Pourquoi Apple mise sur le marché moribond de la smartwatch

Pourquoi Apple mise sur le marché moribond de la smartwatch Les ventes de montres intelligentes de la marque à la pomme sont loin d'être considérables mais elle espère devenir le leader du marché de la santé connectée grâce à ce produit grand public.

Le 12 septembre dernier, Apple dévoilait au cours de sa keynote une nouvelle version de sa montre intelligente, l'Apple Watch Series 3. Le marché de la montre connectée, et plus largement des wearables, est pourtant en piteux état. Dernier naufrage en date, celui de TomTom, qui a fermé sa division wearables le 2 octobre dernier à cause de ses mauvais résultats commerciaux. Le chiffre d'affaires de sa branche dédiée aux produits grands publics est en baisse de 20% sur un an au deuxième trimestre. Le groupe supprime dans ce cadre 136 postes. Intel cesse lui aussi de produire des "objets connectés portables" en juillet 2017. Le même mois, Jawbone entre en liquidation judiciaire. La start-up Peeble a quant à elle été avalée par Fitbit en décembre 2016. Malgré ce rachat, Fitbit ne survit que péniblement à l'hécatombe qui emporte un à un ses concurrents. L'entreprise a licencié 6% de ses salariés en janvier, soit 110 personnes. La valeur de ses actions a chuté de 90% en deux ans. Elle stagne depuis le début de l'année autour des cinq ou six dollars…

L'Apple Watch pourrait devenir un système d'alerte pour le corps, similaire à celui qui permet au chauffeur d'une voiture d'être prévenu lorsque le niveau d'huile est trop bas

La montre d'Apple ne fait pas exception à la règle. La compagnie a bien essayé de rogner sur ses marges pour séduire des consommateurs, avec une baisse des prix de 100 dollars annoncée en mars 2016 sur ses Apple Watch, mais rien n'y fait. Cette année-là, son chiffre d'affaires dans le secteur s'effondre. Entre janvier et octobre, la firme n'aurait écoulé que 4,2 millions de montres selon IDC, soit autant que pendant les trois derniers mois de 2015. Au troisième trimestre, ses ventes (estimées à 1,1 million d'unités) ont chuté de 72% sur un an. Mais "Apple a repris du poil de la bête au quatrième trimestre et cette année. Les clients des autres entreprises de wearables qui ont fermé leurs portes se sont probablement rabattus sur l'Apple Watch", analyse Richard Phan, PDG de la société de conseil spécialisée dans l'IoT Inventhys. Au cours de sa dernière keynote, Tim Cook a affirmé que les ventes de l'Apple Watch étaient en hausse de 50% sur un an, se gardant bien de donner des chiffres plus précis. Selon l'analyste indépendant Horace Dediu, le groupe aurait écoulé sur cette période 15 millions de montres intelligentes. "Ce n'est pas négligeable, sauf bien entendu si l'on compare ces ventes avec celles de l'iPhone, dont Apple a commercialisé 212 millions d'unités en 2016", commente Richard Phan.

Avec sa Series 3 waterproof, le groupe a misé sur le côté sportif. La montre peut par exemple être utilisée par les nageurs qui veulent mesurer leurs performances. Cette frange du marché des wearables est plus dynamique que les autres, car les smartwatch ont une réelle utilité pour les cyclistes, coureurs de fonds et autres. Pour rendre sa montre indispensable à d'autres catégories de la population, Apple essaye de développer de nouveaux usages. La version vocale de l'assistant intelligent d'Apple, Siri, est disponible sur la Series 3. Il ne s'adressait aux utilisateurs des précédentes Apple Watch que par écrit (pas très commode au vu de la taille de l'écran). L'IA de la marque à la pomme pourrait permettre à cette smartwatch de devenir un nouveau moyen d'accès au net par la voix, mais également au store d'applications vocales que développe en ce moment Apple.

