Franck Gervais "Pourquoi Voyages-Sncf.com s'allie avec Airbnb, Ouicar et KidyGo"

Le DG du voyagiste explique ce qu'il espère gagner en encourageant ses clients à mettre leur appartement ou leur voiture en location en leur absence, si possible sans se mettre à dos les hôtels et les loueurs.

JDN. En quoi consistent les partenariats que vous annoncez avec Airbnb, Ouicar et KidyGo ?

Franck Gervais, DG de Voyages-Sncf.com © Alexandre Nestora 

Franck Gervais. Nous nous sommes demandé comment rendre le voyage moins cher, plus facile et plus fréquent. Aujourd'hui nous inventons le voyage qui rapporte de l'argent. Quand quelqu'un prend le train et laisse derrière lui sa voiture ou son appartement, nous lui proposons de mettre ces biens inactifs en location auprès de nos partenaires afin qu'ils lui rapportent de l'argent. Pour cela, nous avons choisi des acteurs qui ont pignon sur rue : Airbnb et Ouicar.

L'idée est un peu différente pour KidyGo. La SNCF propose déjà le service "Junior & Cie", qui permet de réserver un encadrant pour les trajets de ses enfants pendant les vacances scolaires ou le weekend. Nos clients nous disent qu'il est très bien – nous en vendons d'ailleurs 20 000 par mois – mais qu'il faut réserver très en avance et que tous les trajets ne sont pas couverts. Nous avons pensé que le peer-to-peer avait toute sa place pour compléter ce service et décidé de lancer un test avec KidyGo. Cette start-up lyonnaise sélectionne des jeunes auxquels les familles paient leur billet de train en échange du babysitting qu'ils assurent pendant le trajet.

Cela ne risque-t-il pas, à terme, de phagocyter Junior & Cie ?

D'abord, c'est une couche de service que nous ajoutons en complément de Junior & Cie lorsque celui-ci n'est pas disponible et qui va nous permettre de tester l'appétence des gens. Mais surtout, ce n'est pas la commission que nous prendrions sur Junior & Cie qui est intéressante pour nous. C'est de faire voyager les gens ! Le principe est d'ailleurs le même pour Airbnb, qui ne nous reverse pas de commission.

Pourtant, c'est Airbnb qui peine à recruter de nouveaux propriétaires pour étoffer ses listings. Ce partenariat est donc extrêmement intéressant pour eux !

C'est vrai, mais il l'est pour nous aussi car nous faisons le calcul que si nos clients mettent leur bien en location sur la plateforme, ils utiliseront l'argent qu'ils gagneront pour voyager davantage. Et pour lancer la machine, ils reçoivent un bon d'achat de 125 euros financé par Airbnb à valoir sur un billet de train, qui retombe donc chez nous.

"Nous continuons d'encourager nos clients à réserver à hôtel"

Comment promouvez-vous ces partenariats ?

Pour l'instant, nous nous adressons uniquement aux gens qui ont déjà réservé. Mais nous réfléchissons à nous positionner juste avant l'achat car, par exemple, donner l'idée de mettre sa voiture en location peut lever une hésitation sur le prix du billet. Ainsi, le voyage d'un couple marseillais qui se rend à Paris pour le weekend et loue son appartement dans l'intervalle ne lui coûtera rien. Et cela l'encouragera à réserver un autre voyage. Pourquoi aussi ne pas relancer les abandonnistes en leur soumettant cette possibilité ?

Enfin, à l'issue des six mois de test que nous débutons aujourd'hui, nous nous attacherons à intégrer ces partenariats à l'expérience client de la façon la plus fluide possible. De la même façon qu'il y a trois mois, nous avons intégré la solution de LePotCommun à nos voyages de groupe afin que chacun puisse payer sa part le plus naturellement possible.

Que faites-vous d'autre pour lever le frein à l'achat que constitue le prix des billets de train?

D'abord, lorsque vous lancez une requête, le site renvoie à la fois les TGV, les TGV low cost et les bus qui correspondent au trajet. Par ailleurs, nous avons développé plusieurs outils pour rassembler les offres à petit prix disponibles à un instant, comme le calendrier des petits prix sur Internet et l'espace petits prix sur mobile, qui géolocalise l'utilisateur et retient ses préférences. En outre, à iso-prix du transport, nous avons trouvé comment abaisser quand même le prix du voyage. Ce sont les partenariats que nous présentons aujourd'hui. Au total, nous estimons que d'ici trois ans, environ 10% de nos clients pourraient utiliser ce type d'offre collaborative, pour lesquelles les études montrent en particulier une forte appétence chez 50% des jeunes.

...Economie collaborative qui pousse de plus en plus de jeunes à délaisser le train trop onéreux pour le covoiturage. Sont-ce ces jeunes-là que vous voulez récupérer ?

Absolument. Nous les récupérons déjà avec le bus, qui est au même prix que le covoiturage et offre le même temps de parcours avec un meilleur service : wifi, possibilité de se lever… Quant au babysitting pour rembourser le billet, il est déjà très demandé par notre clientèle jeune et constitue donc une vraie opportunité sur cette cible.

En haut : mail envoyé par Voyages-Sncf
En bas : landing page sur Airbnb

Quelques-uns des premiers clients qui ont vu votre sollicitation le 11 décembre se sont offusqués d'être ainsi targetés (ici, ici, ici…). Qu'est-ce que cela vous inspire ?

