Robin Chan (Operator) "Le messaging va renverser les sites et les apps d’e-commerce"

Pour le fondateur du champion US du commerce conversationnel, rencontré sur Leade.rs Paris, ce nouveau canal de vente va tout emporter sur son passage.

JDN. D'où vient votre intérêt pour le commerce conversationnel ?

Robin Chan, fondateur d'Operator © S. de P. Operator

Robin Chan. Depuis le début de la civilisation, le commerce est un échange entre humains. C'est resté le cas lorsqu'il s'est organisé en magasins puis déporté sur Internet et sur mobile. Aujourd'hui il arrive sur les messageries instantanées, qui deviendront bientôt les nouveaux navigateurs mobiles. Facebook, par exemple, le sait très bien. C'est pour cela qu'il a séparé du réseau social son Messenger, qui revendiquait 900 millions d'utilisateurs en avril et a sans doute dépassé le milliard depuis. C'est pour cela qu'il a racheté Whatsapp. Et c'est aussi pour cela qu'il emploie plus de 10 000 développeurs à fabriquer des bots !

Il y a quelques années, avec mon associé Garrett Camp (cofondateur d'Uber, ndlr), nous avons regardé WeChat de près. A l'époque, c'était un projet de Tencent de taille modeste mais riche de nombreuses pistes de développement. C'est le moment où nous avons commencé à travailler sur du messaging dans le commerce. Nous avons lancé notre app de commerce conversationnel Operator l'année dernière.

En quoi consiste ce service ?

Operator vous permet de chercher et d'acheter un produit simplement, en échangeant avec nous par une messagerie instantanée accessible dans notre app comme sur Messenger. En pratique, le service combine un bot et des humains. Le bot est chargé de la collecte d'informations pour qualifier votre demande, qu'il renvoie ensuite vers un opérateur humain. Ce dernier, avec l'aide du bot, transmet votre demande à un expert de la catégorie de produits concernée. Toujours au sein de la même conversation, l'expert vous suggère des produits. Lorsque vous décidez d'acheter, le bot reprend la main, passe la commande auprès du marchand et gère le SAV. Nous indiquons toujours très clairement si c'est un bot ou un humain qui s'adresse à vous.

Un parcours d'achat sur Operator © S. de P. Operator

La recherche et l'achat d'un produit prend donc plus de temps que sur un site e-commerce…

En effet, l'expérience n'est pas toujours plus rapide mais elle est meilleure. Prenez les cosmétiques. Un humain peut bien mieux qu'un site marchand prendre en compte votre type de peau ou votre ethnicité. La conversion est meilleure parce que le service est mieux adapté aux acheteurs.

Cette répartition des rôles entre votre bot et vos opérateurs va-t-elle évoluer ?

Aujourd'hui, les bots ne peuvent faire que des choses simples. Mais nous poursuivons nos développements en analyse de données, en machine learning… pour automatiser davantage l'expérience. A chaque fois, nous nous demandons quelle est la meilleure expérience client possible et qui, du bot ou de l'humain, est le mieux placé pour la délivrer.

Comment monétisez-vous Operator ?

Nous recherchons des gros volumes et prenons une commission sur les ventes. Mais d'autres modèles économiques sont possibles, comme la publicité. Nous envisageons donc de faire évoluer notre modèle.

"Nous pouvons très bien devenir aussi gros que Google ou qu'Alibaba" 

Qui sont vos opérateurs ?

Nous en avons peu en interne, la plupart sont des indépendants, experts dans leur domaine. Ils sont rémunérés par une partie de la commission et peuvent faire du cross-sell ou de l'up-sell. Nous en comptons plusieurs centaines aux Etats-Unis et cette communauté grossit rapidement. Un tiers des mails que nous recevons proviennent de gens qui veulent devenir opérateurs pour nous ! Vous pouvez scaler une activité basée sur des humains, à condition qu'ils ne soient pas vos salariés...

Comment s'assurer qu'ils ne favorisent pas certains marchands ?

Pour garantir leur bonne réputation, ils doivent fournir un bon service. Il n'est donc pas dans leur intérêt de ne pas recommander les offres les plus adaptées.

Comment estimez-vous le potentiel d'Operator ?

