Le Net
Internet en campagne : 7. Diffusion des sondages électoraux, l'impossible réforme
 (Jeudi 31 janvier 2002)
         

Par Benoît Tabaka,
du cabinet d'avocats Landwell & Partners.
NB : cet article a fait l'objet
d'une première publication sur Juriscom.net

"Tu ne céderas pas à la tentation de décrire un état idéal des choses en imaginant transfigurer le monde par la seule grâce du verbe normatif.". Ainsi commençait le décalogue à l'usage du législateur rédigé par un certain Solon, haut-fonctionnaire et dont le texte a entraîné de très vives réactions de la part de plusieurs parlementaires [25]. Dans le domaine des sondages électoraux, il semblerait que ce premier précepte soit hélas applicable compte tenu de la réforme actuellement en cours de discussion devant le Parlement. Suite à une décision de la Chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 4 septembre 2001 [26], le ministre de l'Intérieur a présenté au Conseil des ministres le 16 janvier 2002, un projet de loi tendant à réformer rapidement le régime juridique applicable à la diffusion, commentaire et autres analyses de sondages électoraux avant le scrutin.

Seulement, l'analyse du texte et de son potentiel contrôle par le juge des élections ou le juge judiciaire nous conduit à conclure à son inefficacité. Actuellement, le régime de la diffusion des sondages en période électorale est gouverné par les dispositions de la loi n° 77-808 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d'opinion. Son article 11 précise que "pendant la semaine qui précède chaque tour de scrutin ainsi que pendant le déroulement de celui-ci, sont interdits, par quelque moyen que ce soit, la publication, la diffusion et le commentaire de tout sondage tel que défini à l'article 1er". La loi pose donc un régime d'interdiction pure et simple de la diffusion, du commentaire ou de la publication de tout sondage en relation avec une élection, applicable à l'ensemble des acteurs, et cela pendant la semaine qui précède le premier tour du scrutin. En cas d'infraction, l'auteur s'expose à une amende de 75.000 euros.

Au milieu des années 1990, l'arrivée d'Internet dans les foyers mais également au sein des administrations ou des entreprises a particulièrement bouleversé l'application de ces dispositions. En effet, au travers de la Toile mondiale, une nouvelle vie a pu être donnée aux sondages électoraux. Tout d'abord, il s'agit d'une diffusion beaucoup plus large aussi bien sur les sites Internet des organismes de sondages, mais également sur les sites d'informations et d'actualité (Le Monde, Le Parisien, etc. …) voire sur la multitude des pages personnelles. Internet est également à l'origine de la création de nouveaux services comme ces sites proposant de réaliser des enquêtes notamment en matière électorale. Face au développement de ces types de sites Internet d'enquêtes d'opinions, la Commission des sondages a attiré l'attention des acteurs.

L'autorisation jurisprudentielle

Dans un communiqué en date du 20 février 2001, l'organisme de surveillance a invité les médias à la plus grande prudence, les enquêtes réalisées ne répondant à aucun des critères techniques et scientifiques devant présider à la réalisation des sondages. Tel est le cas, par exemple, des internautes visitant ce type de sites qui ne peuvent constituer un échantillon représentatif, sélectionné dans les règles de l'art. La Commission a donc invité les médias à ne pas présenter ces résultats comme des sondages et a souhaité que leur diffusion s'accompagne de précaution "de nature à souligner les limites de leur fiabilité et à relativiser leur portée". Seulement, ces recommandations ne sont applicables qu'aux médias et en aucun cas aux sites réalisant et publiant ces enquêtes d'opinions susceptibles de créer une confusion dans l'esprit de l'e-électeur.

Grâce ou à cause d'Internet, ce régime juridique de la diffusion des sondages électoraux a connu un important contentieux qui a trouvé sa conclusion à travers une décision de la Chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 4 septembre 2001. Dans le cadre des élections législatives de 1997, le Parisien avait commenté pendant la période interdite un sondage diffusé par le quotidien suisse la Tribune de Genève dans son édition papier et électronique. Saisi par le Président de la Commission des sondages, le garde des Sceaux a engagé la responsabilité pénale du directeur du journal.

Dans un premier temps, le Tribunal de grande instance de Paris a relaxé le prévenu par un jugement en date du 15 décembre 1998 [27] en estimant que l'interdiction édictée par la loi de 1977 était incompatible avec les articles 10 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. L'article 10 offre à toute personne la liberté d'expression qui comprend la liberté de recevoir ou de communiquer des informations, sans considération de frontière tandis que l'article 14 prohibe toute discrimination fondée notamment sur la fortune, la naissance ou toute autre situation.

