Journal du Net > Net 20 > Net 20 19999 > Pierre Alzon

Les marchands les plus dynamiques (2) / catégorie voyages
1. Pierre Alzon / Dégriftour
2. Jacques Maillot / Nouvelles Frontières (lire)

Pierre Alzon, à 35 ans, est le leader des marchands en ligne français. Grâce à un secteur porteur -le tourisme- mais surtout au cocktail efficace de l'innovation commerciale et de la bidouille technologique.

Qui l'eut cru? Le premier des marchands grand public du web français est un "barde 15ème niveau". Il a sans doute fallu un peu de l'alchimie de "Donjons & Dragons", jeu de rôle que Pierre Alzon pratiquait assidument en ligne, pour que l'aventure de Dégriftour débouche en fanfare sur le Web. La recette? Greffer un ingénieux manager féru d'informatique -Alzon lui-même, actuel directeur général du voyagiste- sur un concept commercial novateur, le bradage des invendus du voyage, mis au point par Francis Reversé, le président de la société.
Dégriftour fut d'abord, en 1984, une marque déposée par Francis Reversé. Professionnel du tourisme et spécialiste de la croisière, ce défricheur s'est intéressé dès 1988 au potentiel du commerce électronique. La guerre du Golfe l'y a précipité. En janvier 1991, lorsque le conflit éclate, et avec lui la psychose des attentats, le chiffre d'affaires est brutalement divisé par 10. Les "invendus" se multiplient. "L'outil minitel était le seul qui permette une distribution réactive, là où un réseau de boutiques et des catalogues et brochures papier auraient été à la fois trop chers et trop lents", se souvient Pierre Alzon, 27 ans à l'époque. Ce dernier, que Francis Reversé connaissait enfant, a d'abord été un professionnel de l'audit et du conseil, notamment chez Constantin, où il a été dans l'équipe des commissaires aux comptes d'Air France et d'Amadeus (le système de réservation électronique dont Air France est coactionnaire). Passionné d'informatique - "ça fait 18 ans que je bricole sur des ordinateurs" -, Pierre Alzon qui a développé lui-même le logiciel de réservation de croisières de l'entreprise en 1989.

1996, l'arrivée sur le Net
VSM (Voyages sur mesure, la raison sociale de l'entreprise qui se baptise elle-même groupe Dégriftour) ouvre son service minitel de vols et forfaits dégriffés en 1991. L'entreprise est alors vilipendée dans la presse professionnelle par des agents de voyages et des tour-opérateurs: selon eux, ce développement des ventes de dernière minute va habituer les consommateurs à des prix irréalistes. En ce temps-là, les compagnies aériennes et les hôteliers qui travaillent avec le soldeur le font souvent en demandant la plus grande discrétion. Ce modèle va pourtant faire école: en quelques années, les professionnels prennent l'habitude de liquider leurs invendus et d'en faire des prix d'appel pour présenter aussi leurs autres offres. En 1996, les 3615 du groupe sont complétés par un site Dégriftour puis en 1997 Réductour, la marque voyagiste "classique" de VSM. "Nous aurions pu ouvrir dès le début 1995 quelques pages, mais nous préférions attendre pour pouvoir ouvrir un site immédiatement marchand, raconte Pierre Alzon. Dégriftour était en 1996 le premier site commercial français avec une base de données".

Trois ans pour dépasser le minitel
La montée en puissance des sites va faire de Dégriftour, en 1998 et à nouveau cette année, le premier vendeur grand public sur Internet en France: 72 millions de francs de volume d'affaires l'an dernier et autour de 250 millions en 1999. En juillet -traditionnellement le mois le plus actif de l'année-, les deux principaux sites enregistrent 20 millions de pages vues, une aubaine pour sa régie publicitaire IP Interactive qui commercialise leur espace publicitaire depuis le printemps. Surtout, juillet 1999 a été le premier mois où les ventes sur Internet ont dépassé le minitel. Elles représentaient 18% des 432 millions de francs de volume d'affaires 1998-99 (avril à mars) et sont prévues à 48% pour l'ensemble de 1999. Pour l'exercice 1999-2000, la prévision est de 280 millions de francs de volume d'affaires pour le Net et autant pour le minitel. Le résultat net, 4,7 millions de francs en 1998-99, est estimé à 5 millions pour l'exercice en cours.

Partenariats et visibilité
Dégriftour mène une politique active de partenariats (une expérience déjà ancienne sur minitel où, dès 1993, VSM était agent de voyages pour Le Point, puis a vendu également par l'intermédiaire des 3 Suisses). L'entreprise est présente sur le site BtoB Business Village, puis s'allie avec l'Américain -à capitaux sud-africains- Leisure Planet dont Réductour devient le "fulfiller" (en jargon professionnel: prestataire technique et émetteur des billets): d'abord sur Lycos France, puis sur Yahoo. "Internet est un jeu d'alliances et de partenariats, comme l'économie en général. Ce contrat n'est pas dangereux compte tenu de notre notoriété existante. Il doit permettre des effets de levier importants sur le Net, où les questions de volume sont importantes". Le groupe soigne sa visibilité par des campagnes en ligne et offline importantes: l'hiver dernier, de spectaculaires "www.wap-doo.wap.fr", "www.yeeeeeah.fr", "www.waouh!!!.fr" et "www.plouf.fr" (respectivement pour les offres Réductour vers Londres, la Suisse, le Québec et la Martinique) propulsaient le métro et le RER franciliens à l'heure de l'Internet.

