Delphine Grison (Lagardère Active) "Nos revenus issus du Newsstand d'Apple augmentent de 50% tous les mois"

Acquisition de LeGuide.com, lancement d'une plateforme e-commerce et d'un AdExchange... La directrice générale du pôle numérique de Lagardère Active dévoile les ambitions d'un groupe média en pleine mutation.

Pouvez-vous définir la stratégie numérique de Lagardère Active ?

L'activité du groupe Lagardère Active le positionne au cœur de la révolution numérique avec pas moins de 25 sites Internet. Parmi eux, les déclinaisons online d'acteurs historiques tels que Elle.fr ou Europe1.fr et des pure-players tels que Doctissimo.com ou Boursier.com.

Produire du contenu ne suffit plus, il faut construire et animer des communautés

Avec le numérique, l'activité d'un groupe média tel que le nôtre, qui était historiquement de produire du contenu et de le monétiser, a évolué vers une approche plus communautaire avec la nécessité de construire une audience, de la qualifier et de l'animer. Pour entamer cette mue, notre stratégie s'articule autour de trois axes de développement qui sont l'accroissement de la performance de nos sites médias, la création de nouveaux revenus en diversifiant notre business model et l'élargissement de notre portefeuille par le biais d'acquisitions.

Pour rebondir avec notre actualité récente, le rachat du comparateur de prix LeGuide.com relève de ces deux dernières volontés avec l'acquisition d'un acteur spécialisé dans l'agrégation d'audience. Un service qui se monétise au coût par clic (CPC), ce qui est complémentaire de nos médias que nous monétisons selon le modèle plus traditionnel du coût pour mille (CPM).

N'est-ce pas risqué d'accorder une prime de 40% aux actionnaires pour racheter un service qui opère dans un secteur où Google Shopping prend de plus en plus de place ?

Je ne crois pas. Les performances de LeGuide.com sont très bonnes, et ce malgré les changements d'algorithmes opérés par Google qui ont fortement pénalisé les comparateurs de prix. Au premier trimestre 2012, son chiffre d'affaires a connu une hausse de 15,8%. Bien sûr, nous suivons attentivement les réponses que Google va apporter aux requêtes formulées par le commissaire européen à la concurrence, Joaquin Almunia, sur la question d'abus de position dominante. Mais sa position de leader européen et ses 30 millions de visiteurs uniques devraient permettre à LeGuide.com de surmonter cette épreuve.

Ce prix de rachat valorise LeGuide.com autour de 6 fois son Ebit 2013

C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas hésité à verser une prime de 40% dans le cadre du rachat. Le cours de Bourse a en effet fortement été affecté par l'arrivée de Panda qui l'a fait chuter de 32 euros il y a un an jusqu'à 11 euros. De fait, selon les prévisions établies par le LeGuide.com pour 2013, ce prix de rachat valorise l'entreprise autour de six fois son Ebit 2013. Un ratio qui me semble dans les lignes du marché.

Vous évoquiez la volonté de créer de nouveaux revenus, le lancement d'une plateforme e-commerce sur le site féminin Be semble s'inscrire dans une telle logique...

Tout à fait et Be nous semble être la plateforme idéale pour nous lancer sur ce créneau. C'est une marque féminine très prescriptrice qui a dès ses débuts adopté un positionnement très communautaire avec ce concept de "Ruche" et des lectrices qui participent à la vie du magazine. Nous voulons donc dans un premier temps structurer notre offre e-commerce autour de cette dimension communautaire. Les marques seront invitées à y commercialiser leurs produits et les lectrices seront encouragées à se conseiller entre elles et à suggérer des articles. Ce projet concernera ensuite d'autres titres du groupe, dont Elle.fr dès mars 2013.

Vous vous êtes également associé aux groupes Amaury, Figaro et TF1 pour lancer un AdExchange commun. Pourquoi ?

Notre AdEx va nous permettre de tirer la valeur de nos invendus vers le haut

Cette nouvelle place de marché, AdMedia Premium, qui commercialise nos espaces invendus aux enchères et en temps réel, doit nous permettre de mieux gérer la valeur en monétisant nous même les espaces. Les adnetworks et régies à la performance achèteront dorénavant à travers la plateforme. L'agrégation des inventaires de nos 4 grands groupes médias, qui cumulent une audience de 22 millions de visiteurs uniques par mois et un stock de 3 milliards d'impressions Web, va en effet nous donner la taille critique susceptible d'attirer les annonceurs, en conciliant une puissance de frappe considérable et des contenus premium.

