Comment je suis devenue millionnaire grâce au net... sans rien y comprendre L'art du funky business, ou le chaos généralisé

[JDN] En 2000, Caramail se fait racheter par Spray, un portail suédois qui amène le concept de Funky Management dans ses valises et qui en inonde l'univers des start-up françaises..

"Funky business ? Voilà une belle invention théorisée par un certain Kjell Nordström. Traduction : le talent qui fait danser le capital. Professeur d'économie à la Stockholm School of Economics, il a eu pour élèves les fondateurs de Spray et fait partie du conseil d'administration de la start-up. Evidemment, nous rencontrons ce "Doctor Spray" chauve et carrément décoiffant. En cinq minutes à peine, cet individu exubérant, vêtu de noir de la pointe des orteils à la racine des cheveux qu'il a rasés, remplit entièrement un tableau blanc de croquis ésotériques, nous expliquant qu'avec "l'internet, tout le monde est libre. Il n'y a pas d'utilisateur, ni d'employé captif, d'argent, de partenaire captifs. Tout est en mouvement. C'est un jeu de séduction permanent".

L'entreprise doit donc devenir "une machine d'attraction", aussi bien pour ses clients, qui sont rois et se lassent vite, que pour ses employés, dont les cerveaux constituent les principaux actifs de la société de l'an 2000. Ce qui nous amène rapidement au concept de "management spaghetti". "Comme dans une casserole de spaghettis, il y a un désordre apparent, mais on peut facilement tirer une pâte et la suivre du début à la fin", nous explique le gourou. Chaque spaghetti (employé) choisit ses projets et les mène à bien comme il l'entend. Il faut donc être entrepreneur pour appartenir au groupe, être capable de gérer le chaos, sans recevoir d'ordres. L'entreprise fonctionne comme un réseau structuré, un espace avec une marque dans lequel les individus peuvent monter leur projet. "Quand il y a un marché à prendre, on demande à la ronde si quelqu'un a envie de gérer le projet, de s'impliquer à fond pendant deux ou trois ans. S'il n'y a aucun volontaire, on s'abstient de lancer le projet. On considère que cela ne peut être rentable qu'à partir du moment où les gens aiment ce qu'ils font, et ne risquent pas de péter les plombs en route."

On comprend alors combien le management spaghetti s'oppose à la hiérarchie traditionnelle décrite en termes délicats par Jack Welch, qui fut longtemps le tout-puissant patron de General Electric : "La hiérarchie est une organisation dont le visage est tourné vers le P-DG et le cul vers le consommateur."

Voilà donc le chaos organisé érigé comme nouveau modèle d'organisation ! Nous, on n'est pas contre, même si on pense qu'ils en font quand même un peu trop.

Chez Spray, à Stockholm, c'est un autre univers : il n'y a aucun contrôle des horaires et un chef cuistot est disponible en permanence. Les logos sont des girafes et des dromadaires, des rollers traînent sur les fauteuils design de chez Vitra, des individus superlookés aux cheveux improbables, tous représentatifs de la diversité de la société suédoise, se retrouvent au sauna ou à la salle de sport pour faire des "réunions d'avancement de projet" de trois minutes. Ils sont tous détendus, incarnant admirablement l'ADN de Spray : Spray est votre copain. En suédois, c'est le "kompis", l'ami à qui l'on fait confiance.

Mais la Suède est un pays de culture musicale et les dirigeants de Spray excellent dans l'art du pipeau."