La discrimination Internet

Le juge de première instance a estimé dans sa décision que l'interdiction "n'apparaît plus compatible avec la liberté de donner et de recevoir des informations sans considération de frontière, ni avec le principe d'égalité des citoyens devant la loi". En effet, relève-t-il, "dès lors que les sondages, publiés à l'étranger en toute légalité, sont connus, grâce aux moyens actuels de communication et notamment grâce à Internet, par des milliers d'électeurs français, l'interdiction de diffusion de ces informations par les médias nationaux pendant la semaine précédant le scrutin ne constitue plus une mesure nécessaire dans une société démocratique pour assurer la liberté des élections et la sincérité du scrutin, mais aurait au contraire pour effet de créer une discrimination entre les citoyens, au regard du droit à l'information".

Le TGI de Paris a donc pris en compte dès 1998, l'impact d'Internet sur le régime des sondages électoraux. A un moment où le nombre d'accès commençait à se développer, une véritable discrimination se creusait entre les personnes connectées et celles exclues de la source d'information que constitue la Toile mondiale. Par ailleurs, à côté de cette appréciation d'une certaine discrimination, le juge estime au final que le droit à l'information est lui-même atteint puisque les citoyens français sont interdits de recevoir une information.

Saisie en appel, la Cour d'appel de Paris dans un arrêt en date du 29 juin 2000 n'a pas suivi la position adoptée par le juge de première instance. Elle a condamné les journalistes sur le fondement d'une totale compatibilité entre les dispositions nationales de la loi de 1977 et celles de la Convention européenne. Selon elle, "les techniques modernes de communication (en particulier Internet et le Minitel), qui ne connaissent pas de frontière, permettent de contourner la prohibition légale dans la mesure où des sondages réalisés à l'étranger peuvent aisément parvenir à la connaissance des citoyens français, cette circonstance - qui milite en faveur d'une harmonisation de la législation sur les sondages au plan européen - n'est pas de nature à caractériser une discrimination au sens de l'article 14 de la Convention". Il s'agit là d'une solution totalement logique.

Le principe de la liberté d'expression

L'argument fondé sur la discrimination n'est pas pertinent dans ce cas précis. Ce n'est pas la législation qui crée la différence de traitement mais l'absence d'équipement. Vis-à-vis de l'article 14 de la Convention européenne, le juge a eu raison d'affirmer qu'aucune incompatibilité ne pouvait être relevée. Mais, là où se situe le point intéressant, c'est à propos de l'article 10 de la Convention. Dans son arrêt en date du 4 septembre 2001, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a mis fin à cette distorsion de position entre les juridictions inférieures. La juridiction suprême a annulé, sous le visa de l'article 10 de la Convention européenne, l'arrêt de la Cour d'appel de Paris.

Plus précisément, la Cour a relevé qu'aux termes de cet article, toute personne a droit à la liberté d'expression. L'exercice de ce droit, qui comprend, notamment, la liberté de recevoir ou de communiquer des informations, ne peut comporter de conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi que lorsque celles-ci constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, notamment à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. La solution qui aurait pu être adoptée, aurait été de se dissimuler derrière l'exception prévue au deuxième alinéa de l'article 10 à savoir la protection des droits d'autrui. La Cour d'appel de Paris avait interprété cette notion comme impliquant la sauvegarde des droits des citoyens dont la réflexion personnelle doit être sauvegardée, et celle des candidats pour qui le scrutin doit être incontestable.

Cette appréciation s'éloigne du sens véritable de l'exception qui doit être interprétée strictement. La référence à la protection des droits d'autrui doit permettre aux Etats d'édicter des législations prohibant toute diffusion de contenu discriminatoire, diffamant ou insultant et non, leur permettre, de restreindre la diffusion d'informations. En conséquence, la Cour de cassation - revenant à une lecture plus juste de l'article 10 de la Convention - a estimé que l'interdiction édictée par la loi de 1977 instaure "une restriction à la liberté de recevoir et de communiquer des informations qui n'est pas nécessaire à la protection des intérêts légitimes énumérés par l'article 10". La juridiction suprême s'est donc fondée sur les deux aspects de la liberté d'expression pour prononcer l'incompatibilité : l'article 10 permet à toute personne notamment aux journalistes ou candidats d'émettre des informations, mais également le même article permet aux citoyens de recevoir des informations.