Le tout sera structuré autour de la data, un outil qui va très rapidement contribuer à valoriser nos espaces publicitaires, en donnant aux annonceurs la possibilité de cibler des catégories très précises d'internautes.

Outre ce real-time-bidding, quels sont les autres leviers susceptibles de booster vos revenus publicitaires online ?

J'en identifie plusieurs : les opérations spéciales, la vidéo et le mobile. Les premières occupent une place très importante pour un groupe disposant de très belles marques comme le nôtre. Notre contenu premium nous permet de mettre en place des dispositifs complexes et pluri-medias qui valorisent les marques et leur permettent de toucher une cible très qualifiée.

La vidéo est, elle, un canal sur lequel notre portefeuille très varié nous oblige à avoir des approches très différentes selon les titres. Il est en effet facile de tirer parti de la vidéo sur un site comme celui d'Europe1.fr qui produit de très gros inventaires avec ses émissions filmées. C'est moins évident sur d'autres médias pour lesquels nous devons plutôt passer par des partenariats.

Et le mobile ?

Le mobile, sur lequel nous sommes aujourd'hui le premier groupe média, est aussi un réservoir de croissance très conséquent. Et pour cause, il représente tout de même 24% du temps passé par les internautes mais à peine 5% des investissements pub online. Il y a toujours un certain délai entre l'adoption d'un usage et sa traduction publicitaire, les annonceurs préférant attendre qu'un marché atteigne une masse critique avant d'y investir. Je pense que nous sommes proches d'atteindre ce point d'inflexion. Notre chiffre d'affaires y a d'ailleurs été multiplié par deux sur le premier semestre.

Notre chiffre d'affaires sur le Newsstandt croît de 50% chaque mois

Il faut dire que nous n'hésitons pas à y multiplier les initiatives à l'instar du lancement de nos 21 titres sur le kiosque numérique d'Apple, le Newsstand. Nous y connaissons une croissance de notre chiffre d'affaires de 50% par mois, avec 40% de nos revenus qui viennent de l'abonnement. Autre motif de satisfaction, notre titre Public qui figure dans notre top 3 sur le Newsstandt tout en étant la 2e application gratuite la plus téléchargée sur tablette. Preuve qu'il est possible de faire coexister du payant avec du gratuit.

Comment un groupe média tel que le vôtre appréhende-t-il les réseaux sociaux ?

Ici encore l'hétérogénéité de notre groupe nous oblige à décliner des approches différentes selon les titres. Pour un site comme Doctissimo qui aborde des sujets très intimes et qui a déjà une dimension communautaire très forte, nous essayons de ne pas être trop intrusifs et tâchons d'être plutôt sur un registre léger et ludique à l'instar de l'application "Arrêtez de fumer que nous avions lancé".

Nous allons lancer un social reader pour Elle et Europe 1

C'est tout à fait différent pour des marques affinitaires comme Be, Europe 1 et Elle. La première tire déjà près de 8% de son audience des réseaux sociaux. Les deux dernières vont pouvoir tirer profit de la viralité de leurs contenus grâce aux applications Social Reader que nous allons lancer dans les jours à venir. Quel que soit le média concerné, les réseaux sociaux sont devenus incontournables et constituent un nouvel espace de discussion que nous ne pouvons pas négliger. C'est d'autant plus vrai qu'ils s'inscrivent dans notre volonté de nous poser comme des animateurs de communauté.

Delphine Grison est directrice générale du numérique chez Lagardère Active. Elle a débuté sa carrière au Ministère de la Justice, où elle supervisait des programmes de grands travaux. Elle a rejoint la Direction Immobilière d'EDF en 1997 en tant que directrice générale de la Sofilo (Société détentrice du patrimoine de bureaux). Après un passage à l'Ina (Institut National de l'Audiovisuel), elle entre dans le groupe Lagardère en août 2002 comme directrice du contrôle de gestion de Lagardère Active Ressources. Elle est diplômée de l'Ecole Normale Supérieure, docteur en Physique Quantique et ingénieur des Ponts et Chaussées.