Effectivement nous connaissons les noms des voyageurs et leurs dates de déplacement. Mais nous ne communiquons pas ces informations à Airbnb. Nous disons aux voyageurs "voulez-vous gagner 125 euros en louant votre appartement" de la même façon que nous leur disons déjà "voulez-vous louer un véhicule chez notre partenaire". Il n'y a pas de différence. Mais encore une fois, c'est un test. Donc nous allons voir comment réagissent les gens et nous nous adapterons.

Pour leur part, les hôtels dont vous commercialisez les chambres risquent fort de ne pas se réjouir de votre partenariat avec Airbnb. Tant pis pour eux ?

Nous assumons complètement ce partenariat. Nous vendons en effet des nuits d'hôtel et souhaitons en vendre de plus en plus. Nous ne recommandons d'ailleurs pas à nos clients d'aller réserver sur Airbnb mais d'y référencer leur appartement. Nous continuons à les encourager de réserver dans un hôtel. Mais depuis 15 ans nous sommes pionnier des nouveaux usages en matière d'achat en ligne. Pour 3DSecure par exemple, nous avons été le premier e-commerçant français à le généraliser. Nous continuons donc de tenter des choses.

Un monopole n'a pas beaucoup de mérite à déployer 3DSecure lorsqu'il sait que l'acheteur ne pourra pas se tourner vers un concurrent pour acheter son billet si le système est défaillant…

Oui, mais nous donnons tout de même le la. Lorsque Voyages-Sncf adopte un nouveau service, c'est un signe pour tout le secteur. Parce que nous y croyons, nous le faisons. Aujourd'hui, c'est la même chose. Nous allons vérifier que ce partenariat ne pénalise pas la consommation d'hôtels des voyageurs et qu'il ne s'agit que d'un effet de bord. Mais je pense que sur la totalité des voyages supplémentaires apportés par ces partenariats, les hôtels y gagneront aussi.

Peut-on vraiment ne s'attendre qu'à un effet de bord? Quelqu'un qui vient d'indexer son appartement sur Airbnb a toutes les chances d'y songer aussi pour se loger lui-même. Plus largement, la caution qu'apporte la SNCF à Airbnb va lui permettre de beaucoup gagner en légitimité. Sans compter que ces maisons et appartements placés sur la plateforme par vos voyageurs constituent eux très directement une concurrence supplémentaire pour les hôtels…

Notre objectif est d'abord de faire en sorte que les gens voyagent plus. Pour ce qui concerne l'hébergement, je suis convaincu que ces partenariats vont générer plus de consommation. Nous allons mesurer laquelle, notamment via des enquêtes, pour quantifier son augmentation et savoir pour quels types d'hébergement elle opte.

"Les hôtels y gagneront aussi"

Par ailleurs, j'espère que les gens qui veulent faire d'Airbnb un complément de revenu n'ont pas attendu notre offre pour y lister leur bien. Par exemple, je ne suis pas sur Airbnb et ce n'est pas avec l'offre de Voyages-Sncf que je vais y aller !

A contrario, Airbnb n'a pas signé ce partenariat pour n'obtenir que des offres "one-shot" et l'on ne fait pas les démarches d'inscription sur la plateforme pour ne louer son domicile qu'une seule fois…

Encore une fois, je pense que les gens vont avant tout se dire qu'ils peuvent profiter de cette opportunité pour voyager davantage. Pour le reste, il ne s'agit encore que d'un test et nous allons mesurer tout cela.

Quels autres nouveaux services de ce genre aimeriez-vous pouvoir apporter dans le futur?

Pour le premier semestre 2016, nous allons nous en tenir à ces trois partenariats-là. C'est déjà beaucoup ! Prenez Ouicar, nous allons travailler l'expérience client pour qu'elle soit la plus fluide possible. En particulier, il va falloir faciliter voire supprimer le point de rencontre du loueur qui laisse ses clés de voiture à quelqu'un ou quelque part en gare.

Mais en voyant plus loin, on pourrait aussi imaginer qu'au moment du paiement, une simulation dise à l'acheteur que louer sa voiture lui rapporterait 80 euros – en plus de ne pas payer 30 ou 40 euros par jour de stationnement et de retrouver tout propre son véhicule, par ailleurs couvert par l'assurance. Ces 80 euros seraient directement retranchés du prix du billet, charge à nous de parvenir à louer sa voiture.

Franck Gervais est le directeur général de Voyages-Sncf.com. Diplômé en 1998 de l'Ecole polytechnique, il a réalisé presque toute sa carrière dans les transports. Conseiller technique en charge des transports et de la recherche au ministère de l'Equipement et des Transports de 2004 à 2006, directeur du cabinet du président et de la direction générale de la SNCF en 2006, directeur du réseau ferroviaire des secteurs Nord et Ouest de l'Ile de France du Transilien de 2007 à 2009, il quitte le groupe SNCF en 2010 pour rejoindre Eiffage en tant que directeur des travaux maritimes et fluviaux. En 2011 il est nommé directeur général de Thalys international puis, en décembre 2014,  directeur des ventes internationales de Rail Europe et directeur général de Voyages-Sncf.com.