Comment je suis devenue millionnaire grâce au net... sans rien y comprendre La naissance de Caramail et le brainstorming pour trouver le nom

[JDN] En concurrence avec le guide de recherche Nomade, Yahoo et Echo, Lokace décline. Orianne, Alexandre et Christophe cherchent une idée pour monétiser leur moteur. Problème : sur un moteur efficace, l'internaute quitte rapidement le site et ne prend pas le temps de cliquer sur une publicité...

"De notre côté, nous prenons des mesures drastiques : nous arrêtons notre activité de fourniture d'accès, la création de sites web, et nous nous concentrons sur Lokace. Une seule question nous obsède désormais : "Mais bon sang, qu'est-ce qu'on pourrait bien faire pour booster l'audience de notre truc ?"

La réponse, telle une révélation, nous apparaît un soir d'été. Comme tous les soirs, nous buvons un verre en bas du bureau, Chez Albert, du nom du patron du troquet, avec Alex et Christophe. Sur la table, à côté de nos demis, nos Perrier et nos paquets de Muratti, notre sujet fétiche : "Comment faire pour fidéliser les internautes ?" Bon, pensons pragmatique : que fait-on principalement sur le net, tous les jours ? Ben, on consulte ses mails ! C'est vrai que c'est notre utilisation première du réseau mondial, avant la recherche. Là-dessus, Christophe lâche : " Vous avez vu ce service de mail américain ? Hotmail ça s'appelle... "

Attends, mais oui, c'est ça ! Incroyable cette sensation de tenir l'Idée. Un mail, on n'en change pas tous les jours. Le meilleur moyen de fidéliser les internautes, c'est donc de leur offrir un mail !

Un mail gratuit, en français, consultable facilement depuis n'importe quel ordinateur connecté à Internet, n'importe où, sans manipulation compliquée, juste en entrant son pseudo et son mot de passe.

Cela n'existe pas encore en France.

Nous tenons l'idée. C'est une montée d'adrénaline énorme. On a du mal à y croire tant cela s'impose comme une évidence : comment se fait-il que personne n'y ait encore pensé ? L'année suivante, Hotmail sera racheté par Microsoft pour 400 millions de dollars. Un an et neuf millions d'abonnés après sa création...

Bon, il faut aller vite. Dès cet instant, nous avons une peur bleue qu'un concurrent lance le service avant nous. Le soir même nous nous mettons au travail. Karim, le tout premier ingénieur embauché chez Lokace, fait sa pendaison de crémaillère, il a pris un appartement dans la rue voisine, pour être près du bureau. Ça tombe bien, on va pouvoir continuer à élaborer notre plan pendant la soirée. Pour Alex, Christophe et moi, les soirées servent à cela : inventer des trucs. Notre nouvelle start-up ne naît pas dans un garage mais dans une fête.

Dans le plus grand secret, durant tout l'été, les garçons développent donc "comme des brutes" - selon leur propre expression une première version de notre messagerie. Nous vivons en vase clos, nous ne parlons plus à personne. Nos potes s'inquiètent de ne plus avoir de nos nouvelles et ne comprennent plus rien à ce que nous sommes en train de fabriquer. Chaque matin, c'est le même rituel en nous levant : avec la peur au ventre, nous nous connectons pour vérifier qu'aucun service similaire au nôtre n'a été lancé durant la nuit.

A la fin de l'été, tout est prêt, ou presque. Dans une semaine, on ouvre ! Mais nous avons deux gros problèmes.

Problème n°1 : notre messagerie révolutionnaire n'a pas de nom. On a beau se creuser la tête, aucune idée géniale. Un soir, au resto, j'exhume de mon sac à main un vieux dictionnaire des rimes. Tous les noms se terminant par "mel" pourront faire un jeu de mots avec "mail". Mais des mots se terminant par "mel", il n'y en a pas des masses... et ils sont loin d'être sexy. Jugez plutôt : béchamel, chamelle, hydromel...

– Ahhh ! En voilà un beau ! Caramel !

Mon enthousiasme est douché par la réaction des garçons :

– Alors là, franchement, personne n'osera mettre une adresse @caramail.com sur un CV, c'est ridicule.

– OK, si on va par là, Hotmail, ça veut dire "courrier chaud", c'est pas terrible, non ? Vous avez un meilleur nom ? Franchement, Caramail, c'est pas mal je trouve, moi. C'est féminin, sans aucune connotation technologique, c'est parfait !"