La mauvaise spirale de Rocket Internet n'en finit plus

La mauvaise spirale de Rocket Internet n'en finit plus La capitalisation de l'incubateur de start-up berlinois n'en finit plus de plonger, pénalisée par les pertes colossales de ses jeunes pousses.

En un an, la capitalisation boursière de Rocket Internet a perdu la moitié de sa valeur. Introduite à 42,50 euros le 2 octobre 2014, son action avait progressé jusqu'à 56,46 euros le 28 novembre 2014. Depuis, hormis quelques petits rebonds, elle chute inexorablement. Le titre de l'incubateur des frères Samwer est repassé par son cours d'introduction il y a exactement un an et ne vaut plus aujourd'hui que moitié moins : 20,15 euros.

Des dégringolades successives qui reflètent les avis négatifs émis périodiquement par les analystes autant que les mauvaises nouvelles émanant directement de Rocket Internet. Pourquoi ces camouflets ? Parce que le marché s'inquiète de plus en plus de la valeur réelle de son portefeuille de sociétés. Sans doute à juste titre, puisque sa division d'e-commerce de mode, Global Fashion Group, a annoncé fin avril une levée la valorisant 1 milliard d'euros seulement, au lieu des 3 milliards atteints lors de son dernier tour de table en août 2015.

Evolution du cours de bourse de Rocket Internet depuis son introduction à la bourse de Francfort le 2 octobre 2014 © Google Finance

De quoi relancer plus que jamais les spéculations sur la valorisation des autres sociétés dont Rocket possède des parts. Qui certes voient s'accroître leur chiffre d'affaires mais ne sont souvent pas profitables : ses neuf plus grosses sociétés ont totalisé 1 milliard d'euros de pertes l'an dernier.

Coté sur un segment de marché qui impose des obligations de reporting financier peu contraignantes pour aider les petites sociétés à lever du capital, le Dax Entry Standard, Rocket Internet a toujours profité à fond de ces possibilités. Libéré des exigences des normes internationales IFRS, il n'est par exemple pas obligé de consolider les pertes des sociétés dont il détient moins de 50%. Difficile donc pour les analystes de les évaluer correctement.

Par ailleurs, Rocket base le calcul de la valorisation de ses sociétés sur les derniers tours de table auxquels participaient des investisseurs tiers, tandis que beaucoup de fonds préfèrent considérer la valeur nette des actifs. Or les frères Samwer sont les champions des levées à répétition qui dopent la valorisation des sociétés de leur portefeuille.

Gonfler la valo d'une start-up, mode d'emploi

Un exemple typique est celui de sa start-up de livraison de kits de repas HelloFresh. Une levée de 50 millions d'euros en juin 2014 la valorisait 130 millions. En janvier 2015, Rocket infusait 100 des 110 millions d'un autre tour de table qui projetait la valorisation d'HelloFresh à 600 millions, lui permettant d'augmenter de 270 millions la valeur de sa part du capital. En septembre 2015, Ballie Gifford injectait 75 millions de plus pour prendre 3% de la start-up, valorisée 2,6 milliards. A chaque fois, les investisseurs espèrent que la société – qui a tout de même enregistré un cash-flow négatif de 60 millions de dollars en 2015 – finira par dégager de gros bénéfices dans un futur plus ou moins proche.

De gauche à droite : Alexander Kudlich (COO), Oliver Samwer (CEO) et Peter Kimpel (CFO) lors de l'IPO de Rocket Internet © Rocket Interrnet

Sauf que cette gratification sans cesse reportée fait de plus en plus d'impatients, qui commencent à douter que ce nouveau secteur soit tout bonnement capable de générer des profits. Résultat : les analystes tendent à considérer qu'HelloFresh, comme DeliveryHero et quelques autres "champions" du portefeuille Rocket, sont survalorisés. La dévalorisation de Global Fashion Group consentie par l'incubateur renforce leur sentiment.

Des concessions et des promesses

Les frères Samwer en sont conscients. Après avoir longtemps argué que les analystes ne comprenaient rien à leur business (sans pour autant rendre leurs comptes plus transparents), ils ont promis en septembre 2015 que les pertes de leurs champions diminueraient à partir de 2016, que trois d'entre eux atteindraient l'équilibre sous deux ans et qu'un quatrième serait introduit en bourse d'ici le printemps 2017. L'annonce a d'ailleurs offert un peu de répit au cours de bourse de Rocket. Avant qu'il ne replonge le mois suivant.

C'est que les numéros de claquettes des frères Samwer se font de moins en moins convaincants. Mi-avril 2016, pour faire passer la pilule de pertes 2015 s'élevant à 198 millions d'euros, le CEO Oliver Samwer s'est engagé sur "une amélioration significative de la rentabilité" de ses start-up en 2016 et 2017. Selon lui, FoodPanda est déjà à l'équilibre dans plusieurs pays et Westwing et Lamoda s'en rapprochent. L'entrepreneur a également réitéré son intention d'introduire plusieurs de ses sociétés en bourse si les conditions de marché s'y prêtent. Et insisté sur les risques limités que garantit son pilotage : si Rocket doute qu'une start-up puisse réussir, il envisagera très vite de sortir de son capital.

D'autres nuages à l'horizon

Des assurances louables, qui n'ont pas empêché l'action de l'incubateur de perdre 9% en une journée et de reprendre son déclin interrompu en mars. Car le marché n'oublie pas non plus que Rocket l'a déjà sollicité plusieurs fois depuis son introduction pour lever près d'1,5 milliard d'euros (au lieu des 2 milliards convoités !) et apporter à ses champions le capital nécessaire pour "scaler" leur modèle. HelloFresh n'est par exemple pas resté les bras croisés, multipliant les centres de distribution et quadruplant ses ventes en un an. Mais plus cette fuite en avant se poursuit, plus les investisseurs renâclent à soutenir le cours de bourse.

Evidemment, Rocket Internet n'ayant ouvert que 17% de son capital, la portée de l'effondrement de son cours de bourse peut sembler limitée. Pourtant, cette débandade persistante ne sera pas sans conséquence. En témoigne un gros nuage apparu à l'horizon avec la dégradation de sa relation avec Kinnevik. Le fonds suédois, qui possède 13% de Rocket et investit souvent dans les start-up de l'incubateur, valorise déjà bien moins plusieurs d'entre elles, telles que Home24, Westwing et Linio. La valorisation d'HelloFresh a en outre fait l'objet d'une dispute entre les deux acteurs, qui a obligé Rocket à annuler son IPO. Et l'analyste Elias Porse, chez Nordea, s'attend à ce que Kinnevik, qui réoriente actuellement ses investissements vers l'éducation, les fintech et l'e-santé, décide finalement de couper les ponts avec Rocket. Il vient en tous cas de retirer ses deux représentants du conseil de surveillance de l'incubateur, entraînant une nouvelle chute de 4,5% de son titre.

Le couteau sous la gorge se rapproche de la carotide.