Antoine Jouteau (Leboncoin) "Leboncoin lance un concurrent à Adwords"

Le leader français des petites annonces se dote d'une nouvelle source de revenus et acte par son nouveau site responsive que le mobile a pris le pas sur le fixe dans son activité.

JDN. Vous dévoilez ce matin le nouveau site de Leboncoin. Quel est son objectif ?

Antoine Jouteau, DG de Leboncoin © Franck Beloncle / Leboncoin

Antoine Jouteau. Leboncoin s'offre un relooking complet pour acter le fait que nous sommes devenus plus mobiles que Web. Nous passons en responsive et nous touchons au sacro-saint design du site pour qu'il soit plus adapté aux petits écrans. Nous changeons aussi de logo, éliminons le cube et le .fr. Dorénavant, Leboncoin ne sera plus le site le plus moche de France !

Nous allons aussi accélérer sur plusieurs dimensions. Leboncoin va devenir plus social en lançant au deuxième trimestre un service de messagerie. Plus personnalisé aussi, en proposant à ses utilisateurs d'ouvrir un compte où ils retrouveront leurs statistiques et les annonces qu'ils ont sauvegardées. Et enfin plus mobile, puisqu'outre l'adoption du responsive, nous venons d'intégrer à nos applications une fonction de géolocalisation permettant de rechercher une offre autour de soi en choisissant un rayon kilométrique.

 

Que représente le mobile dans votre trafic ?

Actuellement 55% et un point de plus chaque mois, donc nous devrions atteindre 65% à la fin de l'année. Sachant que notre audience a crû de 10% l'an dernier et atteint aujourd'hui 23 millions de visiteurs uniques par mois, répartis sur nos quatre grands univers : les biens de consommation durables, l'immobilier et l'auto, sur lesquels nous sommes leaders, ainsi que l'emploi, où nous sommes seconds.

 

Votre audience sur le Web fixe stagne depuis 2012. Le mobile, qui assure la totalité de la croissance de votre trafic, est-il aussi rentable ?

Tout à fait. Les deux indicateurs qui comptent pour nous sont le nombre de pages vues consultées et le taux de dépôt d'annonce. Or ils sont identiques sur mobile et sur le site. Le scroll infini rajouté sur mobile a beaucoup aidé à booster les pages vues. Et le dépôt d'annonce est souvent plus rapide encore sur mobile : vous êtes déjà logués sur l'app, vous prenez une photo et l'uploadez, c'est terminé.

"L'Atelier Business est notre alternative à Google, Facebook et Solocal"

Quant au Web, nous avons effectivement gelé les développements depuis quelques mois pour nous concentrer sur les app et le site responsive. Maintenant que nous l'avons, une seule plateforme couvre tous les formats et tout est pensé en s'affranchissant de la contrainte des écrans. Nous ne nous soucions plus du Web fixe en tant que tel. Il bénéficie a fortiori des nouvelles fonctionnalités comme la géolocalisation et le scroll infini.

 

Mobile mis à part, quel est votre grand projet du moment ?

Nous lançons un concurrent de Google Adwords : l'Atelier Business. C'est un service de vente de publicité à destination des PME, qui tire profit de notre large inventaire de 9 milliards de pages vues par mois pour leur permettre d'acheter des clics géolocalisés. Ils seront vendus au forfait, non aux enchères. Et pour 10, 20, 30, 40 centimes d'euros le clic, les clients choisiront en self-service l'une des 60 catégories du site, la zone de chalandise qui les intéresse – de quelques kilomètres jusqu'à la France entière – et définiront leur budget. L'Atelier Business constituera donc pour les PME une véritable alternative à Google, Facebook et Solocal.

Pour réussir, nous avons la puissance nécessaire, l'affinité, puisque nos visiteurs sont dans une démarche d'achat, et nous sommes un service géolocalisé basé sur une offre locale. Grâce à ces atouts, nous voulons conquérir une part du marché de la publicité locale. En France, il pesait 9,5 milliards d'euros en 2014, selon Xerfi. Nous pouvons prétendre aller en chercher un bout. Le premier test a d'ailleurs été très prometteur : les 1000 entreprises auxquelles nous avons présenté l'offre se sont lancées. Le programme sera mis en production d'ici trois semaines, promu par des campagnes BtoB et soutenu par le centre d'appel de 50 personnes que nous avons monté en octobre à Reims précisément pour attaquer le marché de la publicité locale.

