Loi pour une économie circulaire : l'Etat au secours des entreprises

Depuis quelques semaines, un frisson parcourt l’échine des industriels. Le 9 juillet dernier, le gouvernement d’Edouard Philippe a présenté son projet de loi pour "une économie circulaire". Un modèle qui se veut en rupture avec l’existant.

Depuis la Révolution Industrielle, la production et la vente ont été l’alpha et l’omega de l’entreprise. Avec l’économie circulaire les fondamentaux changent. Production, durabilité et services deviennent les nouveaux maîtres-mots. Le modèle linéaire, prévoyant une fin de vie pour les produits, est remplacé par une approche… circulaire ; qui intègre une notion de responsabilité dans la gestion des ressources.

Témoin de son impact économique et sociétal, ce texte a fait l’objet d’une couverture médiatique à large spectre. Toutefois, la tonalité des articles reflète peu la diversité des médias ayant traité du sujet. Pour dire les choses autrement, la majorité des papiers consacrés au texte de loi ne se répartissent qu’en deux catégories : la critique du dispositif et l’analyse du coup porté aux entreprises. A titre d’exemple, l’un d’eux titrait « Le projet de loi économie circulaire durcit le ton face aux industriels ». Il est vrai que ce texte impose des contraintes inédites à nos entreprises.

Comme la mise en place du bonus-malus sur l’éco-conception. Pourtant, à bien y regarder, cette future réglementation est peut-être une chance dans la mesure où elle met les entreprises – de façon drastique – au rendez-vous de l’histoire. Une histoire qui se joue en trois actes : l’urgence écologique, l’évolution des modes de vie, la mutation des modèles économiques.
Acte 1 : l’urgence écologique et la jeunesse mettent les entreprises sous pression
Il y a quelques jours Greta Thunberg, pasionaria précoce de l’écologie, était reçue à l’Assemblée Nationale pour sensibiliser les élus au péril climatique. Si l’invitation de cette adolescente de 16 ans a fait grincer quelques dents, ce n’est pas tant pour la cause défendue que pour son âge et son immaturité supposée. Une nuance révélatrice d’une époque où la nécessité d’agir pour le climat fédère de plus en plus. D’ailleurs quelques jours avant la prise de parole de la jeune scandinave, on apprenait que la pétition en ligne « L’Affaire du siècle », qui appelait à attaquer l’Etat français pour inaction face au changement climatique avait recueilli plus de deux millions de signatures en France ! 42% des signataires ont moins de 35 ans, 23% moins de 25 ans et 20% sont lycéens ou étudiants. Dans la même idée, en octobre dernier, 13 000 étudiants de grandes écoles ont signé le Manifeste pour un réveil écologique par lequel ils s’engagent à ne jamais travailler pour une entreprise polluante. 
Acte 2 : le morcellement des modes de consommation
En 1998, B. Joseph Pine et James H. Gilmore, deux économistes américains, développaient le concept d’« économie de l’expérience ». Selon eux, la création de valeur ne repose plus sur les produits et les prix – qui se sont banalisés – mais sur la proposition de services et la création d’expériences singulières. Vingt ans plus tard, difficile de ne pas observer la réalité de cette anticipation. Aux côtés de l’achat traditionnel, de nouvelles formes de consommation dites « émergentes » se sont imposées dans la plupart des pays occidentaux. 

Portés par l’évolution des modes de vie, la modification des marqueurs de la réussite sociale ou l’inexorable montée des considérations éthiques et environnementales, l’abonnement et la location ont dépassé leurs frontières historiques pour devenir des alternatives aussi valides – voire supérieures dans certains domaines – que l’achat. A cet égard, une étude récente réalisée par l’institut OpinionWay indiquait que 66% des Français consomment des services par abonnement.

A l’évidence, répondre aux aspirations écologiques et à l’appétence pour de nouveaux modes de consommation ne relève plus du choix. D’une certaine façon, le législateur impose aux entreprises de ne plus détourner le regard des nouveaux impératifs définis par le consommateur. D’ailleurs, les leaders de l’économie l’ont bien compris et n’ont pas attendu les pouvoirs publics pour le démontrer. Par exemple, lors du dernier Sommet mondial de la mobilité durable Movin’On à Montréal, Michelin a fait sensation en présentant Uptis, son pneu « increvable » qui a pour ambition de mettre un terme à la consommation linéaire du pneu. Mettant en lumière les quelques 200 millions de pneus qui sont mis au rebut tous les ans prématurément, cette prouesse technologique s’inscrit parfaitement dans le sens de l’histoire.

Certes, toutes les entreprises n’ont pas les assises, la notoriété et les moyens de Michelin. Toutefois, une mutation du modèle économique associée au développement de technologies de pointe permettent aux organisations de fuir la dictature du prix et du court-termisme.
Acte 3 : la mutation des modèles économiques
Le philosophe Henri Bergson disait qu’il faut « penser en homme d’action et agir en homme de pensée ». Soit un appel au dépassement des frontières. Appliquée au domaine de l’entreprise cette citation pourrait être traduite ainsi : penser le produit comme un service et penser le service comme un produit. C’est-à-dire ne plus vendre un produit sur la base de son coût de revient mais de commercialiser son usage. 

C’est ce nouveau paradigme qui est au cœur du modèle économique des « barbares », comme les appelle l’écrivain Alessandro Barrico. Par exemple, Airbnb ne vend pas de logements mais un usage. Tout comme Lime ne commercialise pas de trottinettes mais leur usage. Quant à la démocratisation des dernières technologies de rupture (à commencer par l’internet des objets), elle accompagnera l’exécution de ce nouveau modèle. Une façon de ne pas être en retard au rendez-vous de l’histoire.

Ce nouveau contexte législatif constitue une opportunité sans pareil pour les entreprises. En révisant leurs fondamentaux, et en remisant l'obsolescence programmée au placard de la stratégie concurrentielle, les entrepreneurs français ont l'occasion de se mettre au diapason des nouveaux désirs du consommateur et d'écrire une nouvelle page de l'histoire du commerce.