Comment la révolution numérique a transformé L'Oréal

Comment la révolution numérique a transformé L'Oréal En amont de La Nuit du Directeur Digital organisée le 16 juin par CCM Benchmark Institut, retrouvez tous les jours le témoignage d'un CDO, parmi les plus innovants.

lubomira rochet
Lubomira Rochet © Stéphane de Bourgies - L'Oréal

Lubomira Rochet est chief digital officer (CDO) et membre du comité exécutif de L'Oréal depuis mars 2014. Normalienne passée par Cap Gemini et Microsoft, elle était auparavant DGA de l'agence de marketing digital Valtech. Son équipe d'une quarantaine de personnes sert de catalyseur, aussi bien auprès des marques que des 65 filiales du groupe où elle intervient de manière transversale. Présent dans 130 pays, L'Oréal - troisième annonceur mondial - a consacré 15,7% de son budget publicitaire au numérique en 2014, soit 925 millions de dollars (environ 700 millions d'euros). Le groupe a recruté 700 spécialistes du numérique au cours de ces cinq dernières années.     

Sa définition de la transformation digitale

"Le rôle d'un CDO dépend beaucoup de son périmètre d'intervention. Ce qui compte pour nous, c'est de bien comprendre et anticiper l'impact du numérique sur nos business models. Pour L'Oréal, nos trois principaux enjeux concernent la distribution, l'évolution de la relation-client et l'impact de la multiplication des points de contact".

Produits et services

"Le numérique permet à L'Oréal de détecter rapidement les nouvelles tendances afin de mieux anticiper les attentes de nos clientes", résume Lubomira Rochet, la CDO du groupe. Témoin, l'écoute permanente des réseaux sociaux comme YouTube ou Instagram ou bien les liens avec des blogueuses influentes comme pour l'élaboration de Tie&Dye, un nouveau type de balayage ombré particulièrement tendance. Autre initiative, le récent rachat de l'américain Nyx, un spécialiste du rouge à lèvres uniquement distribué en ligne et dont le lancement du dernier produit a généré 52 900 like sur Facebook et 1 939 commentaires. Une manière d'illustrer la puissance du numérique dans le lancement et la distribution de nouveaux produits alors que le groupe réalise moins de 4% de ses ventes en ligne. En progression de 41,5% à 820 millions d'euros en 2014, ce canal de distribution, combiné à la puissance des réseaux sociaux ou de certains blogs, est jugé extrêmement prometteur, notamment dans les pays émergents (Chine, Brésil, Inde, Indonésie, Turquie, Russie, Dubaï). En Turquie, le groupe a récemment lancé, en partenariat avec des blogueuses et des médias locaux, un site dédié au maquillage (www.makyaj.com) permettant également d'acheter en ligne.

Clients

Au-delà de l'écoute des réseaux sociaux ou des sites dédiés à ses 32 marques internationales, le groupe s'efforce de suivre au plus près le comportement de ses clients à travers des outils lui permettant d'avoir une vision unique de leur parcours. Un sujet particulièrement complexe compte tenu du nombre de marques et des différents circuits de distribution. Certaines d'entre-elles (The Body Shop, Kiehl's) ont adopté des CRM intégrés permettant un réel suivi du parcours client. Un univers dans lequel l'Asie en général et la Chine en particulier possèdent une longueur d'avance avec des CRM partageant leurs informations avec les distributeurs locaux. Autre apport du numérique, les nombreux partenariats noués avec les plates-formes de distribution de Carrefour, Wall Mart, Sephora, Amazon, Alibaba, etc. Une stratégie que le groupe compte bien poursuivre tout en développant le "social listening", en particulier sur les segments les plus prisés des internautes. Témoin, l'univers du maquillage où les liens avec les "make-up artists", ces prescriptrices en vogue aux Etats-Unis, sont souvent déterminants. Conçue dans cet esprit, Make Up Genius, son application de réalité augmentée sur smartphone, a été téléchargée neuf millions de fois depuis son lancement au Festival de Cannes en mai 2014.    