 

En 2014, vous tiriez vos 151 millions de chiffre d'affaires de la publicité et des options de visibilité pour les particuliers de votre modèle freemium. Mais fin 2014 vous avez ajouté une nouvelle source de revenus : les frais d'insertion pour les annonces pro, dont vous avez vite réajusté les tarifs à la baisse. Quel bilan en tirez-vous aujourd'hui ?

Un bilan très positif. Les professionnels ont compris qu'ils avaient été écoutés et que nous avions adapté l'offre en conséquence. Et nous revenons peu à peu à notre volume d'annonce de 2014.

"Leboncoin n'est pas concerné par les propositions fiscales du rapport Terrasse"

Ces frais d'insertion alimentent le cercle vertueux de notre modèle. Nous enregistrons une audience massive sur plusieurs univers. Les pros paient pour être présents sur ces univers. Mais nous voulons que les annonces des particuliers, uniques, les plus pertinentes, restent largement majoritaires. Nous comptons maintenant 500 000 entreprises qui utilisent Leboncoin en tant que vendeur ou annonceur, mais nous parvenons à maintenir à 10% la part des offres déposées par des pros. A part bien sûr dans l'immobilier où, comme pour la moyenne des transactions immobilières en France, 75% des annonces émanent de professionnels. Cette répartition moyenne de 90/10 nous semble garantir un bon équilibre.

 

Le député socialiste Pascal Terrasse a remis hier à Manuel Valls son rapport visant à encadrer l'économie collaborative, qui prévoit notamment que les plateformes transmettent au fisc les revenus générés par les utilisateurs qui en tirent leur revenu principal. Qu'est-ce que cela vous inspire ?

Nous avons été consultés pour ce rapport et nous réjouissons de sa publication, comme de toute initiative s'attachant à créer un cadre équitable et juste à ces nouvelles formes d'activité économique. Concrètement, l'enjeu consiste en effet à distinguer le particulier, qui ne retire qu'un complément de revenu des plateformes collaboratives, du professionnel, qui doit être taxé sur son activité. Ce principe, faire payer le professionnel, est aussi le fondement de notre business model. Seulement, Leboncoin est bien une plateforme de mise en relation mais elle n'a pas connaissance des transactions ni de leurs montants. Il faut donc absolument distinguer les plateformes qui enregistrent les transactions des autres, qui ne doivent pas être concernées.

 

Qu'en est-il des plateformes qui enregistrent des transactions entre particuliers ?

Pour ces transactions, il existe déjà un cadre légal et fiscal. Elles sont régies par le code du commerce, qui s'accompagne de tout un arsenal juridique. Appliquons-le. Notez par ailleurs que sur Leboncoin, la transaction moyenne est de 13 euros, auto et immobilier mis à part. Il serait donc vraiment injuste de descendre jusque-là. Sur l'immobilier, pas moyen de tricher : tout passe par un notaire. Quant à l'auto, notre business model nous incite justement à déclarer les très gros vendeurs comme pros, donc nous les "chassons" ! Bref, un cadre légal sera bon pour tout le monde, mais il ne faut pas non plus être paranoïaque.

 

Les propositions du rapport Terrasse visent aussi à protéger les acteurs traditionnels d'une concurrence déloyale des nouveaux entrants…

L'argument de la concurrence loyale est parfaitement légitime, à condition qu'on sache appliquer ce cadre à tous les acteurs, y compris aux entreprises basées hors de France ou d'Europe. Sinon, nous, acteurs français, allons subir la concurrence déloyale des acteurs américains.

Leboncoin est une entreprise citoyenne et vertueuse. Nous avons payé 30 millions d'euros d'impôts sur les sociétés l'an dernier. Nous voulons donc que les nouvelles règles ne s'appliquent pas qu'aux acteurs Français. Mais ce rapport n'est pas encore une loi. Attendons de voir ce qui en découlera.

 

Antoine Jouteau est le directeur général de Leboncoin. Diplômé d'un DESS marketing de l'université Paris-Dauphine, il débute sa carrière en 1999 chez TDF puis rejoint PagesJaunes en 2001 pour piloter le service marketing de la régie. Il rejoint Leboncoin en 2009 pour prendre en charge le marketing et le business development. En 2013 il est nommé DG adjoint en charge du marketing et des ventes. Puis, en 2015, directeur général.