Le sexting entre adolescents : un jeu aux frontières de la loi

Au départ, une volonté de plaire : l’envoi d’une photo intime comme « cadeau » d’un adolescent à son (sa) petit(e) ami(e). Le « sexting » commence souvent ainsi.

C’est le cas de Manon, jeune héroïne de la seconde bande dessinée de sensibilisation de l’AFA. Elle ne pense pas un instant que sa photo, envoyée en toute confiance, puisse faire l’objet d’un chantage, être diffusée, dupliquée, détournée…

Qu’est-ce que le « sexting » ?

En France, en 2013, 90 % des 12-17 ans possèdent un téléphone mobile et parmi eux,  55 % disposent d’un smartphone. En outre, 76 % des adolescents sont membres d’un réseau social [1]. Les jeunes ont ainsi tous les outils à disposition pour se livrer au « sexting ». Mais comment décrire cette tendance ?
Si sa définition évolue au fil des nouveaux usages numériques, elle englobe à l’origine « l’envoi de messages et d’images sexuellement explicites au moyen d’un téléphone portable » [2]. Cependant,  la diffusion de photos s’est vite étendue aux réseaux sociaux, blogs, messageries instantanées et applications mobiles dédiées.

Un phénomène difficile à évaluer en France

Apparu il y a quelques années avec l’arrivée des premiers téléphones portables équipés d’appareils photo, le sexting concerne environ 20 % des adolescents américains en 2012, selon une enquête menée par des chercheurs du département de psychologie de l'université de l'Utah auprès de lycéens âgés de 15 à 17 ans, et 40 % des adolescents anglais [3]. Dans les pays limitrophes de la France, la « hotline » luxembourgeoise Bee Secure Stopline, membre du réseau international INHOPE luttant contre la pédopornographie et homologue du service de signalement Point de Contact de l’AFA, a relevé en mai 2014 que sur 246 signalements reçus par la plate-forme, 126 étaient illégaux, dont 83 liés au sexting. En France, peu de chiffres peuvent encore donner une idée de l’ampleur du phénomène chez les plus jeunes. Selon une étude Opinion Way de juillet 2014 [4], 31 % des 18-35 ans ont déjà échangé par Internet (ordinateur ou smartphone) des photos d’eux dénudés. Enfin, selon une étude de 2009 [5], 14 % des adolescents français entre 12 et 17 ans auraient déjà reçu des messages à caractère sexuel de la part de leurs camarades, mais la tendance semble plutôt à la baisse, puisque pour cette catégorie la moyenne de plusieurs pays d’Europe est passée de 14 % en 2010 à 11 % en 2014 pour les 11-16 ans[6].

Des adolescents victimes ou auteurs ? Que dit la loi ?

Le sexting en général et plus particulièrement entre adolescents est complexe à appréhender juridiquement.
D’abord parce que certains actes peuvent avoir été effectués avec le consentement de la ou des personnes représentées, alors que d’autres non. Ainsi, l’article 226-1 du code pénal réprime les atteintes volontaires à l’intimité de la vie privée, notamment par la fixation, l’enregistrement mais aussi la transmission de l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé, sans le consentement de celle-ci.
Et également parce que les personnes représentées sont mineures et que l’on peut alors tomber dans la pornographie enfantine. Si les pouvoirs publics et les parlementaires ont longtemps hésité à assimiler le « sexting » à de la pornographie, qualifiant plus volontiers les images concernées de photos intimes, dénudées ou érotiques [7], la Commission générale de terminologie et de néologie semble avoir tranché le débat en décembre 2013 en traduisant le terme anglo-saxon par « textopornographie ». L’article 227-23 du code pénal vient ainsi sanctionner la fixation, l’enregistrement ou la transmission d’une image, lorsque celle-ci représente un mineur et revêt un caractère pornographique ; un objectif de diffusion de l’image sera cependant nécessaire lorsque celle-ci représente un mineur de plus de quinze ans, pour que ces actes soient condamnables. Mais l’article 227-23 vient surtout réprimer l’acquisition, la détention et la diffusion d’images ou représentations pédopornographiques. Enfin, le fait de diffuser un message à caractère pornographique susceptible d’être vu ou perçu par un mineur est également puni (article 227-24 du code pénal).
Si en théorie des adolescents prenant des photos ou des vidéos d’eux dénudés, puis les utilisant, pourraient ainsi être sanctionnés, en pratique cependant, peu de risques qu’un procureur décide de l’opportunité des poursuites pour des actes auxquels ils ont pleinement consenti. Le cas est différent lorsque la transmission ou la diffusion est effectuée par un tiers, même mineur, sans autorisation de la personne représentée. Car si l’âge de la majorité pénale est fixé à dix-huit ans, tout mineur capable de discernement peut être responsable pénalement (article 122-8 du code pénal). Les mineurs à partir de treize ans peuvent se voir prononcer des sanctions pénales comme une amende ou une peine privative de liberté, qui ne peut cependant en principe être supérieure à la moitié de la peine encourue.
En 2013, le Point de Contact de l’AFA a reçu 2 561 contenus pédopornographiques, dont 21 % ont été qualifiés d’illicites. 94 % des contenus hébergés à l’étranger et 100 % des contenus hébergés en France ont été retirés, dont 81 % en un à trois jours. Suite à la transmission de ces signalements aux autorités, 21 dossiers ont justifié une enquête en France, en majorité pour des faits de diffusion de pédopornographie. Parmi ces dossiers, aucun cas de sexting n’a cependant été identifié.

Que faire en cas de sexting ?

La prévention reste le meilleur moyen de se prémunir des dangers du sexting. Envoyer ou publier une image de soi dénudé (e) pour faire plaisir à son (sa) copain (ine) doit se faire en connaissance de cause : cet acte peut être lourd de conséquences si la photo est diffusée plus largement sur Internet. Mieux vaut toujours garder la photo pour soi.
S’il est trop tard et que la photo est maintenant hors de contrôle, il peut être utile d’avertir la personne qui menace de publier cette image qu’elle risque des sanctions pénales.
En cas de diffusion malgré cela, le mieux pour les mineurs est d’en parler rapidement à un adulte, et de porter plainte, accompagné des parents, afin que celui ou celle qui a diffusé la photo sans le consentement de l’intéressé(e) soit puni (e).
Enfin, pour éviter la duplication de la photo incriminée sur d’autres sites et son exposition aux yeux de tous, toute personne, victime mineure ou simple témoin de sexting, peut signaler anonymement l’image sur http://www.pointdecontact.net/cliquez_signalez dans la rubrique « Images ou représentations à caractère sexuel mettant en scène des mineurs » afin qu’elle soit supprimée rapidement d’Internet.

La mini-bande dessinée sur le « sexting» de l’AFA.

[1] http://www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/rapport-CREDOC_2013-dec2013.pdf
[2] Dictionnaire Merriam-Webster’s Collegiate
[3] http://revdh.revues.org/786
[4] http://www.opinion-way.com/pdf/sondage_opinionway_pour_kaspersky_-_les_idees_recues_sur_la_securite_informatique_-_juillet_2014.pdf
[5] http://www.tns-sofres.com/sites/default/files/2009.10.06-ados-mobiles.pdf
[6] http://www.lse.ac.uk/media@lse/research/EUKidsOnline/EU%20Kids%20III/Reports/EUKidsOnline-NetChildrenGoMobile.pdf
[7] http://revdh.revues.org/786