Ne
le cherchez pas au siège du groupe PPR. François-Henri Pinault
a préféré s'installer dans les locaux de PPR Interactive, la
filiale dédiée aux développements sur le Web. A 38 ans, le responsable
du e-commerce au sein du groupe de distribution (124 milliards
de francs de chiffre d'affaires en 1999) supervise 67 sites
et en prévoit 100 dans les douze mois à venir. A ce titre, il
participe aussi chaque semaine au Comité d'investissement d'Artémis-net,
structure d'investissement Internet d'Artémis, la holding financière
qui contrôle PPR.
"Le choix
d'intégrer le groupe s'est fait naturellement", reconnaît-il,
même s'il avoue que s'il démarrait aujourd'hui, il se
laisserait tenter par une start-up. |
A l'image des locaux, son bureau est
sobre, décoré d'une affiche de Mondrian et d'un maillot de
l'équipe de France de rugby ("C'est Christophe Dominici, un
copain, qui me l'a donné"). Celui qui se présente comme "le
plus ancien collaborateur du groupe, en tout cas celui qui
a dirigé le plus de branches", en porte aussi le nom le plus
célèbre, puisque le propriétaire est son père, François Pinault,
troisième fortune de France selon le magazine "Capital".
L'inévitable évocation de sa filiation ne lui arrache qu'un
soupir : "Je n'y fais plus vraiment attention. On est toujours
le fils de quelqu'un".
A HEC
(où il entre dernier mais finit sur la "liste du Président",
regroupant les cinq premiers de la promotion), "rien dans
son attitude ne montrait d'où il venait, à part sa R5 Turbo",
se rappelle un ancien condisciple. "Il était assez fétard
mais il avait bien la tête sur les épaules et se demandait
s'il n'allait pas choisir un boulot classique", souligne un
autre. L'attrait du groupe familial est pourtant le plus fort
: il y entre en 1987, après une coopération au Poste
d'expansion économique à Los Angeles où il s'occupait de la
haute technologie
et de la mode. "Le choix d'intégrer le
groupe s'est fait naturellement", reconnaît-il, même s'il
avoue que s'il démarrait aujourd'hui, il se laisserait tenter
par une start-up. Sa progression est linéaire : salarié
chez Pinault Distribution, directeur de France Bois Industrie
en 1989, de Pinault Distribution en 1990, de la CFAO en 1993
et président de la Fnac en 1997. Ce parcours furieusement
initiatique lui apprend "l'industrie, la distribution professionnelle
et grand public, le négoce international, mais aussi le management
et le commandement."
Sa passion pour l'informatique (à HEC, il travaillait sur
les logiciels de base de données) le conduit dès 1993 à s'intéresser
à l'Internet. "Mon premier abonnement était sur Compuserve.
J'allais chercher des drivers pour mes micros". Il va vite
avancer. "Tous les ans, j'allais aux Etats-Unis. En 95, on
a repéré le lancement d'Amazon. On les a rencontrés en 97
pour qu'ils nous expliquent ce qu'ils étaient en train de
faire. Lors d'un séminaire à San Francisco, nous avons vu
les gens de Yahoo et d'eBay. Cela a été le déclencheur. En
rentrant, on s'est dit que l'on allait passer de la phase
artisanale à la phase industrielle." Son père se rend aussi
régulièrement aux Etats-Unis. Sur les conseils du fils, il
rencontre Jean-Louis Gassée, le PDG français de Be (dans laquelle
Artémis investit à l'époque 3 millions de dollars), bon indicateur
de pistes d'investissements. "Je les vois régulièrement, raconte
Jean-Louis Gassée. En novembre dernier, j'ai retrouvé François-Henri
au Comdex à Las Vegas. Il est assez pointu en matière de technologie,
mais de façon agréable, ni dans la stratosphère, ni trop conservateur."
Convaincre PPR des enjeux du commerce électronique n'a pas
été difficile, affirme-t-il, car "le groupe a une culture
de vente à distance développée. En revanche, nous avions la
conviction dès le départ que c'était un sujet très complexe
et très cher. A l'époque, tout le monde disait que c'était
du commerce à moindre frais, la fin des magasins. Nous avons
nagé à contre-courant en expliquant que ce n'était pas vrai."
Métiers obligent, la Fnac et La Redoute sont vite en pointe.
Le premier site de "l'agitateur culturel" a été ouvert en
octobre 1996. Aujourd'hui Fnac.com devrait réaliser un chiffre
d'affaires compris entre 110 et 120 millions de francs cette
année, soit 1% du chiffre d'affaires total de la société.
