Phil Libin (General Catalyst) "Les bots auront remplacé 80% des applications d’ici 5 ans"

Jusqu'ici assez décevants, les bots commencent à démontrer leur utilité et ne tarderont plus à devenir mainstream, affirme l'investisseur, rencontré le 13 mai à la conférence Leade.rs.

JDN. Ex-PDG d'Evernote, vous êtes désormais partner chez General Catalyst et investissez principalement dans la réalité virtuelle et les bots. Pourquoi les bots ?

Phil Libin, partner chez General Catalyst © S. de P. General Catalyst

Phil Libin. Pendant l'été 2007, lorsque j'ai tenu un iPhone pour la première fois, j'ai eu l'impression de savoir comment le monde allait être "réécrit" pendant les cinq années suivantes. Mon pari, pour profiter de l'essor des applications, a été le service de bloc-notes Evernote. Je n'ai jamais eu la même sensation depuis, jusqu'à il y a quelques mois.

Je faisais la vaisselle et jouais à un jeu sur les mots avec Alexa, l'assistant personnel d'Amazon. De cette interaction, fluide et élégante, j'ai tiré la conviction que les bots allaient être le moteur du changement pour les cinq prochaines années, plus rapidement encore que ne l'a été l'iPhone. Tous les sauts technologiques ont correspondu à une diminution drastique de frictions. C'est exactement ce qui se passe avec les bots. S'ils existent depuis les années 90, ce n'est que cette année qu'ils ont commencé à devenir intéressants.

Pourquoi leur heure est-elle venue ?

On a beaucoup parlé de bots ces derniers mois. Là, nous sommes dans le creux de la vague, juste après la hype. On les trouve finalement assez décevants. Mais ce n'est pas grave. Rappelez-vous des premières applications iPhone. Il s'agissait de jeux, d'iFart… Bref elles n'étaient ni géniales ni utiles. Voyez ce qu'elles sont devenues. Aujourd'hui, les bots sont plus divertissants qu'utiles, mais ils vont suivre le même chemin. Dans quelques mois on verra apparaître des bots plus utiles, qui deviendront mainstream.

Que feront ces bots utiles ?

Ils remplaceront la plupart des applications mobiles. Les outils professionnels et les jeux resteront des apps, dont les interfaces statiques sont plus adaptées à ces usages. Mais pour le commerce, le voyage, la sauvegarde de documents, les RH, la comptabilité, la médecine, etc, donc 80% de ce qu'on utilise aujourd'hui, les services deviendront conversationnels.

Quelques exemples ?

Les bots vont en particulier améliorer la collecte de données. Plusieurs start-up de notre portefeuille s'y attèlent déjà. L'une d'entre elles, Digit, gagne de l'argent automatiquement pour vous, à l'inverse des banques qui gagnent plutôt de l'argent quand vous commettez une erreur ! Le bot de Digit se connecte à votre compte bancaire et tracke votre comportement d'achat pour déplacer de l'argent sur un compte épargne au fil de l'eau, sans jamais risquer qu'une dépense ne vous mette dans le rouge. Une autre start-up, Paribus, se plugge sur votre email. Lorsque vous achetez en ligne, son bot récupère la facture. Si le prix de l'article baisse dans les 30 jours, il demande lui-même au marchand de vous rembourser la différence.

Alexa est-il un bon bot ?

Oui, et peut-être bientôt une plateforme de bots. Alexa est l'une des interfaces conversationnelles les plus abouties mais l'expérience est purement déclarative. La prochaine génération d'intelligences artificielles ne sera pas celle qui donnera les bonnes réponses tout de suite, mais celle qui posera les meilleures questions pour clarifier votre besoin. Si vous demandez "quel appareil photo dois-je acheter ?", la meilleure réponse est une question. Peut-être "allez-vous bientôt à la plage ?" si le bot a consulté votre agenda et repéré un voyage, peut-être "plus de 1 200 dollars vous convient-il ?" s'il a identifié qu'il existait un vrai saut de qualité au-delà de ce montant.

Que des bots utiles apparaissent, soit, mais pourquoi remplaceraient-ils les apps ?

La plupart des gens ne veulent plus télécharger d'application. Evernote a de la chance, elle fait partie des 100 plus téléchargées. Mais les apps qui se lancent aujourd'hui ont beaucoup de mal à monter dans le classement. Or nous fonctionnons déjà en conversationnel. En SMS, nous nous dirons "retrouvons-nous à New York" et notre travelbot interviendra pour proposer une date convenant à chacun. Pour beaucoup de choses de tous les jours, on pourra se reposer sur des bots.

L'app de messaging de Quartz © qz.com

Jusqu'à récemment, on me disait que les bots ne fonctionneraient jamais pour suivre l'actualité. Et bien il s'avère que Quartz le fait et que c'est très amusant. Leur service de messaging, pour l'instant dans une app, vous envoie une information et vous pouvez demander à en savoir plus ou passer à la suivante. Pour l'instant, pas de quoi détrôner les apps d'information, mais c'est assez drôle et l'interaction est agréable. Un très bon début, donc.

Selon vous, quelle devra être la qualité indispensable des bots ? Leur première loi d'Asimov ?

Ils devront ne jamais prétendre être humains. Le test de Turing, qui déclare une intelligence artificielle réussie lorsqu'on ne sait plus distinguer sa conversation de celle d'un humain, a entravé l'industrie pendant 70 ans. Nous retournerons parler à un bot s'il est divertissant et s'il a de la personnalité. Regardez C3PO, il sait parler, mais il est très irritant. R2D2, lui, est super sympa alors qu'il n'utilise pas de mots. Il sait répondre par une vidéo, transmettre des messages et prendre des initiatives. En réalité, il essaie dans ses interactions d'être meilleur qu'un humain.

Phil Libin est l'un des quatre associés du fonds d'investissement General Catalyst Partners. Né en 1972 à St Petersbourg, il arrive aux Etats-Unis à 8 ans. Après des études d'informatique, il démarre sa carrière comme architecte logiciel puis fonde deux sociétés, Engine 5 en 1997 et CoreStreet en 2001. En 2007 il cofonde Evernote et en devient le PDG. En 2015, il quitte ses fonctions opérationnelles et entre chez General Catalyst Partners. Il est toujours président d'Evernote.

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