Comment les opérateurs de télécommunications peuvent-ils défier Google et Facebook en matière de publicité ciblée ?

À l'horizon 2020, chaque individu possèdera en moyenne 4,3 appareils mobiles. Pour s’y préparer, les méthodes de marketing et de publicité traditionnelles ont dû évoluer pour intégrer un meilleur ciblage des clients dotés de plusieurs appareils.

Au cœur de cette révolution numérique, les données constituent le poumon du marketing et de la publicité. Google, Facebook et Amazon ont indubitablement été les tout premiers gagnants de cette nouvelle ère, et génèrent davantage de recettes à partir de chaque utilisateur que n'importe quelle autre agence de publicité traditionnelle avant elles. Facebook et Google contrôlent, à elles seules, près des trois-quarts du marché publicitaire mobile au niveau mondial. 

Leur réussite est due à deux facteurs principaux : leurs masses de données et leur dimension internationale. Les seules autres sociétés qui disposent de volumes aussi importants en matière de données spécifiques aux particuliers, et plus précisément sur les appareils mobiles, sont les opérateurs de télécommunications. Ces derniers sont en effet assis sur une mine d'or de données utilisateurs, qui pourraient être exploitées à des fins publicitaires. 

Les opérateurs de télécommunications ont la possibilité de monétiser leurs flux de données, contribuant à bouleverser l'industrie publicitaire et à concurrencer de manière viable les Facebook et Google de ce monde. Mais comment gagner la bataille contre les géants de la Silicon Valley ? Et finalement, doivent-ils vraiment essayer de la gagner ?

   

Pourquoi les opérateurs de télécommunications ont-ils besoin de changer ?

Depuis quelques années déjà, les opérateurs de télécommunications ont atteint un plafond des recettes générées par leur activité principale, en raison d'une concurrence féroce et de la saturation du marché. Un rapport récent du cabinet de conseil Ovum a souligné le phénomène de « triple-cord cutting », à savoir l’abandon par les consommateurs du haut débit, de la télévision et des services vocaux au profit d’un accès 100% mobile. Certains réagissent et s’adaptent, mais cela représente une menace importante pour les opérateurs et leur stratégie de diversification. À cela, s’ajoute la domination des géants de la Silicon Valley qui ont contribué à faire des opérateurs de télécommunications des victimes du scénario appelé « dumb pipe ». Cette expression décrit le fait que les opérateurs telecom sont réduits au rôle de transport de données, la valeur de ce qui est transporté leur échappant. Toute production de publicité est subventionnée par des tiers, cependant les opérateurs de télécommunications, bien qu'ils facilitent les transactions publicitaires, ne bénéficient d'aucune recette supplémentaire. Ils restent les autoroutes de l’information mais le péage est le même quel que soit ce qui y transite.

 

En réponse à l’essor du numérique et au monde du « mobile avant tout », les opérateurs diversifient leurs activités. Ils n'ont pas d'autre choix que de s’éloigner de leurs services de base pour s'orienter vers les services, la publicité numérique est bien sûr identifiée comme un moteur de croissance.


Tout sur les données

Les opérateurs de télécommunications disposent de deux avantages significatifs. Leur accès et portée, et la valeur de leurs données consommateurs. Une grande partie de la croissance des recettes de Facebook peut être attribuée à son impressionnant volume de données réelles sur chaque utilisateur. Le coup de génie était d’être le premier réseau social global qui n’ait de valeur que si on s’y montre sous sa réelle identité. Mais Facebook n'est pas propriétaire des canaux mobiles et n'a pas de relation transactionnelle directe avec ses utilisateurs. C'est là que les opérateurs de télécommunications ont leur carte à jouer. A mesure que les annonceurs cherchent à déployer leurs campagnes sur l'ensemble des écrans, les opérateurs de télécommunications, qui possèdent l'infrastructure du réseau mobile permettant la diffusion des publicités et les moyens de facturation, disposent d'un potentiel de recettes énorme. Tirer son épingle du jeu ne sera pas simple et les opérateurs sont confrontés à plusieurs choix quant à la façon de tirer au mieux parti de leurs données à des fins publicitaires.

   

Transformer les données en profits : les options des opérateurs de télécommunications

Les opérateurs disposent de données propres (« First Party ») incroyablement stratégiques concernant le comportement des clients, mais celles-ci demeurent relativement inexploitées. Si l'on considère un spectre des opportunités en fonction de leur degré de risque, l'option la plus simple, la moins risquée et la plus évidente pour les opérateurs de télécommunications est de vendre leurs données à des agences de publicité. Bien que cette option représente un apport financier rapide pour les opérateurs, ils se privent aussi de centaines de milliers, voire de millions d’euros de recettes potentielles, en cédant leurs données à une autre entreprise. À l'autre bout du spectre, on trouve une option nettement plus risquée, qui consiste à s'éloigner de l’activité principale des télécommunications pour devenir prestataire de technologies publicitaires. Cela implique pour les opérateurs de tout mettre en œuvre pour monétiser eux-mêmes leurs données, en développant, maintenant et soutenant activement le processus de ventes publicitaires. Développer un service de technologies publicitaires ex-nihilo constitue un défi de taille et le risque est nettement plus élevé car les principes fondamentaux de l'entreprise risquent d'être compromis dans le processus.