Le chiffre d'affaires e-commerce du groupe PPR devrait atteindre
la barre symbolique du milliard de francs cette année, tous
métiers et tous pays confondus.
"En mai 2000, Serge
Weinberg m'a demandé de remonter à coté de lui à la direction
générale pour m'occuper de toute l'activité Internet du
groupe." |
PPR a donc opté pour le modèle click & mortar. Aux yeux de
ses dirigeants, Internet ne pouvait être qu'un complément
aux activités dans la partie purement transactionnelle, ou
bien en amont (la préparation de l'achat) ou encore en aval
dans le service après-vente. "On va aller très loin dans cette
intégration des formats", martèle François-Henri Pinault.
Pour chacun de ses métiers, le groupe s'est aussi interrogé
sur ce que la vente à distance pourrait représenter sur Internet.
Sur les produits culturels, il estime par exemple qu'elle
pourrait atteindre 25 à 30%. Du coup, les politiques varient
d'un métier à l'autre, même si le commerce électronique ne
reste qu'un format de vente. Pas question donc d'isoler l'activité
pour la coter en Bourse. Il y a quelques mois, cette prudence
avait valu à PPR les foudres des marchés, mais le groupe a
tenu bon. Aujourd'hui...
La stratégie e-commerce est en constante accélération (les
nouveaux sites de Conforama, de Surcouf et du Printemps sont
annoncés pour début 2001) et François-Henri Pinault a quitté
son poste à la Fnac pour la superviser. "En
mai 2000, Serge Weinberg m'a demandé de remonter à coté de
lui à la direction générale pour m'occuper de toute l'activité
Internet du groupe". Une fonction qui vient complêter
le dispositif Internet mis en place par PPR. "Comme
les sites du groupe avaient des problématiques assez communes,
explique François-Henri Pinault, il nous est apparu évident
qu'il y avait de la place pour une structure qui recoupe des
compétences essentielles, une société de services interne
et une cellule de veille technologique. C'est comme ça qu'est
née PPR Interactive". Cette dernière, créée
en octobre 1999 et aujourd'hui dirigée par Jean-François Nebel,
suit également les participations qu'a prises PPR (Letsbuyit,
FemmesOnline, Petitsetgrands
).
L'expérience de la vente ne suffit pas toujours et le cas
Mageos montre que sortir de son métier d'origine peut être
risqué. En 1999, la Fnac lance un service d'accès gratuit
dont le succès, mais aussi le coût, incitent PPR à monter
une offre mutualisée à l'échelle du groupe. "La décision
de lancer Magéos a été prise avec Serge
Weinberg. Sur l'accès gratuit, en 2000, nous avons atteint
22% du marché en France, mais les clients réclamaient des
forfaits et du haut-débit et ce n'était plus du tout dans
nos compétences." En novembre, PPR annonce la cession des
activités de Magéos à 9 Telecom pour environ 190 millions
d'euros. Même si les deux acteurs affichent leur volonté de
progresser (une offre ADSL est prévue début 2001) et si François-Henri
Pinault pense que PPR "a la capacité de recruter entre 300
et 400.000 internautes par an au travers de ses réseaux de
distribution", la cession de Mageos ressemble à un pas en
arrière.
Le commerce électronique n'est qu'une étape dans l'ascension
de François-Henri Pinault. Mais il la vit avec passion. Il
surfe tous les jours ("le pire, c'est que je n'arrête pas
le week-end") et visite quasi-quotidiennement ses sites. S'il
achète beaucoup en ligne, c'est souvent
sur Amazon. "Il m'est
arrivé d'envoyer aux gens de la Fnac l'emballage carton, étudié
pour être adapté au produit, ou leur facture, imprimée à l'italienne
pour gagner de la place." Un suivi méthodique qui n'étonne
pas ceux qui travaillent avec lui. "Je ne conçois pas de m'occuper
d'une affaire sans en connaître les tenants et aboutissants,
affirme-t-il. Pour moi, c'est une qualité, pour mes collaborateurs,
ça doit être un défaut !" Une confidence rare de la part
de ce manager discret, père d'un enfant, fan de Led Zeppelin
et "fana de foot". "Par curiosité intellectuelle", il étudie
le langage C adapté aux Pocket PC, et a testé Napster et Gnutella.
"Ce sont de superbes outils d'échange, malheureusement dévoyés
pour pirater, dit-il. Ils pourraient être utilisés de façon
très intelligente." Un nouveau chantier pour les équipes Internet
de PPR et leur patron?
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