Le livre numérique a un prix !

30 ans après la loi "Lang" sur le prix du livre, la loi sur le prix du livre numérique a été définitivement adoptée mardi 17 mai 2011. Elle s'impose à tous les distributeurs, qu'ils soient établis en France ou à l'étranger.

La loi sur le prix du livre numérique a été définitivement adoptée mardi soir 17 mai 2011 par l'Assemblée nationale, lors d'un vote rassemblant toutes les formations politiques. Durant huit mois de débats parlementaires, deux conceptions du rôle de l'Etat en matière de diversité culturelle s'étaient nettement opposées. Un large consensus s'est finalement dégagé autour de la conviction constante du Sénat : la création et la diversité éditoriale françaises ne seront pas durables si les distributeurs de livres numériques se font concurrence sur le prix de vente auprès des lecteurs français.

 

Ce faisant, le Parlement a prolongé pour le livre numérique une politique culturelle initiée il y a trente ans avec l'adoption de la loi Lang de 1981 sur le prix unique du livre. Sur un marché émergeant et mondialisé, il s'agit -aujourd'hui comme hier- d'éviter que les distributeurs ne concentrent leurs efforts de commercialisation qu'autour de best sellers, au détriment de la diversité culturelle française.

 

Trois questions complexes ont concentré l'essentiel du débat parlementaire.

 

1. Fallait-il que le prix de vente fixé par l'éditeur ne s'impose qu'aux seuls distributeurs français et non à leurs concurrents mondiaux ? Le Parlement français a choisi de ne pas légiférer au détriment de ses seuls ressortissants. C'est heureux. Ainsi, l'éditeur français d'un livre numérique devra en fixer le prix de vente à un acheteur situé en France (article 2), prix qui devra être respecté par tout distributeur, quel que soit son pays d'établissement (article 3).

 

2. L'objectif de diversité culturelle justifie-t-il de déroger à la libre concurrence garantie par les traités européens ? Sur ce point, la France devra désormais convaincre la Commission européenne et, en cas de contestation du texte français, la Cour de Justice de l'Union européenne, de la nécessité et de la proportionnalité de cette loi au regard de son objectif. La tâche sera rude. Elle relève de ces combats qui ne sont perdus d'avance que si on ne les mène pas.

 

3. L'exploitation des livres numériques garantit-elle une juste rémunération des auteurs ? A cet égard, la loi (article 5bis) complète le Code de la propriété intellectuelle (article L. 132-5) en retenant que "Le contrat d'édition garantit aux auteurs, [...] que la rémunération résultant de l'exploitation [d'un livre numérique] est juste et équitable. L'éditeur rend compte à l'auteur du calcul de cette rémunération de façon explicite et transparente."

 

Qu'est-ce qu'un livre numérique au sens de cette loi ?

La loi ne régit pas toute édition numérique comportant des textes. Elle concerne (article 1), d'une part, l'édition numérique d'un livre initialement imprimé, d'autre part, l'édition numérique d'une oeuvre qui, si elle était imprimée, n'en serait en rien modifiée, ce que d'aucuns appellent le "livre homothétique". A cet égard, il s'agit bien de préserver une même oeuvre d'une concurrence sur son prix final de vente, même si son prix pourra différer selon qu'elle est imprimée (loi "Lang" de 1981) ou sur support numérique (loi adoptée le 17 mai 2011).

 

Un livre numérique aura-t-il un seul prix ?


Non. L'éditeur pourra fixer un prix différent "selon le contenu de l'offre, ses modalités d'accès ou d'usage" (article 2, alinéa 2) : à l'unité, groupée, en téléchargement, accessible en ligne, etc. Il n'y aura donc pas un prix par livre, mais un prix par offre de livres numériques. En outre, ne seront pas soumises à un prix fixé par l'éditeur (article 2, alinéa 3) les offres associant des livres numériques à d'autres contenus, à des fonctionnalités distinctes d'un livre et destinées à une collectivité d'utilisateurs professionnels, de chercheurs ou d'universitaires.

 

Quelle concurrence entre les distributeurs ?

La concurrence entre distributeurs ne reposera donc ni sur leur nationalité, ni sur le prix de vente d'un livre numérique à un acheteur situé en France. Elle résultera des négociations de licences que chacun mènera avec chaque éditeur français, selon le volume de vente espéré, ses engagements promotionnels, etc.

 

La politique culturelle française a-t-il un avenir ?

La loi qui vient d'être adoptée devra faire l'objet de décrets d'application et sera évaluée chaque année (article 7). Dès jeudi 19 mai 2011, Frédéric Mitterrand aura l'occasion de défendre la diversité culturelle française lors du Conseil européen des ministres de la Culture qui se tiendra à Bruxelles. Un compte à rebours vient donc de débuter. Il rejoint celui de la validation européenne, avant le 31 décembre 2011, du taux réduit de TVA à 5,5% que le législateur français, unanime, a adopté pour le livre numérique dans le cadre de la loi de finances pour 2011. L'avenir du marché français du livre numérique est en jeu.