 

Alors où se trouve le juste milieu ? L'une des options est de s’associer avec d'autres opérateurs de télécommunications, de rassembler les données et de les vendre à des annonceurs, sous forme d'un ensemble de données agrégées, pour qu'ils les exploitent. Weve en est l'exemple le plus significatif : il s'agissait d'une entreprise commune de marketing mobile entre EE, Vodafone et O2, lancée en 2013 au Royaume-Uni, qui affirmait disposer d'une base combinée de données de 20 millions de clients, représentant pas moins de 80 % de part de marché totale. L'entreprise n'a toutefois pas duré longtemps, EE et Vodafone s’étant retirées du partenariat en mai 2015 et Weve continuant à exister en tant que filiale d’O2. Cette option, qui a conduit à la création d'un conglomérat d'opérateurs de télécommunications, se résume à une question d'échelle. En l'absence de réseaux multinationaux à grande échelle, les opérateurs de télécommunications qui se plongent dans les technologies publicitaires n'ont aucune chance face à un concurrent tel que Google, qui commence par ailleurs à développer ses propres outils, notamment des smartphones afin de court-circuiter l'accès de ceux qui contrôlent les infrastructures.

 

L'intérêt est tout à fait compréhensible. En mettant en place des partenariats avec d'autres opérateurs, qui leur permettront de se développer à l'international, les opérateurs de télécommunications peuvent accroître leur clientèle autant que possible. Toutefois, même s’ils atteignent l’envergure nécessaire grâce à cette expansion, cela ne signifie pas forcément que les opérateurs de télécommunications disposeront de l'expertise et de l'expérience technique requises pour réussir dans le secteur de la publicité. Et se ruer de manière certes enthousiaste mais quelque peu naïve dans une nouvelle industrie pourrait représenter un défi bien trop important, comme ce fut le cas pour Weve.

   

Trouver la meilleure façon de procéder

La mise en place de partenariats est source de défis, de risques et de dispersions. De ce fait, certains opérateurs de télécommunications préfèrent se tourner vers des acquisitions d'entreprises de technologies publicitaires pour accroître leurs capacités de monétisation des contenus. Nous avons pu constater ce phénomène avec RTL et SpotX, Comcast et StickyAds et Telstra.

 

Verizon, le géant américain des télécommunications, a fait évoluer sa principale activité mobile vers la monétisation de contenu mobile, à l'aide d'un modèle financé par la publicité et en faisant l'acquisition de l'expertise de vente publicitaire d'AOL pour la renforcer. Verizon prétend atteindre 70 % de la totalité du trafic numérique généré par les 1,5 milliards d’appareils connectés dans le monde. Grâce à la technologie et l'expertise adéquates, Verizon peut atteindre le Graal en matière de marketing numérique : diffuser la bonne publicité à la bonne personne, au bon moment. En Europe, nous avons constaté une évolution similaire avec Telenor, l'un des principaux opérateurs de télécommunications norvégiens qui, l'an dernier, a racheté Tapad, un fournisseur de technologies publicitaires, pour la somme de 360 millions de dollars.

 

D'un point de vue financier et organisationnel, les acquisitions à hauteur de plusieurs centaines de millions d’euros pour disposer de la technologie et de l'expertise adéquates ne sont pas toujours possibles, et ne représentent pas forcément la stratégie la plus rentable et la plus efficace en termes de délai de mise en oeuvre. Ainsi, les opérateurs de télécommunications peuvent envisager des partenariats avec des sociétés qui fournissent des solutions sur-mesure en matière de technologies publicitaires. Une plateforme qui a une approche globale vis-à-vis des ventes de vidéos publicitaires offre aux entreprises la possibilité de gérer et d'optimiser les campagnes via des canaux directs et programmatiques sur une seule plateforme, y compris les prises de décisions en matière publicitaire, le ciblage d'audience et la prévision en temps réel, soit tous les outils nécessaires afin de comprendre et d’améliorer les campagnes. En utilisant une plateforme ad-tech globale, les opérateurs de télécommunications peuvent profiter d'une technologie intelligente qui leur permet de tirer parti des nouvelles opportunités, tout en continuant à contrôler leurs données, et plus important encore, leur stratégie moyen-terme.

 

Pour les opérateurs de télécommunications, c’est le moment de reprendre le contrôle de leurs données. Avant de dépenser des millions pour faire l'acquisition d'une technologie ad-tech spécialisée, nous conseillons aux opérateurs de télécommunications d'évaluer soigneusement leurs options. Une chose est sûre, les opérateurs de télécommunications doivent monétiser leurs données dès maintenant, mais ils doivent le faire sans pour autant compromettre l'intégrité de leur activité principale en s’introduisant dans un marché qu'ils ne connaissent pas encore parfaitement. Les opérateurs de télécommunications n'ont que peu exploité jusque-là les technologies publicitaires et, en faisant équipe avec des sociétés susceptibles d'offrir des solutions ad-tech évolutives, ils pourront sans aucun doute réussir dans cette industrie en pleine croissance, quelle que soit leur taille.