Pourquoi Apple ouvre-t-il la porte aux adblockers sur ses iPhones ?

Pourquoi Apple ouvre-t-il la porte aux adblockers sur ses iPhones ? Retour sur une décision qui risque, dans les jours qui viennent, de mettre à mal tout un écosystème, depuis les éditeurs jusqu'aux plateformes technologiques publicitaires.

Coup de semonce dans le monde du Web mobile, il y a quelques mois, avec l'annonce par Apple de l'arrivée d'une nouvelle fonctionnalité au sein d'iOS 9 baptisée "content blocker". Cette extension API permettra aux utilisateurs de bloquer du contenu spécifique au sein d'une page avant que celle-ci ne se charge dans le navigateur Safari. Dans la ligne de mire, les publicités et autres contenus non désirés en tous genres.

Alors que la sortie publique d'iOS 9 n'est plus qu'une question de jours, c'est donc une véritable épée de Damoclès qui pend au dessus d'un marché de la publicité mobile qui a pesé près de 13 milliards de dollars en 2014 selon l'IAB et a un potentiel non exploité de 25 milliards de dollars de plus, selon Mary Meeker.

"Bombe atomique", "cataclysme"... Tout le milieu de la pub mobile s'inquiète

Les réactions du milieu sont alors au diapason de la menace potentielle que représente l'annonce. "Cela ne m'étonnerait pas que des centaines si ce n'est des milliers d'adblockers apparaissent dans l'App Store dès le premier jour", prophétise le cofondateur de Tumblr et créateur d'Instapaper, Marco Arment, dans le magazine Fortune. Le patron d'Asymco parle, dans le même magazine, d'une "bombe atomique" et d'un "événement cataclysmique qui affectera toute l'industrie publicitaire".

S'il préfère ne pas verser dans le même catastrophisme, rappelant que cette "bombe" ne concernera que le Web mobile, sur Safari et sur action de l'utilisateur, le tout nouveau patron d'Adsquare en France, Vincent Tessier, estime que "la décision d'Apple peut mettre à mal l'équilibre du modèle économique de nombre de médias online, qui repose majoritairement sur la publicité". Certes Tim Cook n'a jamais caché sa frilosité vis-à-vis de tout ce qui touche à la publicité, rappelant à l'envie que "si c'est gratuit, c'est que vous êtes le produit". Mais cette posture se traduisait jusque-là par une passivité d'Apple vis-à-vis de la question. Ne faisant rien pour booster le secteur, en témoigne l'apathie de sa régie iAd, mais n'en faisant pas davantage pour l'entraver.

En toile de fond, une lutte historique entre Apple, Google et Facebook

A quoi imputer un tel revirement ? Vincent Tessier serait tenté d'y voir "une bataille à plus grande échelle, entre les géants du Web, et une attaque directe contre Google". Google qui réalise près de 90% de son chiffre d'affaires via la publicité, dont une part croissante depuis le mobile (et sans surprise, plus particulièrement sur iOS). Search, adsenses et autres formats… Google règne en maître sur la déclinaison mobile du Web. Le géant a, en revanche, beaucoup plus de mal sur le monde applicatif, aujourd'hui dominé par Facebook et Apple. Noyauter le Web mobile avec une ribambelle d'adblockers revient à détruire la moisson publicitaire de Google au sein de cet environnement.

Mais Apple n'a pas qu'un seul rival. Et on peut également voir l'arrivée des adblockers sur Safari comme un coup de billard à trois bandes de la firme à la pomme dans la lutte qu'elle mène contre Facebook pour séduire les médias, composante clé de l'engagement des utilisateurs d'une plateforme. "Permettre le blocage des publicités au sein de l'environnement Web mobile pourrait être le meilleur moyen d'inciter les éditeurs à se tourner vers 'Apple News', le service de curation des médias", suggère Vincent Tessier. "Apple News" qui fait également son apparition… avec iOS 9 et sur lequel Apple touchera une commission de régie via son réseau publicitaire iAd.

L'occasion de booster sa régie iAd et son service de curation, Apple News

Si les ambitions réelles d'Apple concernant iAd et Apple News tiennent aujourd'hui de la spéculation, il ne fait guère de doute que la société a tout intérêt à favoriser un monde applicatif sur lequel (via la publicité comme le paiement in-app) elle gagne le plus d'argent. Vincent Tessier note à ce titre que Facebook (qui dépasserait désormais Google comme la première source de trafic des médias US) ne fait à ce jour quasiment pas de "deep links" vers les applications de médias. "Soit les articles sont hébergés dans Instant Articles, soit, le plus souvent, on bascule vers…  du Web mobile."

Proposer la meilleure UX possible sur iPhone et doper les ventes 

Ces petites rivalités publicitaires mises de côté, reste une dernière vérité : Apple est avant toute chose un vendeur d'appareils connectés (iPhone, iPod, iPad, Mac…). Mettre un frein à la publicité au sein de Safari, c'est améliorer considérablement l'expérience utilisateur. Plus de pop-up qui entrave la navigation et de publicités sur lesquelles on clique par erreur. Un journaliste de The Next Web, qui a utilisé la pre-beta d'un adblocker opérant sur Safari, Crystal, ne dit pas autre chose, après avoir observé une amélioration très significative du temps de chargement des pages, qui passe d'une moyenne de 10-15 secondes à 3 ou 5 secondes environ selon les sites. "De quoi inciter les utilisateurs Android les plus publiphobes à basculer sur iPhone ?", s'interroge Vincent Tessier. Le prix à payer, à savoir la rentabilité des éditeurs du monde Web, paraîtrait tout de même bien lourd. Même pour une entreprise comme Apple, qui ne s'est jamais embarrassée de scrupules au moment de scier des branches sur lesquelles certains de ses partenaires étaient assis.