 

Écosystème numérique

Ancienne responsable des relations avec les start-up de Microsoft France, Lubomira Rochet connait bien cet univers. Vu de L'Oréal, les start-up s'inscrivent dans un écosystème numérique beaucoup plus large. "Nous sommes dans une approche multipolaire", analyse-t-elle. Comprendre une approche qui vise à développer des liens avec l'ensemble des acteurs de l'écosystème : plates-formes de distribution, universités (Manchester, Stanford, Berkeley), incubateurs, accélérateurs de start-up (The Family), French Tech, etc. Le groupe possède aussi son propre incubateur dans la Silicon Valley depuis 2013. Baptisé Connected beauty incubator (CBI), ce dernier est notamment à l'origine de son application de réalité augmentée Make Up Genius, en partenariat avec Image Metrics, une start-up californienne. Autre partenariat, celui que le CBI vient de passer avec Organovo, une biotech californienne spécialisée dans l'impression 3D de tissus et de cellules reconstituant la peau humaine. Pour le reste, le groupe regarde surtout du côté de l'Asie (Corée, Chine, Japon) - où il s'est récemment rapproché du géant chinois de l'Internet Tencent - et d'Israël. Contrairement à d'autres grandes entreprises françaises, L'Oréal n'envisage pas d'investir significativement dans des fonds spécialisés dans le numérique.    

 

Back-office

Après l'avoir testée et déployée aux Etats-Unis, L'Oréal s'est lancé fin 2013 dans une vaste refonte de sa supply chain en Europe en confiant à E2Open, un éditeur américain spécialisé dans la chaîne logistique et le cloud, le soin d'enrichir son ERP d'une plate-forme collaborative à laquelle sont aujourd'hui connectés des centaines de fournisseurs. Désormais dématérialisés, ces échanges de flux avec les ERP de ses partenaires lui ont permis de gagner en fluidité et en visibilité, notamment sur l'état des stocks de ses fournisseurs, tout en bénéficiant d'indicateurs de performance enrichis. Un gain de productivité appréciable si on le rapproche des dizaines de milliers de mails auparavant échangés chaque année entre ses sites industriels (une quarantaine au total) et ses partenaires. Soucieux de ne pas alourdir son informatique interne, L'Oréal a fait le choix de standards d'échanges internationaux, à savoir les normes édictées par la Global Upstream Supply Initiative (GUSI). Une manière aussi de faciliter la tâche de ses fournisseurs en matière d'intégration au sein de leur propre ERP. Un contexte dans lequel l'arrivée récente de Barbara Lavernos, nouvelle directrice des opérations et ancienne directrice des achats du groupe, pourrait entraîner de nouveaux développements.

Interne/ RH/Formation 

Sans surprise, le volet RH est également impacté par la transformation numérique de L'Oréal avec des programmes réguliers de e-learning à destination de ses collaborateurs. Tout aussi soucieux de sensibiliser les principaux dirigeants du groupe – dont les membres du comité exécutifs - ces derniers sont régulièrement conviés à des séances d'immersion et de mentoring chez des pure players du web (Google, Amazon, Vente Privée, Webedia). Jean-Paul Agon, le PDG de L'Oréal, a récemment passé une après-midi chez Melty, un éditeur de médias en ligne à destination des 12-30 ans. Les outils collaboratifs sont également mis à contribution, notamment son réseau social d'entreprise (basé sur la plate-forme Yammer de Microsoft) qui compte 19 000 membres au sein de 775 communautés, majoritairement consacrées à l'innovation et à la production. Côté recrutements (de l'ordre de 15 000 par an), les réseaux sociaux sont largement sollicités, notamment LinkedIn où L'Oréal compte 500 000 followers et par lequel s'effectue 20% de ses recrutements. Pour se démarquer, une application spécifique aux smartphones afin de guider (itinéraire, accueil, renseignements pratiques) les candidats se rendant à un entretien d'embauche est à l'étude...

 

Evolution du SI propre à cette transformation digitale

Comme beaucoup de grandes entreprises, qui plus est avec ses 32 marques, sa quarantaine de sites industriels et sa très forte présence internationale, les systèmes d'information de L'Oréal sont très cloisonnés. Une situation qui tient à la fois à la nature de l'entreprise et à son histoire. "Il faut bien voir que l'on passe d'une culture informatique BtoB à une culture BtoC. C'est une temporalité dont nous devons nécessairement tenir compte" constate Lubomira Rochet. Les SI lui ont donc été rattachés dans l'idée de rendre tout cela plus fluide grâce à l'utilisation de méthodes agiles et "DevObs". Une mise en œuvre qui ne peut être que progressive avec l'intégration de nouveaux systèmes de gestion des contenus, les interfaces avec les plates-formes de e-commerce ou le déploiement de nouveaux CRM. "Nous avons une approche extrêmement collaborative entre la DSI et les responsables du numérique", assure Lubomira Rochet tout en concédant que l'organisation pourrait être amenée à évoluer. Une manière de reconnaître que la partie n'est pas encore gagnée...

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