Si l'on considère que l'e-commerce représente 10% du retail, nous pouvons toucher ces 90% des ventes qui ne sont pas automatisées. Nous pouvons donc très bien devenir aussi gros que Google ou qu'Alibaba. D'autant que le niveau de connaissances techniques requis chez les utilisateurs est nul, c'est notre ingénierie qui s'occupe de tout.

Ne craignez-vous pas la concurrence d'Amazon, dont l'assistant personnel Alexa se positionne sur un créneau proche du vôtre ?

Amazon dispose de ressources infinies et attaque de nouvelles activités de façon quasi militaire. Nous surveillons donc Alexa dans sa version pour smartphone et embarquée dans le device pour la maison Echo. Mais pour l'instant, l'échelle reste modeste. Et je ne suis pas sûr qu'Amazon juge prioritaire de développer ce type de compétences. Nous verrons.

"Nous allons frapper et frapper encore, jusqu'à ce que les browsers tombent"

Pourquoi le succès de WeChat dans le commerce conversationnel préfigure-t-il nécessairement un phénomène comparable en Occident ? L'engouement des Chinois pour le messaging provient notamment du fait que les emojis permettent de contourner les milliers de caractères de la langue chinoise…

En Chine, la technologie a sauté une génération et les consommateurs sont arrivés directement sur le mobile, avec une approche très nouvelle du mobile comme de l'e-commerce. Par exemple, on ne trouve pas beaucoup de gros sites marchands comme en Occident mais de grandes marketplaces et une multitude de fournisseurs.

Reste que pour tous les géants du Web occidental, il existe un équivalent chinois. Pour un Google, il y a un Baidu. Pour un Amazon, il y a un Alibaba. Il en sera de même pour le commerce conversationnel, car il va devenir un canal de vente majeur.

A quand l'international ?

Je ne peux pas encore vous dire où ni quand, mais vu l'ampleur que va prendre cet usage, c'est évidemment prévu. Je suis absolument convaincu que le messaging va renverser les navigateurs. Malgré tout l'argent investi, les apps et les sites vont devenir inutiles. Ce sera la troisième vague du commerce.

En quoi consistera-t-elle ?

La première a été celle des magasins traditionnels, tenus par des humains mais dotés de stocks limités. La deuxième a été celle de l'e-commerce, avec les caractéristiques inverses : des catalogues infinis mais pas d'interaction humaine. La troisième vague rapprochera les catalogues infinis et le conseil humain au sein du meilleur terminal possible pour toucher des clients, le mobile. Les marchands et les marques vont devoir y aller, ils n'auront pas le choix. C'est sans doute déjà plus important que leur stratégie sur les réseaux sociaux.

Or les implications sont nombreuses. Il va leur falloir définir le ton avec lequel leurs salariés s'adressent à leurs clients. On est loin d'un community manager qui représente une marque à lui tout seul sur Facebook et Twitter ! Tous les collaborateurs seront susceptibles de se transformer en force de vente et devront pouvoir prendre la parole au nom de la marque, à commencer par les vendeurs en magasin pendant leurs temps morts.

Le messaging va fortifier les magasins en donnant aux consommateurs accès à plus de stocks. Mais la vente par téléphone va mourir car le messaging peut le remplacer en mieux, en gérant par exemple les photos. Et les sites vont mourir car le messaging va remplacer la navigation sur les browsers.

C'est une sacrée théorie…

Ce ne serait qu'une théorie si des milliards de consommateurs ne pratiquaient pas déjà le commerce conversationnel ! Et cela se produira aussi en Occident. Nous allons frapper et frapper encore, jusqu'à ce que les browsers tombent.

Robin Chan est le cofondateur et CEO d'Operator. Diplômé en économie de l'Université de Columbia à New York, en 1999, il débute sa carrière en développant le mobile chez Zagat. En 2005 il devient directeur social media de Verizon Wireless et en 2008 il fonde l'éditeur de jeux sociaux XPD Media à Pékin. En 2010, il vend la société à Zynga dont il devient le directeur exécutif pour l'Asie. En 2014 il cofonde Operator avec Garrett Camp (lui-même cofondateur d'Uber) et lance le service en 2015. En tant qu'investisseur, Robin Chan est également présent au capital de Twitter, Square, Foursquare, Hyperloop Tech et Xiaomi. Il détient enfin un rôle de conseiller chez Flipboard.