Bonnes feuilles : cybercriminalité et contrefaçon Le territoire en question

"L'enjeu de territoire

Si internet est un espace à part entière avec des spécificités propres, il n'est pas non plus déconnecté du monde réel : "Les deux espaces, l'espace physique et le cyberespace sont dorénavant indissociables en tant qu'espaces juridiques. Nos outils procéduraux, arc-boutés sur l'antique notion de souveraineté territoriale commencent déjà à montrer quelques faiblesses, tant au fond qu'en procédure [...]. En droit interne cette notion de cyberespace n'est pas sans poser des difficultés de compétence territoriale : quel est le lieu de commission d'une infraction d'intrusion ? Le lieu d'implantation du système accédé ? Celui du siège de la personne morale détentrice des données ? Du sous-traitant de l'infogérance ? Le lieu de résidence de l'auteur ? Le lieu du cybercafé depuis lequel il a agi ? Celui du serveur qui a relayé les paquets d'attaque ? Nulle matière autant que la cybercriminalité ne questionne autant la frontière, simplement parce que fondamentalement les réseaux interconnectés ignorent les frontières. Cette contradiction intrinsèque doit être prise en compte ; à défaut les normes et procédures judiciaires risquent d'être inefficaces. "(284)

Les enquêteurs rencontrent donc des contraintes. "Cette facilité qu'offre le réseau permet aux auteurs d'infractions de mettre en oeuvre des stratégies classiques pour ralentir ou paralyser l'enquête. Ces stratégies se déclinent en deux techniques : celle de l'empilage, tout comme en matière financière, l'auteur se fera fort de brouiller les pistes en utilisant des intermédiaires techniques dans plusieurs États non coopératifs. Et celle du "forum shopping" empruntée au droit international privé : l'auteur localisera son méfait dans un État où il n'est pas réprimé. "(285)

(284) David Bénichou, op. cit.

(285) Ibidem. Le chercheur Peter Grabosky observe également que "le temps, l'argent et l'incertitude qu'impliquent les enquêtes internationales, et en cas de succès les procédures d'extradition, peuvent être si élevés qu'elles peuvent s'avérer dissuasives. D'autre part la coopération internationale dans un tel domaine exige un partage de valeurs communes et de priorités qui existent rarement en dépit d'une tendance à la mondialisation". Peter Grabosky, "The global dimension of cybercrime", Global Crime, vol. VI, n° 1,février 2004.