Audience Square et La Place Media : scénario d'une fusion

Audience Square et La Place Media : scénario d'une fusion La rumeur d'un rapprochement entre les deux places de marché média refait surface. Le point sur les facteurs de succès et les obstacles.

On en est sans doute encore loin. Pourtant, le rapprochement entre La Place Media et Audience Square n'a peut-être jamais été plus urgent. Lancées à quelques mois d'intervalles en 2012,  les deux alliances créées par les grands médias français pour mieux vendre les espaces publicitaires de leurs sites ont réussi en l'espace de trois ans à se constituer une place de choix dans le marché du programmatique.

Chacune cumule plus de 30 millions de visiteurs uniques, des milliards d'impressions pubs vendues chaque mois et affiche une croissance de son chiffre d'affaires supérieure à la moyenne du marché. Pourtant les deux édifices n'ont jamais semblé aussi fragiles. Leurs fondations menacent de se fissurer au gré des départs actés, annoncés ou supposés de certains de leurs plus gros éditeurs, ces derniers se décidant à reprendre la main sur le programmatique.

Figaro - CCM, M6 et Prisma Media sur la tangente ?

Webedia a lancé sa place de marché privée en mai 2015. L'éditeur du JDN, le Groupe Figaro - CCM Benchmark, qui a un pied dans chacune des deux alliances (Figaro chez La Place Media et CCM chez Audience Square), vient d'intégrer une bonne partie de l'inventaire de CCM Benchmark à son Figaro Exchange. "Le CPM y est supérieur de 45% à celui des ventes directes de notre régie", se félicite le directeur général délégué en charge du digital de Media.figaro, Alexis Marcombe.

Même combat pour M6 qui profite du contrat de Cuisine AZ avec le supply-side platform (SSP), Rubicon Project, pour y transvaser une part de son inventaire display. Le groupe s'est par ailleurs rapproché de StickyAds TV pour y commercialiser une partie de son propre inventaire vidéo. En ce moment, Prisma Media planche également sur des projets similaires. TF1 regarde quand à lui de près le sujet de la commercialisation de son inventaire vidéo en programmatique

Une marque qui peut être fragilisée en solo

Autant d'annonces qui laissent le marché sceptique quant au destin des deux places de marché. Le directeur général de La Place Media, Arthur Millet, se veut pourtant rassurant. Pour lui, ces initiatives ne présagent en rien d'un départ définitif. "Ces places de marché privées sont complémentaires du travail de La Place Media car elles vont permettre à ces éditeurs d'aller un peu plus loin, en passant des accords directement avec certains de leurs clients privilégiés dans un mix qui comprendrait ventes directes et programmatique".

Pas d'inquiétude donc, à en croire Arthur Millet. D'autant qu'il estime que ces éditeurs auraient trop à perdre à partir en solitaire en passant par une place de marché qui vendrait l'intégralité de leur inventaire programmatique. "Cela fragiliserait leur marque et la rendrait à la merci du marché, explique-t-il. Il est facile de tenir un CPM plancher de 10 euros sur un petit volume d'inventaire en programmatique. C'est en revanche beaucoup plus compliqué sur des millions d'impressions".

En clair, selon le patron de La Place Media, si les éditeurs faisaient le choix de tout gérer eux-mêmes, ils verraient mécaniquement leur CPM tiré vers le bas pour atteindre des taux de remplissage satisfaisants. Ce qui affecterait mécaniquement les ventes directes, puisque les acheteurs auraient la possibilité de passer une partie de leurs ordres sur le programmatique à des prix cassés.

Faux, rétorque de son côté Sylvain Travers, directeur général de Webedia Exchange et ex-directeur général délégué d'Audience Square. "La valeur moyenne du RPM de Webedia Exchange, c'est-à-dire le revenu pour mille impressions (montant des revenus constatés sur l'inventaire total mis à disposition du marché, NDLR), est supérieur à ce qu'on avait chez Audience Square alors que nous n'avons pas une concentration de marques qualitatives aussi importante", assène-t-il.

Le succès de l''expérience Webedia peut faire des émules

Si l'argument de Sylvain Travers devait convaincre les éditeurs de prendre la poudre d'escampette, la perte des inventaires de M6, CCM Benchmark et Prisma ferait perdre à Audience Square, selon nos informations, près de 10% des emplacements vendus chaque mois. Pas une catastrophe donc d'un point de vue comptable.

Ce serait en revanche beaucoup plus préjudiciable côté image pour celui qui, au même titre que La Place Media, s'est positionné comme la place de marché incontournable pour qui veut acheter l'inventaire des éditeurs les plus importants et qualitatifs de l'Hexagone. Les départs du Figaro voire de TF1 seraient de fait tout aussi gênants pour La Place Media.

Dans ces conditions l'hypothèse de la fusion se présenterait comme une planche de salut évidente pour les deux acteurs. "Ce serait le seul moyen de créer un groupe avec l'audience et les marques nécessaires pour conserver une attractivité et une masse critique, lorsque les plus gros éditeurs seront partis", explique un connaisseur du marché. Un avis partagé par le patron de la platefome programmatique pour acheteurs Tradelab, Yohann Dupasquier, qui convient également que "ce mouvement défensif permettrait de structurer une offre lisible autour d'une longue traîne d'éditeurs". Une hypothèse qu'Arthur Millet préfère balayer de la main, estimant que c'est "un sujet d'actionnaire" et annonçant "être très serein quant à l'avenir de La Place Media à moyen terme".

Du côté de Figaro - CCM Benchmark, on botte en touche. "Nous n'avons pas à nous positionner sur le sujet, étant actionnaire des deux adexchanges", note Alexis Marcombe. Il faut dire que le projet de fusion évoqué est  un vrai serpent de mer, une rumeur qui revient régulièrement dans le petit monde du programmatique, depuis près de deux ans.  Surtout, un projet qui se heurte à un écueil de taille : les intérêts divergents de ses actionnaires. 

La Place Media compte cinq actionnaires, Audience Square en compte dix

La Place Media compte cinq actionnaires, Audience Square en compte dix. Une fusion imposerait de réunir tout ce petit monde et mettre en place un nouveau pacte d'actionnaires au sein d'une nouvelle structure.

On doute que certains aient envie de travailler ensemble, à l'image des meilleurs ennemis TF1 et M6. Et on se dit qu'un géant nouvellement créé comme le groupe Figaro - CCM Benchmark aura plutôt intérêt au statu quo, quitte à laisser les deux places de marché végéter. Sans doute des éditeurs aussi avancés dans l'autonomie programmatique que Prisma et M6 sont-ils dans le même état d'esprit. La morosité des places de marché n'aurait d'un point de vue économique que peu d'impact pour leurs actionnaires. 

"A contrario, des acteurs comme 20minutes ou Le Point, trop petits du point de vue de l'audience pour y aller en solitaire, et un groupe comme Le Monde - Observateur qui a la taille mais est en retard d'un point de vue technologique, y ont un intérêt évident", analyse notre connaisseur du marché. 

Enfin, même si les actionnaires trouvaient un terrain d'entente, l'hypothèse de la fusion se heurterait à un dernier écueil, technologique celui-là. Les choix faits par La Place Media et Audience Square ne peuvent pas être plus éloignés. Le premier travaille avec Rubicon, Mopub et Sticky Ads quand le second a opté pour Appnexus, Smart Adserver et Liverail. "La nouvelle entité devrait donc sacrifier certains prestataires et mettre de côté des années de développement et partenariat. Pas évident." Pas évident, mais bien moins compliqué que de convaincre TF1 et M6 de jouer dans la même équipe.