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Laurent Binard
(Fondateur et PDG de Médiapps)

Il a laché Big Blue pour l'aventure


L
'ancien directeur marketing d'IBM a tenté et réussi l'aventure de la start-up.
Mediapps, qui se définit comme un éditeur de logiciels spécialisé dans les portails et un infomédiaire, compte une bonne longueur d'avance sur le marché européen des solutions pour portail d'entreprise. Le jeune homme timide a fait son chemin.

Janvier 1999. Laurent Binard occupe le poste envié, de directeur marketing Europe de l'Ouest chez IBM. Il dispose de moyens appréciables, d'une marque installée et puissante. Pourtant, il annonce qu'il quitte la société. Pour aller chez un concurrent, avec davantage d'argent et de moyens ? Pour partir aux Etats-Unis ? Non, pour créer sa start-up. Ses amis et ses proches tentent de le raisonner, ses collègues sont stupéfaits. "J'avais un projet d'entreprise avec un produit en développement, et je me sentais prêt à tenter l'aventure, même si le capital-risque commençait à peine à arriver", raconte aujourd'hui Laurent Binard. Son idée : une société - Mediapps-, qui éditerait un logiciel - Net Portal - capable de simplifier la programmation et d'éliminer toutes les tâches répétitives, permettant d'accéder facilement à tout et partout. Mais aussi d'apporter du contenu à ses clients, et en particulier aux intranets. La société en question a été créée quelques semaines avant sa démission avec Didier Rochereau et Bertrand Péralta, "des amis de quinze ans".

Ne pas "réinventer la roue" à chaque développement. Ce leitmotiv le guidera tout le long de sa carrière. Et débouchera logiquement sur Mediapps.

Cette décision de plaquer Big Blue pour l'aventure entrepreneuriale s'inscrit logiquement dans le parcours professionnel de cet homme de 39 ans, qui aime s'investir dans les nouvelles technologies et prendre des risques. C'est à la fin des années 70 que Laurent Binard a acheté son premier PC, un TRS 80, sur lequel il s'initie seul à la programmation en Basic. En 1980, il décide de suivre un BTS en informatique de gestion. A l'époque, l'informatique utilise exclusivement des gros ordinateurs avec des langages peu engageants - des minis-systèmes. Puis, il suit une année de spécialisation en informatique de gestion sur micro. Entre temps, il s'est acheté un des premiers PC d'IBM : le PCXT. "Les programmeurs passaient leur temps à ré-écrire sans cesse de nombreuses lignes de codes identiques pour effectuer les mêmes tâches. J'ai donc développé un générateur de programmes." Ce générateur de code source (basic + assembleur) fait économiser du temps aux programmeurs, qui, ainsi, "ne réinventent pas la roue" à chaque développement. Ce leitmotiv le guidera tout le long de sa carrière. Et débouchera logiquement sur Mediapps.

Pas très rôdé aux modèles de distribution, le jeune Laurent Binard n'arrive pas à vivre de ses développements. "Les distributeurs m'affirmaient qu'ils généraient peu de ventes, mais je voyais circuler des programmes générés avec mon logiciel !", se rappelle-t-il. A l'époque, il effectue son service national comme enseignant informatique. Excellente thérapie pour ce jeune homme introverti. "Je devais surmonter ma timidité pour enseigner et communiquer ma passion".

En 1984, il est embauché comme directeur du support technique à La Commande Electronique. "A l'époque, j'ai reçu un CV sur une disquette, se souvient Didier Rochereau,. C'était extrêmement rare. J'ai donc retenu cette candidature, dont le postulant convenait au poste. Nous sommes toujours amis aujourd'hui". Laurent Binard est en charge des clients utilisant les bases de données de type DBase, les télécommunications via micro-ordinateurs… Même constat (les programmeurs "réinventent la roue" à chaque développement…) et même démarche : il développe un générateur de programmes et une gamme appelée DBOutils. Cette fois, le succès est au rendez-vous. Pour assurer son marketing, la société peine à trouver des candidats valables. Comment convaincre le décisionnaire de l'entreprise sans connaître la technologie, alors que les achats se font sur des spécifications techniques ? "Du coup, raconte Laurent Binard, on m'a demandé de faire des présentations aux clients. Les résultats étant convaincants, l'entreprise m'a nommé responsable marketing." Conclusion de Didier Rochereau : "Sans le savoir, Laurent était fait pour ce travail. Le fait d'envoyer son CV sur disquette c'était déjà une jolie idée marketing !" Pour enfoncer le clou, Laurent Binard suit une formation en marketing au Cnam, en cours du soir.

Mediapps compte aujourd'hui 100 collaborateurs, trois filiales à l'étranger, plus de 200 clients européens et américains et un chiffre d'affaires de 4 millions d'euros pour 2000.

En 1991, il quitte la société pour lancer, comme directeur marketing, la filiale française de Fox Software (et sa base de données FoxPro), dont Didier Rochereau est directeur général. Un an après, Microsoft rachète Fox Software, et Laurent Binard accepte le même poste chez Lotus, rachetée en 1995 par IBM, toujours en duo avec Didier Rochereau. "A l'époque, explique ce dernier, nous avons proposé à Lotus de dynamiser la filiale européenne en lançant le logiciel Notes en Europe depuis la France. En cas d'échec après six mois, la société aurait fermé en Europe. Dix-huit mois après, Lotus Europe devenait le 'siège de l'année' de la société."

Mais en 1996, Laurent Binard découvre des produits de type Pointcast, illustrant la possibilité d'avoir accès à une information multiforme et géographiquement dispersée sur un seul et même écran. "Cette problématique d'accès à l'information, et sa gestion par profils en intranet, a toujours été au cœur des problèmes de l'entreprise", analyse-t-il aujourd'hui. Il développe donc, dans son garage pendant de longs week-ends, ce qui deviendra Net Portal, assisté par un de ses amis : Bertrand Péralta, qui a lancé une société de services Internet. Entre-temps, IBM l'a nommé directeur de la communication, puis directeur marketing Europe de l'Ouest. Le jeune homme timide a bien progressé.

Aujourd'hui Mediapps compte 100 collaborateurs, trois filiales à l'étranger (Allemagne, Espagne et Royaume Uni), plus de 200 clients européens et américains. Avec une bonne longueur d'avance sur le marché européen des solutions pour portail d'entreprise, la société affiche un chiffre d'affaires de 4 millions d'euros pour 2000 et déjà une belle brochette de références : des intranets (Aéroports de Paris, Cegetel, Alcatel, EDF…) mais aussi des sites médias (Les Echos, Cyperus…). L'impossibilité d'entrer en Bourse cet automne prive momentanément Laurent Binard de la possibilité d'aller affronter sur leur terrain ses concurrents américains - Inktomi, Autonomy, BCI Navigation… Le jeune patron qui prévoit la rentabilité et un chiffre d'affaires de 26 millions d'euros pour 2002 assure que ce n'est que partie remise. Son seul véritable regret : lorsqu'il était chez IBM, sa maman pouvait fièrement annoncer devant des publicités de Big Blue que c'était le job de son fils. Aujourd'hui, lorsqu'elle dit qu'il a créé une start-up, les réactions sont beaucoup plus mesurées. Un peu de patience, Madame Binard…

[José Diz, JDNet Solutions]