Médias et publicité digitale : réinventer l’expérience lecteur pour en finir avec les adblockers

La nouvelle génération, avide de contenus gratuits, a de plus en plus recours aux adblockers. Ces derniers impactent aujourd’hui entre 15 et 20% du chiffre d’affaires des éditeurs français en ligne. Il est donc urgent d’inventer une publicité digitale respectueuse du parcours internaute afin que la presse ne se coupe pas définitivement de ce type de lecteurs… qui sont aussi des clients potentiels.

Acheter son journal. Quelle expérience magique. Tout commençait par le bureau de tabac, passage obligé. Dès l’entrée, des senteurs vous saisissaient : les mêmes que celles que nous connaissions enfant, en allant acheter nos nounours en chocolat et autres roudoudous gélatineux. Le mélange de vanille, de réglisse et de fragrances de cigare, que l’on humait tout en se dirigeant vers le présentoir. Tout cela semblait faire partie de l’expérience. Une sorte de rituel hors du temps qui donnait accès au précieux cadeau : le journal du jour, tout frais imprimé. Rien qu’en le saisissant, avant même de l’ouvrir, la délectation était là. Nous anticipions le plaisir que nous allions prendre à le parcourir, au rythme des pages, sans même nous soucier de l’encre qui tâchait déjà nos doigts.

La presse du 21ème siècle : entre lecteurs et glaneurs

Les parfums, les odeurs, les sensations et les lieux nous attachent à des objets, beaucoup plus que nous pourrions le penser. Un journal est bien plus qu’un journal. C’est un moment, un voyage multi-sensoriel. Qu’en est-il de cette expérience lecteur à l’heure d’internet ? Privé des sensations olfactives et de la quête quotidienne, quelle relation attache aujourd’hui le lecteur à son journal, qu’il s’agisse d’un quotidien reçu par abonnement et lu sur une tablette, dans le métro, ou d’un article glané gratuitement lors d’un parcours sur les réseaux sociaux ? Et d’ailleurs qui sont les lecteurs ? Ceux qui paient ou ceux qui glanent ? Les uns vivent l’expérience lecteur à l’heure du 21ème siècle, haute définition, navigation optimale, alors que les autres, pourtant intéressés et susceptibles d’être des abonnés voient leur parcours entaché de publicités intempestives qui s’accrochent parfois à l’écran tels des parasites et leur gâchent un moment de lecture précieux, arraché au stress quotidien.

Une génération connectée et biberonnée au gratuit

En une génération, tout semble avoir changé entre la presse et ses lecteurs. A l’heure de l’immédiateté et du gratuit sur Internet, où est le désir ? où est l’attente ? Quel est le prix à payer ? En un mot quelle est la valeur du journal aux yeux des lecteurs ? Même gratuit, l’article en ligne criblé de publicité les lasse et les exaspère. Ils veulent tout et utilisent les adblockers pour arriver à leurs fins : le tout gratuit, sans la gêne publicitaire. Le résultat est sans appel : aujourd’hui, le phénomène des adblockers en France impacte entre 15 à 20% du chiffre d’affaires des éditeurs français en ligne (étude Geste 2016). Même sensibilisés à la nécessité pour la presse d’être financée par la publicité pour survivre, les internautes persistent et signent comme l’a montrée la dernière campagne orchestrée par les membres du Geste (association des éditeurs de contenus et services en ligne) où 69% des lecteurs finissaient par réactiver leur adblocker au bout d’une semaine. Au final, la survie de la presse leur importe-t-elle vraiment quand les blogs, les chaînes d’informations et les vidéos Youtube les renseignent sur tout ce qui les intéresse ? Dès lors, n’appartient-il pas à la presse de prendre en main son destin et de réinventer une expérience lecteur positive, adaptée à cette nouvelle génération ?

L’attention consentie ou quand la publicité choisie fait partie de l’expérience lecteur

Dès lors, comment les médias s’y prennent-ils pour se rendre désirables sur chacun des points de contacts (portail en propre, réseaux sociaux, navigateurs internet…) et offrir aux lecteurs, clients potentiels, un parcours optimal destiné à les fidéliser puis à concrétiser l’abonnement ? Offrir un temps de découverte et de lecture, tout en obtenant un temps d’attention consentie pour un message publicitaire, choisi selon les goûts de l’internaute, voilà une piste. Ce serait une manière parmi d’autres de réinventer une expérience lecteur positive, tout en ralliant, peu à peu, une nouvelle génération de lecteurs, à la recherche de contenus fiables et de qualité, dans la jungle Internet.

Dans le cas contraire, confier les clés aux annonceurs en faisant de chaque page un espace vendu au millimètre carré pixel, sans se soucier du lecteur, pourrait bien annoncer la disparition définitive de ce dernier. La nouvelle génération connectée constitue l’avenir de la presse. Réinventer l’expérience client en faisant avec les préférences de ces lecteurs est indispensable. Les changer est illusoire. Il y aura toujours des annonceurs pour financer les médias, mais sans lecteurs, il n’y aura bientôt plus personne. L’émergence des adblockers pourrait bien couper définitivement le lien entre médias, annonceurs et internautes. L’urgence est à notre porte.