campagne présidentielle à
venir. La loi DADVSI 2.0 ne devrait pas tarder à arriver. »
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