Comment je suis devenue millionnaire grâce au net... sans rien y comprendre L'explosion de la bulle... et de son gourou

[JDN] Le 13 mars 2000, la bulle Internet éclate aux Etats-Unis. Caramail vient tout juste d'être vendu 600 millions de francs à Spray. Quelques semaines plus tard, Orianne, Alexandre et Christophe assistent à une conférence d'Henry Blodget...

"Quelques semaines plus tard, nous participons à un séminaire. L'orateur, tout à coup, montre un graphique : la courbe monte, la hausse s'accélère, atteint un pic vertigineux. Puis elle s'effondre.

"Vous avez deviné ? nous demande le conférencier, Henry Blodget. C'est effectivement la courbe du titre Yahoo ! depuis trois ans." Le type ménage son effet, fait une pause, sourit. "Mais c'est aussi un graphe sur la pertinence des analystes internet."

Blodget, l'analyste financier star, fait son show devant les clients de la banque d'affaires Merrill Lynch, ce que nous sommes, Alex et moi, depuis la vente de Caramail. Toutes les stars du net du moment foulent les épaisses moquettes du vieillot mais très chic Hôtel Pierre de New York. Ce matin, Amazon, eBay et autres géants américains du numérique se relaient pour nous exposer leur stratégie sous les dorures. Alex et moi, nous savourons la chance que nous avons de rencontrer ces idoles qui nous épatent depuis toujours.

Mais le krach s'est installé.

Depuis le sommet d'un peu plus de 5 048 points atteint par le Nasdaq le 10 mars 2000, les investisseurs américains ont perdu l'équivalent de 30% du PIB des Etats-Unis. Amazon ou Yahoo ! ont perdu 90% de leur capitalisation boursière en un an. Il faut bien avouer qu'il y a de quoi tirer la sonnette d'alarme sur les frontières pas toujours très étanches entre les branches investissement et analyse financière des grands de Wall Street, dont Merrill Lynch fait partie. C'est d'ailleurs ce que fera la SEC (Securities and Exchange Commission) un peu plus tard cette même année, en lançant une vaste enquête dont l'objectif est de prendre la mesure de ce genre de conflits d'intérêts.

Blodget est en première ligne, lui, la star des analystes, dont le nom de famille a même donné lieu à la création d'un verbe transitif : to blodget a stock. Le 16 décembre 1998, le jeune analyste de 32 ans a fait une recommandation qui semble totalement incongrue aux yeux de ses collègues plus âgés : acheter l'action Amazon avec un objectif de cours à 400 dollars. L'effet a touché au sublime : Amazon a explosé de 289 à 480 dollars dans les semaines qui ont suivi, propulsant par là même l'audacieux au rang de dieu des analystes des valeurs technologiques.

Mais le gourou s'est gouré.

La SEC le soupçonne, non pas d'être un mauvais analyste, au contraire, mais, et c'est bien plus grave, d'avoir favorisé la hausse vertigineuse du cours des sociétés internet en publiant des analyses favorables pour que Merrill Lynch puisse profiter de commissions importantes sur des opérations de la branche investissement impliquant ces mêmes compagnies. En gros, de la main droite il recommande l'achat en publiant des analyses prometteuses, de la main gauche il empoche des commissions sur les investissements réalisés dans ces start-up sur la base de ses analyses.

En décembre 2001, Blodget et Merrill Lynch, qui n'ont intérêt ni l'un ni l'autre au scandale, trouvent un arrangement et l'analyste quitte la société en empochant 2 millions de dollars. Pas de bol, la coupe est pleine et la justice le rattrape, il est parfait pour faire un exemple. Il est inculpé en 2003 de fraudes et de violation de la réglementation fédérale sur les actions. Au final, il s'entend avec la SEC moyennant 4 millions de dollars (dont 2 millions de dollars d'amende) et les charges retenues contre lui ne sont ni confirmées ni infirmées.

Enfin, il est banni à vie de l'analyse financière.

Blodget fait montre d'une certaine lucidité teintée d'humour corrosif. Revenant sur cette période, il dira d'un ton léger : "J'aimerais vous dire que j'ai perdu cet argent parce que j'ai été escroqué, mais la réalité c'est que je l'ai perdu parce que rétrospectivement j'étais un mouton."