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Grandes entreprises : le dirigeant le plus "e-business"
1. Nicolas Dufourcq / France Télécom
2. François Marchal / SNCF (lire)

"Opérateur historique" du marché français, France Télécom a eu quelques facilités à s'imposer dans la fourniture d'accès. On l'attendait moins sur le contenu: c'est le pari gagné par le pilote de la stratégie internet de FT, Nicolas Dufourcq.

Il a l'âge -36 ans- d'un de ces nouveaux patrons qui agitent l'Internet français, mais son CV est bien celui des élites à la française: passé par HEC et l'ENA, Nicolas Dufourcq a fait l'Inspection des Finances avant d'entrer à France Télécom en 1994. L'opérateur est encore un monopole, mais la modernisation est en route. Et côté modernité, Nicolas Dufourcq a des lettres de crédit à faire valoir: il a notamment planché sur le rapport Minc sur "La France de l'an 2000". A France Télécom, il s'occupera donc "du changement de statut, de la réforme des retraites et de négocier avec l'Etat et les partenaires sociaux". Dans le France Télécom privatisé, le voilà en charge de la division multimédia, qui couvre l'audiovisuel (câble, TPS, participations de France Télécom dans des chaînes thématiques, etc.), puis, en plus d'Internet, des annuaires et de la télématique -minitel et audiotel. L'ensemble "pèse" 12 milliards de francs de chiffre d'affaires. On est loin des entrepreneurs du Web.

1,8 million d'adresses e-mail
Il est d'usage de s'en plaindre, mais personne ne conteste la position largement dominante sur Internet de l'opérateur historique des télécoms françaises. Quelques chiffres sans appel: au 13 septembre 1999, Wanadoo comptait 825.000 abonnés en France, plus les 25.000 de Nordnet (selon l'Association des fournisseurs d'accès, la France comptait 1.642.000 comptes individuels au 15 juillet 1999), et 260.000 à l'étranger. L'audience de Wanadoo la semaine du 6 au 12 septembre était de 2,7 millions de pages vues par jour. Voila à la fin août avait une audience de 2,2 millions de pages vues par jour tous sites confondus -neuf versions dont la française-, dont 1,8 million de pages vues pour Voila.fr (à l'intérieur duquel les Pages Jaunes comptent un tiers du trafic du site). Ajoutons que France Télécom a attribué près d'un million d'adresses e-mail en plus de l'adresse de chaque abonné Wanadoo. "C'est un indicateur stratégique" insiste Nicolas Dufourcq: ce million correspond aux adresses supplémentaires des abonnés, à la messagerie en ligne Lemel.fr et à minitelnet. 350.000 adresses minitelnet sont utilisées par des utilisateurs du minitel, qui échangent par ce biais avec leurs correspondants sur Internet. Ce service affiche une belle santé, puisqu'il grandit de 3.000 inscriptions par semaine.

Accès: objectif Europe et Afrique
Comme fournisseur d'accès, France Télécom a commencé sa croissance à l'international: Wanadoo est présent en Belgique et aux Pays-Bas, bientôt en Espagne, où FT a racheté un fournisseur d'accès, au Danemark, où un autre rachat vient d'avoir lieu, en novembre. "C'est un choix stratégique très important: Wanadoo est le seul produit de France Télécom qui a une marque unique, quel que soit le pays d'implantation", souligne Nicolas Dufourcq. Les autres, y compris Itineris en téléphonie mobile, sont déclinés avec des appellations différentes selon les pays. L'Afrique est également en vue, avec un développement qui s'étalera sur les 18 prochains mois: Côte d'Ivoire, Sénégal, Maroc, Algérie, Egypte, sont parmi les pays où l'opérateur compte proposer l'accès Internet. En France même, où Wanadoo a une part de marché évaluée à 40%, l'objectif que FT lui assigne est de dépasser 50%. "C'est un objectif normal pour une telco [compagnie de télécom] compte tenu de l'importance des investissements qui ont été réalisés".

Editeur de contenus, un nouveau métier
Si Nicolas Dufourcq joue les modestes sur sa performance de fournisseur d'accès, il est autrement plus fier de la révolution interne qu'a dû mener France Télécom et sur les nouveaux métiers que l'entreprise explore: "Il y a dix ans, explique Nicolas Dufourcq, France Télécom était un opérateur de téléphonie fixe et vocale. Notre business s'est complètement retourné avec l'arrivée du téléphone mobile et d'Internet. Il a fallu se réinventer totalement". A côté de son activité de fournisseur d'accès, l'entreprise est devenue rapidement le plus gros -en audience- éditeur de contenu du Net français. Une structure a été créée pour cela en mars 99 (discrètement, puisque sa seule trace sur le site corporate de FT est apparue en mai, sur un communiqué lors de la création de la régie publicitaire): alors que la totalité des activités multimédia de FT sont du domaine de France Télécom Multimédia, filiale à 100% de France Télécom, toutes ses activités de contenu sont l'œuvre de sa filiale à 100% FT2MS, sigle pour France Télécom Multimédia Services. Cette société anonyme de 200 personnes (FT Multimédia en compte 5.000) est responsable de l'internationalisation des sites et de la production de leurs contenus. Soit de Voila, des portails nationaux de Wanadoo, d'iTi, Goa, Après l'école, de la chaîne spécialisée Computer Channel, du moteur Echo (dont la technologie est utilisée par Voila) et de FT Multimédia Edition, qui produit des CD-Rom de jeux.