Une petite équipe de chercheurs travaille chez Apple dans le plus grand secret sur un appareil permettant de mesurer la glycémie

La société a également créé une version 4G de sa Series 3, qui permet de passer des coups de fil sans être à proximité de son smartphone ou d'une borne wifi. La multinationale espère faire de sa montre un nouvel iPhone, 100% autonome. "Mais attention, la fonction téléphone et l'utilisation de Siri consomment beaucoup de batterie. La pile est à plat au bout de seulement une heure d'appel. Par ailleurs, impossible de contacter ses proches lorsque l'on est à l'étranger : la smartwatch n'est capable de communiquer que sur certaines bandes de fréquences, qui changent en fonction des régions du globe. Elle ne peut pas passer d'une bande de fréquence à l'autre. Le groupe a donc sorti une version de sa montre pour l'Europe, une pour l'Amérique du Nord, une pour l'Asie…", tempère Richard Phan.

"Apple sortira très probablement une nouvelle édition de sa montre tous les deux ans, pour améliorer ces questions de batterie et de puissance", répond Marc Catchpole, analyste chez Wearable Consultants. L'entreprise espère  créer de l'impatience chez ses clients, comme elle le fait si bien avec l'iPhone dont les nouvelles versions sont attendues comme le messie et créent des files d'attente de plusieurs heures devant les Apple Store.

"Mais la stratégie d'Apple doit être lue à plus long terme : l'entreprise veut se tailler une place de choix sur le marché de la santé connectée avec sa watch. Financièrement, elle peut tout à fait se permettre de mettre en place une stratégie sur dix ans, portée par des investissements lourds", affirme l'analyste de Wearable Consultants. Plusieurs indices avalisent cette théorie. Le chiffre d'affaires du secteur du smartphone, qui pesait 429 milliards de dollars dans le monde en 2016 selon une étude de GFK, est une goutte d'eau dans l'océan comparé à celui de la santé, évalué en 2016 à 7 000 milliards de dollars par CB Insights. Pas étonnant donc qu'Apple renifle le terrain.

Le marché de la santé pèse 7 000 milliards de dollars, contre 429 pour le smartphone

"L'un des plus gros […] challenges qui se pose aujourd'hui à notre société est la santé et nous nous concentrons dessus […]. Les opportunités dans le domaine sont énormes", a déclaré le PDG du groupe Tim Cook, pendant une conférence donnée en mai 2016 au salon Startup Fest à Amsterdam. Le patron a ensuite expliqué que l'Apple Watch pourrait devenir un système d'alerte pour le corps, similaire à celui qui permet au chauffeur d'une voiture d'être prévenu lorsque le niveau d'huile est trop bas ou que le moteur surchauffe.

Ce discours n'est pas resté lettre morte : la mesure des battements cardiaques réalisée par la Series 3 est plus précise que sur la version précédente de l'appareil. Ses utilisateurs peuvent par exemple être prévenus lorsque leur rythme cardiaque dépasse un certain niveau, défini à l'avance. Apple travaille en ce moment avec Stanford et les autorités américaines de santé (la Food and drug administration) pour savoir si les captations effectuées par la smartwatch sont suffisamment précises pour être intégrées à des études cliniques.

En avril 2017, CNBC révèle qu'une petite équipe de chercheurs travaille chez Apple dans le plus grand secret sur un appareil permettant de mesurer la glycémie. Tim Cook a été surpris un mois plus tard en train de tester ce tracker, qui pourrait être connecté à l'Apple Watch ou même y être directement intégré. Le nombre de personnes souffrant du diabète dans le monde explose : de 108 millions en 1980, il est passé à 422 millions en 2014 selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS). En ajoutant cette fonction de mesure du glucose à sa montre intelligente, Apple pourrait en faire un best-seller. Sans compter que le groupe travaille probablement sur d'autres capteurs de santé.

De plus, la multinationale est bien placée pour croquer une grosse part du marché de la santé connectée, car elle ne dépend pas, pour vendre ses Apple Watch, d'un hypothétique remboursement des organismes nationaux de sécurité sociale. Acheter cette montre a du sens pour un consommateur au-delà de ces fonctions liées à la santé. Apple peut donc commencer à collecter des données et faire la preuve de l'efficacité de sa technologie. Mais Tim Cook n'est pas le seul à avoir flairé le filon. Le cofondateur de feu Jawbone, Hosain Rahman, a créé une nouvelle société baptisée Jawbone Health Hub, qui vise à développer des wearables de santé destinés aux professionnels du secteur.