Le retour du private deal : bonne ID ?

Le retour du private deal :  bonne ID ? Dernière mode dans le programmatique, les deal ID, en augmentation dans les échanges commerciaux. Si ces marchés promettent monts et merveilles aux annonceurs et aux éditeurs. La réalité est plus nuancée, et les avis partagés.

L’émergence il y a environ trois ans du RTB semblait avoir porté le coup de grâce aux négociations à l’ancienne entre les acheteurs des régies et agences médias et les éditeurs. Mais l’essor récent des deal ID et des PMP remet en vedette les échanges de gré à gré sur des inventaires premium aux CPM (coût pour mille) plus élevés et donc plus rentables pour tous les acteurs de l’écosystème.

Ces deal ID ne seraient-ils alors qu’une version digitalisée des ordres d’insertion en fichiers Excel envoyés par fax ? Pour Éric Clemenceau, directeur général de Rocket Fuel, ce retour vers le futur n’est pas une bonne idée : "l'émergence des PMP peut ressembler au retour du bon vieux médiaplanning.

Exemple : je veux joindre des femmes qui aiment la mode et sont modernes car je pense que c'est la meilleure cible pour vendre une nouvelle voiture citadine. Problème : une partie de ces femmes n’a pas le bon profil, d'autres ont acheté une voiture dans les 18 derniers mois. Bref : mauvaise cible et grosse déperdition".

Pour d’autres, comme Dan Posalski, fondateur du trading desk Black Angus, ces "deals" privés possèdent des avantages certains : "le deal ID est complémentaire de l’open RTB. Il permet de rassurer certains annonceurs pas encore convaincus par le programmatique grâce à des CPM fixes sur un volume déterminé, et un phénomène de 'first look' (première impression) important sur des campagnes de retargeting, car c’est le moment crucial de la décision d’achat".

Un moyen pour l'éditeur de contrôler la valorisation de sa data

Autre atout du deal ID : l’apport de data ciblées de la part des éditeurs, qui veulent contrôler la manière dont elles sont valorisées. "Exemple : on peut faire un deal ID sur un habillage de page avec des data 'hommes sportifs' car il s’agit d’un éditeur spécialisé sur ce segment. C’est intéressant pour l’annonceur et pour l’éditeur, qui vend plus cher son CPM. Certains deals marchent mieux que le RTB car la data poussée est très qualitative", détaille Yohann Dupasquier, cofondateur de Tradelab, qui annonce 10% de son chiffre d’affaires réalisé avec ces marchés privés.

Sociomantic, qui propose une solution de DSP, croit également aux deal ID. La société a mis en place il y a quelques mois Sociomantic Direct, pour promouvoir ces deals programmatiques directs. "Pour un éditeur, le deal ID est le meilleur moyen de vendre son inventaire au meilleur prix", estime Thomas Reiss, manager director France. La société a déjà conclu une centaine de ces deals privés en France, soit 30 % du chiffre d’affaires de la DSP.

Pratiquement, un deal ID est un élément de code (le ID signifie identity) transmis par l’éditeur ou l’ad exchange au trading desk, indépendant ou intégré à une agence média. Ces deals sont utilisés dans le cadre de campagnes de branding et de notoriété (inventaire premium, first look, data ciblés)  plutôt que de performance. "Plus les éditeurs s’équipent de DMP pour gérer leurs données, plus ils voudront créer des deal ID", estime Yohann Dupasquier.

Autre acteur technologique, Rubicon Project est une des plateformes qui a contribué à diffuser le protocole deal ID. "C’est le consortium américain Open RTB qui a instauré cette variable il y a trois ans. Mais nous avons été un des premiers à démocratiser ce procédé, qui isole une portion d’inventaire forcément plus qualitative", rappelle Julien Gardès, manager général Europe du Sud.

Comme un club VIP dans une boîte de nuit

Dans un deal ID, acheteurs et vendeurs se sont entendus en amont sur un prix minimum (floor) lors de ce marché de gré à gré, à deux ou à plusieurs. "C’est comme un club VIP dans une  boîte de nuit : vous pouvez faire entrer une personne ou dix. Mais le deal ID ne garantit pas à l’acheteur qu’il aura cette impression spécifique".

"Avec le RTB, vous êtes en concurrence avec l’ensemble du marché. Les deals privés ont été mis en place pour rajouter de la valeur. Par exemple, on peut avoir un deal pour une offre news et sports, un format impactant et de la data, soit des CPM assez élevés autour de 5 à 6 euros. Mais toujours en misant (bid), c’est un univers non garanti", ajoute Arthur Millet, directeur général de La Place Média.

Du "few to many" du RTB (l’impression est proposée à tout le monde), on passe donc au "few to few", qui s’arrangent en amont. "Ces marchés privés n’ont pas tué les régies, comme certains ont pu le craindre. Ce sont deux modes de commercialisation complémentaires qui vont cohabiter" estime Julien Gardès, qui voit les deal ID représenter 50 % du business du programmatique d’ici un an ou deux.

Des inventaires larges pour les deal ID

Le risque du deal ID, selon Arthur Millet, c’est l’échelle de grandeur à l’intérieur de laquelle s’effectue ce marché : "comme le client n’a pas de garantie de gagner l’inventaire qu’il convoite, il va devoir élargir son enchère à plusieurs ad exchange pour atteindre ses objectifs en termes de contacts à toucher sur la période donnée.

C’est pourquoi aux États-Unis, la tendance est à la baisse de ces deal ID". Un avis partagé par Éric Clémenceau : "l’avènement du cross-device (calculer la véritable exposition et attribution d'un individu sur ordinateur, tablette, mobile, social) et du moment-scoring  (le meilleur moment pour délivrer une publicité particulière) demande un inventaire large. S’il est rassurant pour les annonceurs de connaître une partie de l'inventaire, grâce aux PMP sur lesquels sa campagne va passer, cela n'affranchit pas de s'entourer de toutes les sécurités contre les bots (les robots), les environnements non conformes, etc...".

Attention à ne pas automatiser le garanti

L’autre danger selon le directeur général de la Place Média, c’est l’automatisation du garanti : "on tord un peu le cou du mode de vente RTB en utilisant ses outils pour faire du programmatique garanti. Je vends un first look, je mets un prix fixe, donc je force l’annonceur à acheter et je casse le principe des enchères. En donnant la priorité et un avantage concurrentiel avec le first look, il n’y aura plus de possibilité pour l’éditeur de faire du yield management ".

Brian O’Kelley, PDG d'AppNexus, prédisait dès juin 2014 que les deals dépasseraient le RTB en valeur. On n’en est pas encore là, du moins en France, où ces marchés de gré à gré privées représentent entre 10 et 30% du business du RTB. Le programmatique pèse lui-même 25 % du chiffre d’affaires display (en 2014 source SRI). Soit, dans la fourchette haute, 30% de 25% des ventes de publicités display pour les deal ID. On est loin du tsunami, même si ce mode de négociations directes augmente.

Les adservers sont nés il y a vingt ans, comme le rappelait récemment Frank Lewcowitz de Quantcast dans le JDN . Une technologie qui a beaucoup évolué depuis cette date, et dont les deal ID ne sont que le dernier avatar. "Il y a cinq ans, le RTB signifiait invendus. Aujourd’hui, les deal ID et PMP sont une montée en gamme sur les inventaires. Ça rassure les annonceurs qui viennent sur le programmatique", conclut Sébastien Noël, directeur programmatique France de Yahoo.

Article de Patrick Cappelli, CB News

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