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Guillaume Multrier
(Bananalotto)

Le bon numéro


C'est un fait : les sites de loterie en ligne ont été un des grands succès de l'Internet cuvée 2000. Guillaume Multrier a su saisir la balle au bond en lançant Bananalotto en juin dernier. Le site va dès lors caracoler dans les audiences hexagonales. Pour l'homme, Bananalotto reste avant tout un projet abouti parmi tant d'autres idées à exploiter...

Les fruits de la passion… voilà en substance ce que récolte Guillaume Multrier, aujourd'hui à la tête de Bingonet, société éditrice du site de loterie gratuite en ligne Bananalotto.fr. Il n'y a pas si longtemps, un journaliste de Libération multimédia disait du site qu'il était "bien parti pour ratisser le marché, malgré son nom ridicule ". La réponse de Guillaume Multrier ? "Un concept marketing très basique : il y avait Apple Computer aux Etats-Unis, il y avait Orange Art en France… Et puis les tests ont démontré que la banane remportait une très bonne adhésion, sans compter que la banane c'est aussi le sourire !" A voir ses yeux bleu clair -mis en valeur par un pull à col roulé assorti- pétiller ainsi sous ses lunettes, on sent que le jeune patron a la foi. Sa passion : entreprendre.

"A l'origine du projet Bananalotto, j'avais demandé à mon copain Stéphane Treppoz de m'avertir s'il trouvait un concept nouveau. Il m'a appelé début 2000 des Etats-Unis en me disant qu'il y avait 'un truc de fou' : Freelotto." S'il avait un modèle dans la profession, ce serait Charles Beigbeder, "je connaissais sa femme par l'école… Lui, en 97, il a lancé un courtier en ligne, Selftrade, 'un truc de malade' à l'époque !" Et le frère de Charles, Frédéric Beigbeder ? "J'aime aussi. Reproduire un slide de brief en plein milieu de son roman, je trouve ça génial ! Et puis j'ai lu deux bouquins de suite : '99 Francs' et le bouquin de Messier… j'aime bien le contraste (rires)."

"Les concurrents ? Je déjeune avec eux ce midi, parce que certains commencent à brader leur espace publicitaire. J'ai envie de leur dire que je ne pense pas que ce soit la bonne stratégie…"

A 30 ans, Guillaume Multrier n'en est pas à son premier projet d'entreprise. Diplômé de Supélec puis de l'Insead, où il créa sa première société, il affirme avec aplomb avoir déjà monté une dizaine de business plans dont un seul lui a réellement valu un succès digne de ce nom. "Ce n'est pas une success-story. Vraiment pas !" rétorque-t-il catégoriquement lorsqu'on le complimente pour son parcours. Pourtant Bingonet, sa société, a réussi la prouesse de lever 130 millions de francs en seulement deux tours de table et en moins de six mois. De fait, l'entreprise entame une mue qui fera d'elle, d'une simple loterie gratuite en ligne parmi d'autres, un véritable prestataire BtoB de solutions de marketing online. Le site anglais et le site français -tous deux lancés en juin dernier- attireraient chacun 100.000 internautes par jour. Pour la France, on dénombre environ 800.000 inscrits qui cliquent chaque fois qu'ils jouent sur l'un des trois sponsors qui leur sont proposés. Ce taux de clic garanti de 33% a de quoi séduire les annonceurs, même en ces temps difficiles. Guillaume Multrier nous dit d'ailleurs : "Les concurrents ? Je déjeune avec eux ce midi, parce que certains commencent à brader leur espace publicitaire. J'ai envie de leur dire que je ne pense pas que ce soit la bonne stratégie…"

Le reste de sa journée de travail, le patron de Bingonet considère, avec une certain sens de la formule, qu'"il faut rêver le matin". Explication  : "Il n'y a rien de pire que de commencer sa journée par des problèmes opérationnels, parce qu'on n'a pas l'énergie pour les résoudre". Guillaume Multrier reçoit donc avec plaisir clients ou prestataires pour un petit-déjeuner permettant "d'envisager un développement nouveau". Et le soir, "recruter" avant de "re-recruter" régulièrement chacun de ses salariés. Un parti pris logique pour l'entrepreneur qui affirme que ce qu'il aime le plus dans son travail, ce sont "les gens". Et de se targuer de n'avoir subi "aucun départ -du moins volontaire- depuis le début".