Montée en Europe
En septembre 99, le groupe a commencé son internationalisation, en proposant ses services aux internautes belges et suisses. En octobre, doit venir l'Espagne, en novembre l'Italie et en 2000 l'Allemagne et l'Angleterre. Au toal, Dégriftour va investir 18 millions de francs sur son développement international. Les sites Dégriftour et Vols à tous prix seront traduits dans les différentes langues. Des call centers et des "structures marketing et communication" seront mises en place dans les différents pays visés. Le groupe s'est allié à 9Telecom, filiale de Telecom Italia, pour proposer de l'accès Internet gratuit dans l'ensemble des pays européens. Cette internationalisation de l'entreprise a lieu alors que son nouveau concurrent, Travelprice, annonce une politique similaire et que le Britannique ebookers.com s'apprête également à débarquer en France et en Allemagne. De nouveaux défis que Pierre Alzon aborde sereinement: "En 1995, quand Air France a lancé ses Coups de cœur, ensuite appelés Tempo, tout le monde nous a enterrés. Or cette année-là, notre activité a triplé. C'est la même chose aujourd'hui sur Internet: plus il y a de monde sur un marché en pleine explosion, plus ça entérine la crédibilité de l'offre."

Vols, tables étoilées, sorties…
A côté de ses deux marques phares, VSM a décliné plusieurs services: une offre générale sur la France, des gîtes aux hôtels de luxe en passant par des forfaits, un "moteur de réservation" de billets d'avion, Vols à tous prix, les Grandes Tables, des chefs sélectionnés par GaultMillau. Un autre service, Sortez, actuellement sur minitel seulement, propose des spectacles à Paris et dans plusieurs grandes villes de J-2 au jour même, à 40% de réduction. Il doit prochainement venir sur le Net. A travers ces services et son internationalisation, Dégriftour a pour objectif de passer à un milliard de francs de volume d'affaires dans trois ans. Le groupe emploie actuellement environ 200 personnes.

"Pas une logique de valorisation financière"
"Nous avons eu beaucoup de demandes d'investisseurs", indique Pierre Alzon qui étudie sa possible introduction en Bourse depuis plus d'un an, mais y voit autant un instrument de notoriété supplémentaire qu'un moyen de lever des fonds. "Nous ne sommes pas dans une logique de valorisation financière. Notre activité a toujours été bénéficiaire depuis le début. Si nous ne faisons pas d'appel public à l'épargne, il faut qu'il y ait une logique industrielle à l'entrée d'un partenaire". VSM a créé Activnet, son prestataire de services, qui travaille aussi pour d'autres. Pour limiter ses coûts, le groupe pratique "une forte internalisation des développements: Vols à tous prix nous a coûté 2 millions de francs et quatre ans de travail. Chez d'autres les services similaires ont coûté beaucoup plus".

"Il ne faut pas être soumis devant l'outil"
Pierre Alzon a d'abord été un internaute de la première heure: "J'étais à l'Atelier à l'époque du BBS en 1994; chez FranceNet en 1995, j'ai été le trentième abonné Internet". Il a alors passé "des nuits et des nuits" en ligne, dont de longs surfs sur des sites de bandes dessinées et de jeux de rôles. Aujourd'hui, le DG de Dégriftour pioche ses programmes télévisés sur Le Nouvel Observateur, achète des disques aux Etats-Unis, "s'amuse beaucoup avec les outils de personnalisation" des sites américains, consulte les résultats du rugby en ligne… Pierre Alzon garde cependant un œil sélectif sur l'usage du Net, auquel il ne veut pas que ses cinq enfants deviennent accros. Il aide les aînés à préparer des travaux scolaires en utilisant les outils de recherche et souligne l'importance de leur montrer qu'il y a plusieurs langages informatiques, plusieurs façons possibles de faire -"il faut se poser des questions, pas être soumis devant un outil packagé". Resté un amateur de bidouille, il avoue cependant que si un des deux micros familiaux est sous Linux, ce n'est pas seulement parce qu'il voulait y monter son propre serveur, mais aussi pour être sûr d'en garder un pour son usage propre…

[Thierry Noisette, JDNet]

Marchands/Le challenger:

Jacques Maillot ne s'est pas laissé prendre de court -ou si peu- par le Web. Le patron du numéro un du tourisme en France a aujourd'hui mis résolument le cap sur l'Internet marchand. En la matière, son intuition proverbiale et son sens du calcul ont fait bon ménage.


 
Au sommaire de l'actualité
Accueil |Haut de page