Jeff Bezos, de zéro à héros avec Amazon

Qui se souvient des démarrages compliqués d’Amazon et de ses résultats sans cesse plus décevants ? Souplesse, intelligence et pugnacité des managers, mais aussi des investisseurs, ont permis de construire un monstre économique que rien ne semble pouvoir arrêter aujourd’hui.

Amazon est sans doute le paradoxe le plus intéressant du monde rutilant, puissant et expansionniste des GAFA. En effet, la "start-up” s’est construite comme un modèle de l’ancienne économie pour finalement s’imposer dans la nouvelle, en grignotant lentement et puissamment des parts de marché sur tous les fronts, de la distribution à la télévision payante, en passant par le Cloud et maintenant l’IA.

En 1994

Amazon ambitionnait de devenir la plus grande librairie online du monde, avant même qu’Internet ne soit mondial et grand public. Cette ambition challenge faisait déjà couler beaucoup d’encre, notamment de la part d’européens frileux - dont certains ne connaissaient que le minitel. Chaque année, Amazon grossissait et perdait de l’argent. Les analystes s’appuyaient régulièrement sur un argument psycho-culturel sans fondement pratique, et jugeaient improbable qu’un produit aussi sacralisé que le livre puisse tomber dans les fourches caudines d’un média aussi “vulgaire” qu’Internet.

En 2001

Au moment de l’explosion de la bulle internet, Amazon réalisait déjà un milliard de dollars de chiffre d’affaires, mais un résultat de 5 millions, soit seulement 1 centime par action. De quoi mécontenter les actionnaires alors que ces résultats étaient prévus dans la feuille de route de Jeff Bezos au moment de l’introduction en bourse de l’entreprise. Cette année là, Amazon venait de commencer son internationalisation et était déjà présente en Europe (en France, en Allemagne et au Royaume-Uni) ainsi qu’au Japon.

En 2006

Amazon fait son entrée dans le monde de l’hébergement avec AWS (Amazon Web Services), avant de poursuivre le processus de diversification de ses activités avec le lancement, en 2007, de son Kindle, l’une des premières liseuses numériques qui lui permet d’étendre très lourdement son offre de libraire en diffusant des livres dématérialisés.

En 2013 

Amazon franchit une nouvelle étape dans sa formidable communication en annonçant travailler à un service de livraison des colis par drone pour relever le défi du dernier kilomètre. Tous les influenceurs commentent ou relayent l’annonce alors qu’elle est techniquement presque impossible à mettre en place dans un futur à court ou moyen terme. Amazon réussit un nouveau pari : communiquer sans dépenser une fortune en communication.

Et ça continue...

Amazon poursuit sa stratégie de développement en devenant diffuseur du championnat anglais de football. Elle continue à intègre des entreprises verticales et horizontales (logistique, électronique, prêt à porter, etc.). Ainsi, l’entreprise vend en propre ou via sa marketplace des livres, des tablettes, des caméras de vidéo-surveillance, des chaussures, des aspirateurs, de la lingerie et maintenant de la nourriture (marché US à ce jour). Amazon, qui vient d’acquérir RING (spécialiste des caméras de vidéosurveillance) pour 1 milliard de dollars met un pied sur le marché prometteur du Home Monitoring et s’attaque dans le même temps à la mobilité du futur et aux voitures autonomes, en parallèle de la commercialisation d’Alexa, son assistant vocal.

Le mix parfait de l’ancienne et de la nouvelle économie

La stratégie mise en place par Jeff Bezos depuis la création d’Amazon porte ses fruits. L’entreprise est aujourd’hui un mix quasi parfait entre l’ancienne économie et la commercialisation de biens physiques, et une nouvelle économie dématérialisée dont AWS est - pour le moment - le plus bel exemple. Le géant de Seattle pèse 566 milliards de dollars de capitalisation boursière (quand celle de Total n’excède pas les 142 milliards d’euros), 178 milliards de $ de chiffre d’affaires et 3 milliards de dollars de résultat net.

Ce qui est surtout frappant chez Amazon, c’est son développement exponentiel. L’entreprise emploie aujourd’hui 541 000 personnes et ce sont plus de 110 000 qui ont été embauchées en 2017. L’an dernier, cinq milliards de produits ont été commandés sur Amazon Prime (son service de livraison premium) et il y avait 100 millions d’abonnés payants au service...

A la différence des réseaux sociaux tels que Snapchat, Twitter ou Instagram, Amazon recrute au sein de toutes les classes d’âge. Mes parents n’utilisent pas Facebook, n’ont pas d’iPhone mais commandent sur Amazon. Mes enfants, qui utilisent les réseaux sociaux et ont des smartphones dans la poche, commandent eux aussi sur Amazon.

N’en déplaise aux grincheux et aux jaloux, bravo monsieur Bezos pour avoir réussi la synthèse de l’ancienne et de la nouvelle économie, pour avoir su anticiper l’avenir et avoir pivoté aussi souvent, et surtout pour n’avoir jamais rebroussé chemin face aux auspices des plus pessimistes. Le succès d’une entreprise passe par là.