Le crowdfunding immobilier prend son envol en France Essor de l'immobilier : Au détriment des start-up ?

Mais l'essor du financement participatif immobilier pose une question : le secteur du crowdfunding ne risque-t-il pas de délaisser les start-up pour se tourner vers cet investissement moins risqué ? C'est en tout cas ce que craint Anne Saint Léger, fondatrice de la plateforme d'investissement en equity dans des entreprises FinanceUtile. "Les Français ont une aversion au risque. Ils aiment l'immobilier, investir dans le concert. Contrairement aux pays anglo-saxons, la France ne valorise pas vraiment l'entreprenariat."

Selon elle, le problème vient avant tout des plateformes elles-mêmes et de leur business model. "Elles sont constamment tiraillées entre volume de projets et sélections : elles vivent grâce aux commissions prélevées sur les fonds levés et ont donc besoin d'un volume important de projets, mais elles doivent également fidéliser les investisseurs en procédant à une sélection fine des projets pour maximiser les chances de succès." L'immobilier est donc la solution toute trouvée pour faire face à ce dilemme : les projets, moins risqués, permettent tout à la fois d'avoir du volume et de fidéliser les investisseurs...

Diversifier les risques du crowdfunding

Il est encore difficile d'évaluer le succès des start-up financées via des plateformes de crowdfunding depuis quelques années : l'activité est récente. Mais, comme le rappelle Anne Saint Léger, la plupart des plateformes ne proposent pas d'accompagnement post-opération de financement des start-up, et le risque d'échec n'est pas minime si la sélection à l'entrée n'est pas drastique. "Avec l'immobilier, il suffit de dénicher un bon promoteur et de reposer sur son expertise pour s'assurer des placements moins risqués."

Si les placements immobiliers permettent aux plateformes de diversifier les risques, "cela peut être une excellente idée", reconnaît la fondatrice de FinanceUtile. "Proposer des PME matures ou des projets immobiliers, avec des rendements de 8 à 10% et plus sûrs, peut permettre de soutenir par ailleurs des projets plus risqués de jeunes pousses. Le problème, c'est que l'on a vraiment l'impression que l'essor du crowdfunding immobilier ne repose pas que sur une volonté de diversifier les produits financiers. Demain, le nombre de start-up financées ne va pas augmenter, mais sa part risque au contraire de chuter. Le modèle économique des plateformes reposera principalement sur l'immobilier."

Sur Anaxago, 2,2 millions d'euros sur 5 levés par des projets immobiliers

Et il est vrai que l'immobilier représente déjà une part importante des revenus de plateformes qui étaient auparavant uniquement tournées vers le financement d'entreprises. 2,2 millions d'euros sur 5 millions d'euros levés au total, pour Anaxago. "Ce n'est pas un jeu à somme nulle, les investisseurs souhaitant ou pouvant prendre plus de risques seront toujours attirés par l'innovation, répond Joachim Dupont. Nous le constatons au quotidien, certains investisseurs voient ça comme une logique de diversification et d'autres souhaitent rester positionnés dans le milieu de l'innovation. Les volumes du secteur immobilier seront certainement plus importants mais cela rend le modèle plus accessible au plus grand nombre, des populations qui potentiellement n'auraient pas souhaité investir dans les PME."

Pour Wiseed, la proportion est moindre (près de 900 000 euros levés pour des projets immobilier sur près de 9 millions d'euros recueillis au total), mais la plateforme officie déjà depuis 2009 et ne s'est lancée que récemment dans l'immobilier. Les arguments du Directeur du développement rejoignent ceux d'Anaxago : "Sur 30 000 inscrits, la sensibilité au risque et le besoin de diversification sont naturellement différents, assure Souleymane Galadima. Une partie de cette communauté, tout en appréciant les startups, est en quête de projets moins risqués avec une rémunération fixe (10% par an) et une durée d'immobilisation des fonds courte (12 à 36 mois)." Il évoque même la possibilité d'une synergie : "Les start-up pourront d'ailleurs profiter du crowdfunding immobilier avec l'utilisation de leurs produits (domotique, énergie, environnement, sécurité) dans les bâtiments financés par les Wiseeders."

Le nouveau statut CIP a permis de légitimer le secteur

La loi récemment adoptée sur le financement participatif aura permis l'essor du crowdfunding immobilier, en créant des statuts l'autorisant, quand il n'existait auparavant qu'un statut "bancal" sur le secteur. Chose étonnante, l'AMF avait souhaité préciser, dans le statut de CIP, que le crowdfunding pourrait servir à financer "des projets entrepreneuriaux", excluant dès lors l'immobilier. Sous la pression de l'AFIP, l'Association française du financement participatif, présidée par Benoit Bazzocchi, de SmartAngels, et Anne Saint-Léger, seul le terme "projet" était conservé, laissant la porte ouverte à l'immobilier. "L'idée du crowdfunding, et l'esprit de la loi, c'est de soutenir l'emploi, les entreprises, l'économie locale, ainsi que de pallier l'equity gap, et c'est une très bonne chose. Mais avec l'immobilier, cet esprit est un peu détourné", regrette la vice-présidente.