Vers la fin du commerce physique ?

Le groupe Casino a annoncé il y a quelques semaines le renforcement de son partenariat avec Amazon : depuis 1 an, son enseigne Monoprix disposait d’une boutique en son nom sur la plateforme permettant aux parisiens et aux habitants de villes proches de bénéficier d’une livraison en moins de 2 heures.

Désormais, de nouvelles grandes villes françaises devraient bénéficier de ce service tandis que le partenariat s’étend à d’autres enseignes du groupe, à savoir une grande partie des produits et marques Casino. Les synergies ne s’arrêtent pas là : vous pourrez également récupérer vos achats faits sur Amazon dans plus de 1000 magasins du groupe via des casiers prévus à cet effet. Dans ce contexte, les rumeurs vont bon train : le groupe Casino, alourdi par de nombreux magasins physiques qu’il entend céder, serait-il tenté de se faire racheter par le géant Amazon ? "L’hypermarché est un format déclinant" a même commenté le PDG de Casino, Jean-Charles Naouri. Est-ce à dire qu’il est temps de tirer un trait sur nos bonnes vieilles enseignes, au profit du "tout numérique" ?

Ce n’est pas tout à fait ce qu’a laissé entendre Jean-Charles Naouri – les gros titres sont parfois trompeurs – et cette grille de lecture, caricaturale, masque une réalité plus complexe. D’abord, ne nous laissons pas tromper par des chiffres faramineux : la part du commerce en ligne dans le commerce de détails reste marginale dans le monde. En France, elle s’établit à 9% selon la Fevad, en progression, constante mais modeste, depuis des années. On pointe souvent la Chine comme en avance sur le sujet : en 2017, le e-commerce – certes avec des progressions avoisinant les 30% ces dernières années - y représentait environ 15% des ventes de biens de consommation selon le Bureau national des statistiques chinois. La très grande majorité des ventes se feraient donc selon des mécanismes dits "traditionnels". Et c’est là que l’on pourrait aussi se leurrer.

Depuis des années, nous avons tendance à opposer on et offline, physique et digital, et par extension technologies et humains. Contestable par bien d’autres aspects, la Chine nous tend aujourd’hui un autre modèle, celui du monde physique "connecté" au digital et vice-versa. Si vous déambulez dans les rues de Xian ou Pékin, vous trouverez nombre de petites échoppes proposant une vente digitalisée grâce aux QR codes qui font partie du quotidien du consommateur. Vous souhaitez payer ? Flashez ! Vous souhaitez avoir plus d’informations sur un produit ou une promotion ? Flashez (ou scannez) ! Non, les magasins physiques n’y sont pas morts. A rebours de ce qui se passe en France, Alibaba a ainsi racheté il y a deux ans la chaîne Intime, soit 17 centres commerciaux et 29 grands magasins. Son dirigeant, Daniel Zhang, commenta ainsi la transaction : "nous ne divisons pas le monde entre économies réelle et virtuelle, mais entre l’ancien et le nouveau". Leur chaîne de supermarché Hema donne une bonne idée de ce que sera le magasin du futur. Au sein de cette enseigne spécialisée dans le frais, vous pouvez sélectionner (via votre mobile) vos produits : ce sont exactement ceux-là (et non des substituts), identifiés par des code-barres uniques, qui vous seront livrés gratuitement dans la demi-heure. Vous avez aussi la possibilité de les déguster sur place grâce à des chefs qui vous prépareront le repas que vous souhaitez, le tout avec force bornes automatisées et robotique qui rendront le processus plus efficace. Bien sûr, ces kits de repas frais sont aussi disponibles en ligne, sans avoir à se déplacer. Le concurrent d’Alibaba, JD, a depuis poussé l’expérience un peu plus loin avec sa chaîne 7Fresh, grâce notamment à des caddies automatisés qui vous suivent pour vous faciliter les courses. Si ce n’est la disparition du commerce physique, tout ceci marquerait l’ère du tout-automatisé au détriment de l’humain ? Pas forcément non plus, outre ses chefs, ses hote(sse)s d’accueil, la chaîne met à votre disposition des conseillers qui vous assisteront dans vos achats tandis que les services de préparation de livraison requièrent une armée d’hommes et de femmes, présents dans le magasin.

Pour résumer, le e-commerce ne menace pas de disparition le magasin dit "physique". En Occident comme en Asie, on assiste à un équilibrage progressif de la place du "on et offline", les grands acteurs du retail chinois, digital natives, gagnant en présences physiques et humaines, là où nos enseignes telles que le groupe Casino, Carrefour, ou Auchan, bâties sur des modèles traditionnels, sont contraintes à faire le chemin inverse, plus compliqué au plan tant économique que social. Mais, si nous devions retenir une leçon de Chine, elle serait probablement ailleurs. "Le phénomène qui dirige l’économie mondiale", pour reprendre les termes du Directeur de l’OMC, Roberto Azevedo, ce n’est pas la suprématie à venir du e-commerce et plus largement du numérique sur le "physique" et l’humain : c’est l’imbrication des deux dans un environnement qui sera profondément hybride. Cela vaut pour de nombreux sujets, y compris celui de l’intelligence artificielle dont on dit qu’elle remplacera les êtres humains ; mais ça, c’est une autre histoire...