Les sondages électoraux et l'atteinte à la sincérité du scrutin

Cette double facette prive d'effet, en pratique, l'interdiction. Les journalistes, mais également, les candidats peuvent donc diffuser, commenter ou analyser tout sondage électoral et ceci à tout moment de la campagne même pendant la semaine précédant chaque tour de scrutin. De même, les citoyens sont en droit d'être les destinataires de ces sondages. Seulement, cette liberté d'expression retrouvée grâce à l'arrêt de la Cour de cassation a suscité des réactions - notamment du Conseil constitutionnel chargé du suivi et du contrôle des prochaines élections législatives et présidentielles, de la Commission des sondages et du Conseil supérieur de l'audiovisuel - en faveur de la réinsertion d'une interdiction. Le but affiché n'est pas de limiter de nouveau la diffusion de l'information ou sa réception par les électeurs, mais plutôt de protéger le candidat en raison d'une particularité propre au droit électoral.

Dans le cadre du contrôle du déroulement des élections, le juge électoral (Tribunaux administratifs, Conseil d'Etat, Conseil constitutionnel) prend une attitude ouvertement objective dans l'appréciation des éléments qui ont pu influencer les électeurs, modifier le résultat et donc entacher d'irrégularités le scrutin. Ces éléments peuvent aussi bien être le fait du candidat [28], de ses partisans [29] ou de manière générale de toute personne physique ou morale [30] sans aucun lien avec l'un des prétendants. Dans le cadre de l'appréciation des motifs qui peuvent conduire à estimer que des irrégularités ont été réalisées, le juge prendra en compte aussi bien celles commises volontairement par le candidat que, celles ayant influencé les électeurs et accomplies en dehors de son contrôle. Tel est le cas notamment des sondages électoraux.

Par une décision du 23 janvier 1984 [31], le Conseil d'Etat a annulé une élection au motif que "la diffusion dans la commune, pendant la semaine précédant le scrutin, d'un tract présentant les résultats d'un sondage d'opinion qui étaient favorables à la liste constituée par la municipalité sortante a été faite en violation des prescriptions de l'article 11 de la loi du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d'opinion et a été, dans les circonstances de l'affaire, de nature à altérer la sincérité du scrutin". La simple diffusion d'un sondage est susceptible, aux yeux du juge, de modifier le comportement de l'électeur, de modifier le résultat du scrutin et, en conséquence, d'altérer sa sincérité.

En quoi un sondage relatif à un scrutin peut-il altérer la sincérité du scrutin et intrinsèquement modifier le comportement des électeurs ? Les illustrations apportées sont systématiquement les mêmes : un sondage pronostiquant la nette victoire d'un candidat peut inciter des électeurs à l'abstention s'ils estiment que leur vote sera sans effet sur l'issue du scrutin. De même, la situation respective des candidats apparaissant dans un sondage peut conduire des électeurs notamment indécis à se déterminer en faveur d'un candidat ou en sa défaveur. Ainsi, dans le cas où le sondage fait état de prévisions d'écart très faible entre des candidats, celui-ci est susceptible de modifier le résultat final voire de faire basculer une majorité. Ces éléments de pure prospective sont hélas difficilement quantifiables et naturellement variables suivant le contexte politique et les écarts entre les individus, mais les juges estiment que l'influence est "incontestable". Lire la suite

Notes :
[25]
En effet, le texte, d'abord publié dans une revue juridique (Les petites affiches, 10 janvier 2001), a été repris sur le site Internet du Conseil constitutionnel. L'intervention de M. Bernard Roman, député et président de la Commission des lois de l'Assemblée nationale a conduit l'institution à le retirer de son site Internet. A ce jour, l'identité de Solon n'est pas connue officiellement.
[26]
Cass. Crim., 4 septembre 2001, Amaury c/ Ministère public, n° 00-85.329.
[27]
TGI Paris, 17e Ch., 15 décembre 1998, Procureur de la République c/ M. Amaury.
[28]
A titre anecdotique, il est possible de citer le cas d'une élection annulée car un des candidats, directeur d'un établissement hospitalier, avait conduit au bureau de vote les aveugles de l'établissement (TA Amiens, 21 juin 1977, Elections municipales de Quinquempoix).
[29]
On peut citer le cas d'une élection annulée en raison de la présence, dans les bureaux de vote, de personnes revêtues de maillots portant une inscription manifestant leur intention de voter pour l'un des candidats (CE, 2 mai 1990, n° 108783, Elections municipales de Terre-de-Bas).
[30]
Tel est le cas de l'affaire dite du Vrai Journal, émission diffusée en clair sur Canal Plus. Le Conseil constitutionnel contrôlant une élection législative partielle l'avait annulée au motif qu'au cours d'une séquence parodique diffusée le jour du scrutin, la chaîne avait incitée fortement les électeurs à voter contre le Front national (CC, décision n° 98-2552 du 28 juillet 1998, AN Var).
[31] CE, 23 janvier 1984, Elections municipales d'Etampes.

[Rédaction, JDNet]
 
 
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