Volontaire, donc, avec son faux air de Bill Gates, Guillaume Multrier a un point de vue singulier sur le monde des Net-entreprises : "Je crois qu'il y a aujourd'hui une vraie évolution des entrepreneurs du Net. Après les Fabrice Grinda et autre Orianne Garcia, une deuxième génération arrive, dont je fais typiquement partie". Son idée : "Plus vous avez d'expérience, plus c'est dur d'entreprendre. Entre quelqu'un qui n'a rien à perdre, qui sort d'une école moyenne et moi, ingénieur de formation, qui étais dans le conseil et qui gagnais bien ma vie… " On en déduit que l'homme juge la création de Net-entreprise moins aisée qu'au tout début. Et que son mérite n'en est que plus grand. L'origine de son succès ? "Mes parents, commence-t-il par dire, parce qu'ils m'ont frustré !" Le sourire généreux et les pirouettes verbales de l'homme donnent de lui une image détendue. Mais attention à ne pas se leurrer : Guillaume Multrier, fils de professeurs dans un lycée de la banlieue Sud de Paris, travaille énormément… Trop, même, selon lui. "Un rythme de dingue ! Il faut dire ce qui est. Intenable sur une vie…" La famille a pourtant droit à deux rendez-vous quotidiens : le petit-déjeuner vers 7 heures et demie -alors que Guillaume travaille déjà depuis un moment car il se lève à 5 heures et demie du matin- et la soirée, car il rentre entre 8 heures et demie et 9 heures du soir. Sa femme et ses deux filles méritent bien, selon lui, qu'il se fixe ces deux "impératifs".

L'avenir de l'e-commerce ne fait l'objet d'aucun doute pour cet ancien consultant chez Mac Kinsey spécialisé dans la grande distribution.

DJ à ses heures, en club ou dans des soirées privées (malgré une parenthèse ces six derniers mois, et pour cause…), le fondateur de Bananalotto s'avoue sans complexe adepte de Napster. D'ailleurs, n'étant pas à l'origine un passionné d'informatique et de nouvelles technologies, Guillaume Multrier voit l'avenir du Net non seulement dans le e-commerce -"j'y crois !"- mais également dans le loisir, avec "la musique et la vidéo streaming". L'avenir de l'e-commerce ne fait donc l'objet d'aucun doute pour cet ancien consultant chez Mac Kinsey spécialisé dans la grande distribution. "Je ne conçois pas que ça puisse ne pas marcher tellement c'est magique !", jubile-t-il en prenant l'exemple de "l'achat en un clic" sur Amazon. Quant aux clients, pas toujours au rendez-vous : "C'est qu'ils n'ont pas essayé, s'écrie-t-il. Dès qu'on y a goûté, on ne peut plus s'en passer. C'est une vraie drogue." Et d'argumenter son enthousiasme en expliquant qu'"hier soir, en une heure, j'ai gagné mon week-end "… S'ensuit l'énumération de ses transactions en ligne de la veille.

Mais le loisir aussi semble réellement important pour ce dynamique lauréat. Ses vacances se passent au ski et à la mer. Il avait même pour habitude d'en prendre "un mois l'été", bien qu'elles soient cette année passées à la trappe. A un de ses amis, qui l'a récemment appelé après un long séjour passé en mer, il nous assure avoir répondu : "Tu es fou ! reste sur ton bateau !". Cela dit, le patron du site qui fut le sponsor de l'émission "Qui veut gagner des millions" n'est pas prêt, pour sa part, de s'arrêter. "Il y a encore tout à faire." Malgré l'arrivée récente d'un "papy parachuté" -selon les termes mêmes du nouveau Chairman Hervé Pointillart- au sein de Bananalotto, Guillaume Multrier est lucide. Sa société doit, grâce notamment à Hervé Pointillart, s'attaquer à un marché BtoB pour dépasser le simple positionnement BtoC. Beaucoup de travail encore en perspective, donc… Et après ? Pourquoi ne pas retourner chercher du côté de la distribution, semble s'interroger l'entrepreneur à succès qui avait déjà inventé "un Ooshop avant l'heure", dans le cadre d'un projet à l'Insead.

[Pascal Bories, JDNet]