Deux portails et des niches
L'exploit de France Télécom éditeur tient en un constat: la France est un des rares pays où un portail local peut contester la domination de Yahoo. FT a développé deux portails horizontaux, ou généralistes, Wanadoo et Voila -le second est né sans bruit en août 98. "Ces deux grands portails comprennent une quinzaine de briques élémentaires, et ces briques peuvent être commercialisées sur d'autres sites: Voila peut servir de moteur sur des sites, lemel a vocation comme Hotmail à être référencé sur d'autres portails, les Pages Jaunes par définition, Goa a tout intérêt à être distribué sur le maximum de portails généralistes, et ainsi de suite... Nous faisons une distinction très claire entre notre activité de distributeur, les portails généralistes, et notre activité d'éditeur et de producteur de briques élémentaires". Ces "briques", ou "portails verticaux" ou sites de niche, sont iTi, pour les itinéraires et cartes touristiques de France et d'Europe; Après l'école pour les enfants, qui compte "plusieurs milliers d'abonnés", à 30 francs par mois et fait concurrence à Adibou (Havas - Vivendi) et Hachette; Goa pour les jeux vidéo, gratuit, qui a déjà 75.000 membres à la mi-septembre et en accueille 300 de plus par jour, "un très beau résultat pour une communauté, sachant qu'un bon jeu vidéo se vend dans les 20.000 exemplaires en France".

"Une stratégie à la Yahoo"
Avec cette offre très riche et qui s'étendra encore, "nous avons une stratégie à la Yahoo: un très fort branding et une multiplication des services. France Télécom est et restera la première audience française. A l'horizon de cinq ans, nous serons parmi les six ou sept premiers portails européens. Plus qu'en portail, nous raisonnons en parts de marché d'entreprise -un portail, c'est un TPS ou un CanalSat, un bouquet. FT sera dans les cinq premières entreprises de média Internet en Europe". L'opérateur historique occupe une position unique par sa domination de l'audience française, les deux autres exemples de pays où leurs pairs sont en tête n'étant pas comparables. En Allemagne, T-Online, le service de Deutsche Telekom, a une position hégémonique. Mais son audience correspond à celle des abonnés, et non d'un site externe. A contrario, souligne Nicolas Dufourcq, 70% des utilisateurs de Voila, et autant de ceux de Goa, ne sont pas des abonnés Wanadoo. En Espagne, Telefonica est devenu numéro un de l'audience, mais en rachetant Olé.

Résultats au-dessus des objectifs
Les trois sources de revenus pour les sites FT sont la publicité, le commerce électronique et la prestation de services. Pas de chiffres communiqués pour le moment, on saura seulement que FT2MS est "complètement dans son budget, voire au-dessus". La régie de FT2MS, Wanadoo Voila Régie, créée en mai 99, atteint "largement" ses objectifs -son but annoncé était de capter le tiers du revenu publicitaire français online. La publicité génère "de nombreuses dizaines de millions de francs". "Aujourd'hui on est confortable, on s'aperçoit qu'il y a une vraie réponse du marché, à chaque fois que nous ouvrons une nouvelle chaîne sur nos portails, les annonceurs sont là", indique Nicolas Dufourcq. Qui juge par ailleurs qu'avec les nouvelles offres tarifaires, comme bientôt l'accès Internet à 28 centimes la minute sans abonnement, "la France a l'accès le moins cher d'Europe; c'est d'ailleurs de la folie furieuse cette course. Pour le moment, les offres d'accès gratuits n'affectent que nos concurrents. Maintenant, nous restons très prudents et surveillons la situation comme le lait sur le feu. Si l'accès gratuit devait devenir un standard absolu, FT réagirait."

La Bourse? "Contraire à la demande des clients"
L'entrée en Bourse de FT2MS "est constamment envisagée et constamment exclue. Elle pose énormément de questions, dans la mesure où au sein de France Télécom nous pouvons traiter tous les problèmes de connexions, d'accès sur mobiles, etc., alors que si on commence à mettre en Bourse une partie des produits, on court le risque d'une organisation autiste, où personne ne se parle plus. Nos clients demandent au contraire des passerelles. Si on écoutait les marchés financiers, on irait tout de suite en Bourse, mais ce serait à courte vue. Par contre, ouvrir le capital à des partenaires, pourquoi pas? Autant l'accès est une activité où on ne glisserait pas une feuille de papier à cigarette entre France Télécom et sa filiale, autant sur le contenu, c'est beaucoup plus ouvert. Nous acceptons d'ouvrir le capital dans nos activités audiovisuelles, ce ne serait pas logique que nous ne le fassions pas pour le contenu en ligne". Certaines activités ne sont pas propriété à 100% de FT, comme Echo, dont une part du capital est encore détenue par ses créateurs. "Les premiers partenaires intéressants sur Internet sont d'ailleurs généralement les fondateurs des entreprises", remarque Nicolas Dufourcq.

Dernier sacrifice à la modernité, Nicolas Dufourcq ne compte guère ses heures de travail. Rentré chez lui chaque soir vers 22 heures, il n'a pas le temps d'utiliser Internet à titre personnel, hormis occasionnellement "pour préparer ses vacances". Virtuelles?

[Thierry Noisette, JDNet]

Grandes entreprises / Le challenger :

Depuis plus de deux ans, François Marchal joue le rôle de superviseur du site de la SNCF et de son intranet. Cet ingénieur de formation a participé activement à ce qui devrait être rapidement le premier site marchand du Web français.


 

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